Le lendemain, nouveau déménagement. Cette fois, la chambre, quoique moins bien que la première, nous convient : tout marche correctement et rien ne sent mauvais. J’y passe d’ailleurs la journée entre tri des photos, écriture de ce carnet et match de la Coupe du Monde. Chantal, elle, part faire quelques achats du côté du Grand Bazar et revient avec deux Efesbien fraiches pour l’apéro…
Nous occupons la matinée du lendemain par une visite de Sainte-Sophie. Symbole de la gloire byzantine à son apogée, la basilique du 6esiècle sera remaniée en mosquée au 15e, puis en musée en 1935. Jusqu’à sa transformation en 1453, elle fut près d’un millénaire durant le plus grand monument religieux de la chrétienté. Majestueux, son intérieur suscite l’éblouissement avec la pluie d’or des mosaïques, la forêt des colonnades et son habillage en marbre précieux où le vert, le blanc et le rose se mêlent délicatement. Comme il y a 12 ans, des travaux de rénovation dissimulent une partie des trésors. Mais cette fois, c’est l’autre côté qui est caché par les bâches. En cumulant les deux visites, nous aurons donc réussi à tout voir ! Nous trainons un bon moment dans la nef surmontée d’une coupole haute de 56 mètres, large de 32 mètres de diamètre et ornée d’une calligraphie musulmane qui camoufle un Christ pantocrator. Le mélange dominant des tons bleus et ocre me ravit. Par une longue rampe pavée, nous atteignons la galerie supérieure d’où l’impératrice et les dames de la cour surplombaient les cérémonies. Comme elles, nous nous repaissons de la vue sur l’ensemble de l’édifice. De magnifiques mosaïques dont celle de l’impératrice Zoé et celle des Comnène recouvrent les murs. Elles arborent les tons bleus pour les robes de Marie ou du Christ pantocrator et l’or pour le fond, comme c’est l’usage dans l’art byzantin. Redescendus sur terre, nous terminons la visite par un dernier passage dans le narthex que je trouve très photogénique avec ses portails de marbre et ses mosaïques. Une fois dehors, la chaleur de midi nous saisit et la luminosité nous aveugle. Nous contournons Sainte-Sophie pour nous rendre à Topkapı. J’aimerais savoir si l’on peut visiter uniquement le harem. Apparemment oui, car il y a deux prix distincts : celui du Palais seul et celui du sérail. Nous reviendrons donc dans l’après-midi lorsque la lumière sera meilleure pour les photos.
Concentré sur le tri des images de ce matin et d’hier, je ne vois pas les heures défiler. Du coup, nous reportons la balade au Palais de Topkapı pour un autre jour et retournons flâner dans le Grand Bazar.
Après une journée entière passée à l’hôtel à bosser et à lire pour Chantal ou à regarder un match de foot pour moi, nous allons, la matinée suivante, encore une fois trainer du côté du Bazar égyptien. Un épicier nous apercevant s’approche, tente quelques mots de français et nous met, en rigolant, de grosses cerises dans la bouche. Délicieuses ! Nous en achetons aussitôt 500 grammes. Le paquet dure à peine cinq minutes !…
Sans réel but, nous traversons le pont Galata et entrons dans Beyoglu, le quartier de la ville moderne que la Turquie aime à présenter pour revendiquer sa place au sein de l’Union européenne. Foyer de l’intelligentsia au 19e siècle, il a conservé un côté vieillot, mais connait un second souffle incarné par une jeunesse créative et soucieuse de sauvegarder l’esprit des lieux. Avec ses innombrables bars et restaurants branchés, Beyoglu est devenu l’un des centres de la vie nocturne stambouliote. Nous passons par hasard devant la vitrine d’un magasin de sacs artisanaux. Nous ne résistons pas au désir d’entrer… et d’en acheter un en cuir. En fait, je le choisis pour moi, mais Chantal pourra me l’emprunter sans problème du fait de sa forme de besace. Par contre, n’ayant pas la somme sur nous, je dois retourner à l’hôtel chercher de l’argent. Pendant ce temps, Chantal fait les boutiques du coin. Et elle a du boulot, tellement il y en a ! Exactement une heure plus tard, je suis revenu ; j’ai marché comme un malade. Sur la table qui lui sert aussi bien de bureau que de présentoir, le jeune artisan pose gentiment devant nous thé et baklavaà volonté. Tout en savourant ce goûter improvisé, nous parlons architecture, littérature et cinéma français. Il en connait largement autant que nous. Trop sympa !
Nous continuons la balade par la très fréquentée avenue piétonne Istiklal, bordée de magasins de marques et de boutiques luxueuses qui se succèdent jusqu’à la place Taksim. À mi-chemin, le tout nouveau complexe culturel et artistique Yapı Kredi présente une rétrospective photo très intéressante sur Istanbul et l’Europe Centrale en plus d’une collection de pièces de monnaie à la renommée internationale. Akdeniz, statue monumentale et œuvre la plus renommée du sculpteur turc İlhan Koman, y est exposée au troisième étage. À l’écart de l’agitation effrénée que nous pouvons apercevoir à travers la façade en verre, nous y restons une petite heure avant de nous aventurer sans but précis dans les rues adjacentes beaucoup plus calmes.
