Nous partons de Rennes pour la gare routière Paris-Bercy en car Flixbus dont la ponctualité ne semble pas la qualité principale. Nous arrivons en effet là-bas avec une heure de retard sur l’horaire annoncé. Nous l’avions heureusement prévu et, après une heure de trajet en métro, puis en RER, nous avons largement le temps d’enregistrer tranquillement nos bagages à Roissy-Charles de Gaulle.
Le long vol de nuit sur XL Airways se passe sans encombre et l’Airbus A330-200 se pose pile à l’heure sur le tarmac de l’aéroport Roland Garros de Saint-Denis.
Ivan nous y attend et nous emmène à La Possession dans la maison qu’il habite avec sa femme Sandrine et ses garçons Élio et Lucas. Thibault, l’ainé, a quitté le cocon familial et étudie désormais la médecine en métropole à Marseille. Nous les avons connus, il y a 6 ans, dans une guesthouse de Malacca et avons toujours gardé contact avec eux. Nous nous sommes même retrouvés pour quelques jours deux ans plus tard, au moment des fêtes de fin d’année, à Krabi en Thaïlande.
Après avoir défait nos sacs dans le bungalow mis gentiment à notre disposition, nous dégustons ensemble notre première Dodo, la fameuse bière locale, sous la véranda devant la piscine. À l’évocation de notre rencontre en Malaisie, la conversation s’anime et se poursuivrait à n’en plus finir si nos paupières voulaient bien rester grandes ouvertes. Mais après 36 heures sans dormir, l’engourdissement nous saisit subitement. Nous avons juste le temps d’avaler une assiette de rougail saucisse, le plat traditionnel de la Réunion, avant de sombrer dans un sommeil profond.
Le soleil se lève tôt ici. À 6 heures, les premiers rayons réchauffent déjà la relative fraicheur de la nuit. Sitôt le petit-déjeuner terminé, Sandrine nous emmène à Dos d’Âne pour une randonnée facile de deux heures sur le sentier du Cap Noir et de la Roche Verre Bouteille. Quatre escalades d’échelles bien sécurisées et un court passage sur une crête viennent pimenter cette première approche de la nature. Le paysage qui s’étale devant nous depuis un kiosque perché au-dessus du vide nous semble tout simplement sublime. Pourtant au fil de nos escapades, nous en découvrirons d’autres, bien plus impressionnants encore. Mais en cet instant précis, nous savons que nous allons adorer ce petit bout de France si différent des autres.
Pour varier les plaisirs, Ivan nous dépose en début d’après-midi à Saint-Denis ; il reviendra nous chercher en fin de journée après son travail. Durant la balade, nous faisons d’innombrables haltes devant les imposantes cases créoles bien entretenues qui se succèdent le long des rues du centre-ville. À l’heure donnée, Ivan nous retrouve en train de dévorer une coupe débordante chez un glacier réputé : on n’a pas su résister ! Il ne nous reste plus qu’à nous arrêter au kiosque du marchand de samoussas et autres bonbons-piments faire provision pour l’apéro.
