Le petit car, parce qu’il y en a un qui vient jusqu’à Adrasan contrairement à ce que nous avait affirmé le chauffeur l’autre jour, s’arrête juste devant notre établissement et nous emmène à Antalya d’où nous prenons un second bus, plus confortable, en direction de Pamukkale, notre but. Nous y arrivons, après un ultime changement de véhicule à Denizli, en fin d’après-midi. Après la visite de quatre hôtels, nous en choisissons un avec piscine tenu par une famille locale qui a su nous séduire par son accueil. Après un diner préparé par la mama, nous partons faire un tour dans le village au moment de la tombée de la nuit. Nous y prenons quelques repaires gastronomiques pour les jours suivants.
Le petit-déjeuner est servi sur la terrasse du second et dernier étage donnant sur la colline aux fameux bassins calcaires qui ont fait la réputation du village. Cette fois, au lieu d’un buffet traditionnel, Mama pose devant chacun de nous une assiette remplie de bonnes choses et une belle omelette. Il nous reste le choix du jus de fruit et de la boisson chaude. Le ventre plein, nous trainons dans le bourg et le jardin public durant la matinée avant de partir à l’assaut du site touristique vers 14 h 30.
Au moment où nous entamons la grimpette, le ciel bleu l’emporte au-dessus de nos têtes, mais de méchants nuages noirs commencent à s’accumuler à l’horizon. À mi-pente, un gardien nous demande d’ôter nos tongs afin de ne pas abimer la couche blanche qui recouvre désormais tous les centimètres carrés du sol. Pamukkale est une tufière entièrement élaborée par les eaux chaudes qui s’écoulent des entrailles de la montagne. Le site comporte 17 sources. Certaines d’entre elles ont une température de plus de 45° et sont saturées de sels minéraux et de gaz carbonique qui, au contact de l’air, se déposent sous forme pâteuse sur les flancs de la colline et durcissent ensuite lors de l’évaporation de l’eau. Ce phénomène naturel laisse des couches blanches sur la pierre, ce qui donne à la montagne une apparence de forteresse de coton ou d’une cascade gelée. D’un esthétisme incroyable, nous déclenchons tous les deux à tout-va. Des starlettes russes et chinoises en devenir se prennent en selfie dans les premiers bassins que nous rencontrons. Pour fuir cette foule bruyante, nous préférons accélérer le pas et longer la crête de la montagne. À ma grande déception, les vasques pour lesquelles j’ai souhaité venir ici sont vides. Pas une goutte de cette eau si bleue qui m’a tant fait rêver lorsque je feuilletais les magazines de voyages il y a quelques années. Par contre, seuls quelques visiteurs profitent du paysage féerique sur l’autre versant. Les groupes, souvent avares d’efforts, préfèrent en effet s’entasser dans les bassins les plus proches ou dans les thermes baptisés « piscine de Cléopâtre » par Marc Antoine en l’honneur de cette dernière qui s’y était baignée une fois et aurait ensuite fait venir par convois cette eau jusqu’à Rome.
Le site est également intéressant d’un point de vue archéologique. Fondée au IIe siècle av. J.-C., la cité antique de Hiérapolis se développa grâce à l’exploitation de ses sources d’eau chaude. Situé plus haut sur les flancs de la montagne et aujourd’hui rénové, son théâtre pouvait accueillir 15 000 personnes. Assis sur ses gradins en pierre taillée, nous restons là nous reposer un peu et contempler les nombreux bas-reliefs et statues qui ornent la scène. Près de nous, une Russe en string se promène, sans pudeur, au milieu des vestiges. Navrant ! Les gros nuages noirs s’amoncellent désormais au-dessus des montagnes environnantes et les éclairs commencent à fuser au loin. Heureusement, le ciel bleu sévit encore à Pamukkale. Il en résulte une lumière splendide que j’essaie de reproduire au mieux dans un champ de ruines tout proche. Le tonnerre gronde, le vent s’est mis à souffler, mais le soleil résiste. Sublime ! Nous en profitons pour retourner sur la crête, toujours aussi délaissée, continuer nos séries d’images. Malgré le peu de visiteurs, j’y rencontre un autre passionné. Israélien, le jeune homme me sollicite pour le photographier devant un paysage qui n’est pas sans rappeler un désert de sel. Après les prises, nous taillons une bavette durant un bon moment. Chantal qui se demandait où j’étais passé vient nous rejoindre.
Au soleil déclinant, je me retrouve presque par hasard à l’endroit le plus connu du site que j’allais oublier. Chantal qui a déjà entamé la descente ne le verra même pas. Franchement dommage pour elle ! Il est vrai que, lors de la montée, la foule des touristes chinois nous avait fait poursuivre notre chemin au lieu de nous y arrêter. Mais, à cette heure, les groupes ont quitté les lieux et une certaine quiétude règne. Les instants qui précèdent et suivent le coucher du soleil engendrent le crépitement soutenu des appareils. J’avoue qu’on ne peut pas rester insensible au spectacle du ciel orangé se reflétant dans la cascade des vasques immaculées dévalant la pente. Je savoure véritablement cette dernière heure. Ce soir, les absents ont vraiment eu tort. Et dire que j’ai failli rater ça ! Le soleil a depuis longtemps disparu derrière l’horizon quand j’entame la descente en même temps que les derniers esthètes encore présents. La nuit tombe lorsque je rejoins Chantal qui m’attend sagement à l’entrée. Enjouée, elle me raconte son retour en compagnie d’un monsieur très aimable qui, aux nombreux passages un peu compliqués, l’a bien aidée en lui proposant son bras. Heureusement pour moi, sa femme le surveillait !…
Pour couronner cette belle journée, le patron du restaurant où nous dinons nous offre, en plus de notre commande, une assiette de frites et une grande bouteille de bière suite à une petite confusion de notre part dans les plats.
Le lendemain de cette intéressante, mais éreintante promenade, nous préférons passer la journée au bord de la piscine, alternant bains dans l’eau naturelle sans cesse renouvelée et séances de bronzage sur les transats. Pour ma part, j’ajoute à ce dur travail le tri des centaines de photos prises la veille…
Nous avons bien fait d’en profiter, car le surlendemain, à peine le changement pour une chambre plus grande et surtout plus claire à l’étage effectué, une épaisse couche nuageuse arrive assombrir le paysage. La pluie tombe par intermittence et nous oblige à regagner nos pénates. Une famille britannique partie visiter le site une heure avant la première averse revient trempée jusqu’aux os. Exceptionnellement, leurs billets seront encore valables demain matin. Quant à moi, j’en profite pour regarder sur la télé de la chambre les premiers matches du Mondial de foot commentés en Turc. Fastoche !
Alors que les Anglais retournent explorer la colline blanche sitôt le petit-déjeuner avalé, nous nous installons une nouvelle fois autour de la piscine. Sur une table à l’abri du soleil revenu, je termine de trier mes photos et m’attèle à la rédaction du carnet sur le Japon.
Le dernier jour de cet agréable séjour arrive déjà. Une fois les bagages descendus à la réception, les propriétaires nous autorisent à profiter du bassin et des transats si nous le souhaitons. Nous ne nous faisons pas prier, le bus pour Istanbul ne démarrant qu’à 21 heures. Nous prenons même le temps d’aller diner avant de leur faire nos adieux.
Au moment du départ, Mama claque deux grosses bises sur les joues de Chantal, émue…