Dans la série « tout va mal », un message de la SNCF nous apprend que le train qui devait nous emmener de Roissy à Rennes dans trois jours a été purement et simplement annulé en raison des grèves. Deux heures durant, nous tentons de trouver une solution pas trop onéreuse et surtout fiable. Après quelques hésitations et pas mal de recherches, nous optons pour le seul trajet en bus encore possible depuis la gare routière de Bercy. Mais au lieu de l’après-midi, nous arriverons simplement aux alentours de minuit. Dur, dur pour Maxence qui doit venir nous accueillir !
Nous effectuons le lendemain notre dernière visite à un monument essentiel d’Istanbul : l’église Saint-Sauveur-in-Chora. Nous empruntons d’abord la longue ligne de tramway pour nous rendre dans ce quartier assez éloigné, puis marchons durant un bon kilomètre avant d’y arriver. Comme dans pratiquement toutes les autres merveilles de la métropole, d’importantes restaurations ont lieu ici aussi. À l’extérieur, les échafaudages nécessaires aux travaux cachent complètement l’édifice et, à l’intérieur, une partie des plus belles mosaïques du monde byzantin restent interdites aux visiteurs. Heureusement pour nous, beaucoup d’entre elles demeurent visibles. Comme la basilique Sainte-Sophie, l’église fut transformée en mosquée en 1511, puis en musée en 1948. Les mosaïques et les fresques datent essentiellement de 1315 à 1321. Dans un décor d’arches et de coupoles, sur fond d’or et avec une élégance rare, elles racontent la vie de Jésus, de Marie, de divers saints et d’importants personnages de l’époque byzantine. Une heure et demie après y être arrivés, nous parvenons avec peine à nous soustraire au charme envoûtant de la bâtisse et de tous ses trésors. Magnifique, cette visite mérite vraiment le détour !
Nous reprenons le tramway pour rallier son terminus tout à l’opposé, près du Palais de Dolmabahçe situé de l’autre côté du Bosphore. S’étirant le long du détroit qui relie la Mer Noire à la Mer de Marmara, le palais évoque l’opulence, la démesure. Tout d’ailleurs comme le prix du billet d’entrée et l’incroyable queue d’attente qui nous découragent. Tant pis, nous abandonnons et embarquons sur un ferry pour traverser le bras de mer jusqu’au pont de Galata.
Au Marché égyptien, proche du débarcadère, nous retournons acheter une livre de bigarreaux au vendeur de l’autre jour. Toujours aussi rigolo le monsieur et toujours aussi bonnes les cerises ! C’est maintenant l’heure idéale pour aller au Palais de Topkapı. Mais au moment de nous procurer les billets du harem à l’entrée, la jeune fille veut nous faire en plus payer l’accès au Palais que nous avons déjà visité. Je lui montre le barème affiché avec les deux tarifs bien distincts. Rien n’y fait. Pour la seconde fois aujourd’hui, nous lâchons l’affaire. Alors, direction la Citerne-basilique. Mais, au moment de l’achat des tickets, le préposé nous apprend que toute l’eau a été pompée pour la restauration du monument. Je n’en crois pas mes oreilles. Mais quel édifice d’Istanbul peut-il donc s’enorgueillir de ne pas se cacher sous les bâches des travaux de rénovation ? Parmi tous ceux que nous avons vu ou tenté de visiter : aucun ! Impensable !
Sur la terrasse d’un restaurant près de là, un derviche tourneur effectue une danse lente devant les clients attablés et ceux, comme nous, simples promeneurs de la ruelle contiguë. Je ne sais pas si elle est aussi religieuse qu’elle le devrait, mais je la trouve particulièrement belle et envoûtante. Vingt minutes plus tard, nous repartons, comblés, diner dans notre self amélioré préféré…
En cette dernière matinée, nous bouclons les sacs et restons bouquiner dans la chambre jusqu’au check-out. Certainement pour s’excuser des problèmes de la semaine, le réceptionniste nous a autorisés à y rester plus longtemps qu’à l’accoutumée. À 14 heures précises, nous entassons les bagages dans l’entrée et allons squatter les deux fauteuils près de la fenêtre. Nous ne les quittons que pour aller manger vers 17 heures.
Nous garderons une impression mitigée de notre passage en Turquie. Autant notre séjour stambouliote d’il y a 12 ans nous avait emballés, autant ce périple nous laisse perplexes. Nous avons adoré la Cappadoce et sa population. Pamukkale aussi. Beaucoup moins Adrasan et Istanbul, même si nous y avons malgré tout passé quelques bons moments. Mais trop de problèmes sont venus gâcher le plaisir : les tentatives d’arnaque de certains ont été vraiment trop nombreuses et, ça, nous aurons beaucoup de mal à oublier…
Dommage pour toutes les autres personnes adorables, jeunes ou plus âgées, croisées lors des différentes étapes et qui représentent la majorité des Turcs !
Tout donc n’est pas encore perdu, l’espoir demeure…