Le prix d’une location de moto à la journée n’a vraiment rien à voir avec celui pratiqué à Bali : 100 livres turques, soit 18 €, à des années-lumière du 1,50 € de Bali. La bécane elle-même n’a pas du tout, mais alors pas du tout le peps de celles d’Asie et me parait assez difficile à conduire, au moins pendant les premiers kilomètres. La prise en main va en fait durer tout le long de la balade. Elle calera un grand nombre de fois dès la décélération et restera certainement encore longtemps le plus mauvais rapport qualité-prix qu’on ait jamais eu !
Nous partons donc en toute confiance pour notre premier village hors de Göreme : Uçhisar, dominé par un piton rocheux qu’on peut apercevoir depuis toute la Cappadoce. Creusé de centaines de cavités, le Kale apparaît comme complètement surréaliste : habitations, chapelles, monastères sont reliés entre eux par un réseau complexe de galeries sur une vingtaine d’étages. Nous n’y entrons pas, mais restons discuter à son pied avec un monsieur qui laboure son jardin à la pelle sous le déjà chaud soleil matinal. Nous ne trouvons pas les mots pour décrire la campagne environnante. De l’autre côté de la route, une colline nous offre ses flancs nus ravinés. On croirait voir les pétales d’une fleur en pierre prête à éclore. Plus loin, à Ortahisar, un autre Kale domine le village. Moins imposant que le précédent, il est lui aussi percé d’habitations troglodytes. Par un passage escarpé et même périlleux à certains passages, nous atteignons la moitié de sa hauteur en traversant plusieurs salles reliées entre elles par des échelles et des corridors obscurs et très étroits. Chantal a vraiment du mal à suivre. Elle parvient tout de même à se hisser jusqu’au dernier belvédère autorisé à la visite. Pour des raisons de sécurité, le haut reste fermé. Le village regroupé autour du pic s’étale à nos pieds, coquet avec ses petites maisons à terrasse. Au-dessus de nos têtes, nous pouvons apercevoir les scellements effectués sur le piton lui-même pour retenir des pans entiers de pierre susceptibles de s’écrouler. Pas si rassurés que ça, nous redescendons par le même chemin qu’à la montée. Y en a-t’il d’ailleurs un autre ? Dès la sortie de la citadelle, nous achetons des fruits secs à un épicier qui nous les avait faits goûter tout à l’heure. Nous restons discuter un peu avec lui avant de continuer notre balade en direction d’Ürgüp. Nous nous arrêtons en chemin près des fameuses cheminées de fées très photogéniques les Üç Güzeller, ou les Trois Beautés. Nous y prenons tous les deux pas mal de clichés avant de nous reposer quelques instants à l’ombre de grands arbres dans un jardin public d’Ürgüp, la ville du coin avec ses magasins et sa circulation. Comme dans les villages précédents, sa citadelle est creusée dans la falaise.
Après cette courte pause, nous filons désormais sur la petite route qui nous emmène vers Zelve, autre musée en plein air. Mais nous flânons d’abord dans la Vallée de Devrent qui abrite la plus grande concentration de cheminées de fée. La variété des tons roses, verts, ocres, jaunes est d’autant plus belle que le soleil décline, mais il est encore trop tôt pour en profiter pleinement. Dans la vallée de Pasabagi qui lui succède, d’imposantes formations rocheuses abritent chapelles et habitations percées dans la pierre. Deux cars de touristes chinois et un autre de Turcs arrivent en même temps que nous. Pour obtenir des clichés corrects, nous attendons donc que tout ce petit monde soit reparti. Heureusement, le décor merveilleux des ces doigts géants se dressant vers le ciel nous distrait assez pour ne pas voir le temps passer. Coup de chance : au moment où les trois bus repartent avec leur bruyante cargaison, un beau soleil de fin de journée passe sous les nuages qui commençaient à s’accumuler et vient égayer le paysage d’une jolie touche dorée. Nos appareils crépitent… Avant de regagner Göreme, nous effectuons une dernière halte à Çavuşin, village aux habitations semi-troglodytes façonnées par l’érosion et qui demeure à l’écart de l’agitation. Avant de rendre la moto à l’heure prévue, je dépose Chantal à Göreme et file vite vers notre première étape de ce matin, Uçhisar. Avec le soleil qui ne va pas tarder à se coucher, le Kale et les collines voisines ont dû prendre une jolie teinte qu’il me tarde de voir. Je ne suis pas déçu, la lumière de fin de journée éclaire en effet le piton de manière superbe. J’y prends les dernières photos de la journée. J’ai désormais du boulot pour toute la nuit si je veux ! Pour conclure cette belle journée de découverte, nous retournons diner dans le même restaurant qu’hier. Ce soir je reprends le güveç, sorte de ragoût avec des morceaux de mouton qui a mijoté dans un plat en terre cuite. Copieux et goûteux, je me régale encore une fois…
Chantal se sent courageuse ce matin et, malgré la faible clarté, le ciel semble dégagé. Nous décidons par conséquent de retourner au sommet de la colline assister au spectacle des montgolfières. Emmitouflés dans nos polaires et en pantalon, nous croisons de nombreuses jeunes filles en petite robe à bretelles et quelques garçons en ticheurte, tenues de rigueur pour se prendre en selfie devant le paysage qui s’étale à leurs pieds, mais qu’ils voient à peine, obnubilés par leur propre image. Ils claquent des dents, mais au moment du cliché arborent un large sourire. Des Chinoises se photographient les unes les autres en train de sauter les bras en l’air devant un ballon qui les approche d’assez près. Au plus près du bord de la falaise, une jeune Russe à la robe rouge de cérémonie et au chapeau de tulle joue à la starlette en prenant des poses inénarrables et ridicules. Le spectacle ne se déroule pas uniquement dans le ciel ! Le soleil qui apparait au-dessus de l’horizon et des pitons fait éclater les couleurs des montgolfières et apporte cette note de gaité qu’il manquait la dernière fois. Chantal avoue que ce qu’elle a vu ce matin surpasse largement ce à quoi elle avait assisté l’autre jour. Elle en profite au maximum et ramène un grand nombre de photos et de vidéos. Après deux heures passées sur la colline, nous nous dépêchons de redescendre à l’hôtel. Après ce bon bol d’air, nos estomacs crient en effet famine.
Après avoir bossé toute la matinée et le début de l’après-midi à visionner et trier tout ce que nous avons ramené de notre escapade aurorale, nous empruntons le circuit pédestre de Love Valley et de la White Valley sur une dizaine de kilomètres autour de Göreme. Les quatre premiers kilomètres effectués sur un sentier caillouteux, mais assez facile, nous tombons sur ce que nous sommes venus voir, c’est-à-dire les fameuses cheminées de fée en forme de phallus regroupées dans une vaste prairie vallonnée. Sur la falaise toute proche dont elles sont issues, l’érosion semble en façonner de nouvelles. La Love Valley porte vraiment bien son nom ! Pour récupérer un peu, nous nous offrons un merveilleux jus d’orange pressée dans la bicoque tout en bois qu’un éleveur de pigeons ouvre pendant la journée pour se faire un peu d’argent. J’espère seulement qu’il a plus de monde qu’aujourd’hui, car depuis notre départ de l’hôtel, nous n’avons encore croisé personne. Au grand dam de Chantal qui souhaitait faire le trajet retour dans le sens inverse, je choisis de continuer par la White Valley. Nous nous égarons deux ou trois fois en suivant le mauvais sentier. Le terrain est beaucoup plus escarpé qu’à l’aller et Chantal commence à râler. Pas de chance pour elle, nous ne trouvons pas le chemin qui nous permettrait de retomber sur la route de Göreme. Nous devons donc poursuivre jusqu’au bout de la vallée qui débouche au village d’Uçhisar. Heureusement pour moi que les paysages traversés valaient le coup d’œil, mais il reste une demi-heure de marche pour rallier l’hôtel. Lorsque nous décapsulons une Efes,vraiment bienvenue ce soir, Chantal s’affale sans aucune retenue dans son fauteuil. Elle en a plein les bottes !
En allant acheter les billets de bus pour Antalya le lendemain matin, elle se fait aborder par un sympathique marchand de souvenirs qui parle très bien le français. Profitant du fait que je souhaite rester à l’hôtel rédiger notre journal, elle accepte son invitation à prendre le thé cet après-midi. De ce fait, elle retourne à la boutique vers 15 heures. Pour ma part, j’abandonne l’écriture pour la photographie. Je vais en effet tenter de retrouver le chemin de la Vallée Rose, celui que j’avais indiqué aux deux jeunes Chinoises l’autre jour du haut de mon belvédère. Au fameux café local où la maman et son fils me proposent aujourd’hui encore un jus de fruit que je m’empresse de refuser, je tourne à gauche et non à droite comme ils me le rappellent pourtant à grands cris. Je pense qu’ils ne m’ont vraiment pas reconnu. Un quart d’heure plus tard, je suis en train d’escalader le difficile sentier qui débouche dans la fameuse vallée. La promenade valait le coup, les rochers proposant un camaïeu de rose infini seulement sali par de petites tâches éparses de vert ou de jaune. Avec le soleil de fin de journée, le retour vers Göreme au milieu de ce décor aride d’un autre monde s’avère enchanteur ; je pense même que j’aurai beaucoup de difficultés à m’en lasser. À l’entrée du village, je retrouve Chantal qui venait à ma rencontre, ravie de son après-midi. Bahri et elle ont longuement discuté autour d’un pot de thé et en souvenir de ce moment sympa, le marchand turc lui a offert quatre jolies coupelles en céramique.
Nous passons la matinée du lendemain à faire nos bagages ; nous prenons en effet le bus à 22 heures pour Antalya. Avant de nous rendre à la gare routière, nous dinons une dernière fois dans notre restaurant favori et remercions chaleureusement le personnel qui nous aimait bien et nous offrait chaque soir un petit verre de jus de grenade accompagné de pain, d’huile parfumée et d’olives.
Nous garderons franchement un bon souvenir de cette Cappadoce qui nous a séduits aussi bien par ses paysages fabuleux que par l’accueil sincère et spontané de sa population…