Le lendemain Sandrine nous prête gentiment sa petite Up !pour que nous puissions faire la « Route des Plages » de la côte ouest selon nos désirs. Nous effectuons une première halte au cimetière marin de Saint-Paul où reposent de nombreux personnages célèbres dont le poète Charles-Marie Leconte de l’Isle ou le pirate La Buse et l’émouvante sépulture à la mémoire des naufragés bretons du Ker Anna coulé en 1894. La longue plage de sable noir qui le jouxte est malheureusement interdite à la baignade. L’eau trouble n’y incite d’ailleurs guère. Contrairement à celle de Boucan-Canot qui, elle, donne vraiment envie d’y piquer une tête. C’est ce que je fais dans la piscine naturelle nichée dans les rochers de la plage de sable blanc, même si la température de l’eau se rapproche plus de celle de la Manche que de celle de l’océan Indien. Un sauveteur nous informe de la présence des baleines. Nous décidons donc d’attendre un peu. Au bout de deux heures, n’ayant rien vu venir, nous reprenons la route vers le port de Saint-Gilles où nous errons sans but sur les quais de ma marina. Nous y croisons des pêcheurs au gros qui portent à bout de bras de beaux thons-bananes destinés aux restaurateurs du coin. Nous poursuivons la promenade jusque l’(H)Ermitage dont l’orthographe varie d’un panneau à l’autre ou d’un bouquin à un autre. Cachée derrière une pinède, la jolie plage de sable blanc nous invite à y étendre nos serviettes. On peut se baigner sans danger dans son lagon, mais je trouve l’eau vraiment trop froide. Plus tard dans l’après-midi nous nous rendons à Saint-Leu où une jetée au bout de laquelle des bancs accueillent les visiteurs s’avance dans la mer. Une brise venue du large nous rafraîchit agréablement. Nous ne sommes installés que depuis une minute qu’une première baleine et son petit sautent devant nous à quelques encablures. D’autant plus incroyable que deux autres arrivent juste après ! Dans l’émotion, je parviens à prendre quelques photos, malheureusement floues pour la plupart, de leurs jeux. Une dizaine de minutes plus tard, elles disparaissent dans les profondeurs de l’océan. Nous ne les reverrons plus de la journée. Nous sommes malgré tout extrêmement heureux d’avoir pu assister à ce spectacle unique. Au retour, nous profitons de la présence d’un supermarché Jumbo pour faire le plein de bière Bourbon, la fameuse Dodo, de lait et de céréales pour le petit-déjeuner.
Nous déposons la maitresse Sandrine à son école et partons avec sa voiture au marché de Saint-Paul considéré comme le plus important de l’ile, mais aussi le plus touristique. Haut en couleurs et installé sur le front de mer, il propose quantité de fruits et légumes que nous ne connaissons pas tous. Nous achetons deux valeurs sûres : un régime de petites bananes et deux jolis ananas. Une seconde partie propose des articles artisanaux dont beaucoup sont désormais fabriqués à Madagascar ou à Bali. L’authenticité péiserait-elle en train de disparaître ?
Ivan nous emmène prendre un taxi 4×4 pour parcourir les 9 kilomètres de la Rivière des Galets depuis la Possession jusqu’à Deux Bras. À partir de là, l’aventure commence.
Armés chacun d’un bâton de marche, nous entamons l’un derrière l’autre la randonnée de sept kilomètres qui va nous mener dans le cirque de Mafate jusqu’à Grand-Place École où nous passerons la nuit. Pour garder sèches nos chaussures, nous les ôtons au premier franchissement de la rivière pour enfiler les tongs. Chantal n’est pas rassurée du tout et met un long moment pour atteindre l’autre rive. Elle ne sait pas encore que nous devrons traverser le cours d’eau treize fois, dont une seule à pied sec. Au bout de six passages à gué, je l’oblige à garder ses tennis pour se déplacer plus facilement sur les gros galets glissants qui tapissent le lit de la rivière. Nous gagnons ainsi beaucoup de temps. En plus, elle semble rassurée. Avant d’attaquer la montée, je rechausse les miennes. À cet endroit, une balise indique une heure et demie de marche jusqu’au gite. Régulièrement, en attendant que Chantal me rejoigne, je sors mon appareil et prends des photos du paysage fabuleux qui nous entoure. Nous atteignons enfin un premier ilet perdu au milieu de la verdure. Mais il nous reste encore une heure de grimpette. Chantal qui a un genou qui commence à la gêner me demande d’aller moins vite. Je râle un peu en lui signifiant que si nous voulons arriver avant la tombée de la nuit, il va falloir accélérer le pas. Du coup, de trouille, elle suit presque sans broncher. La vue, tout autour de nous, est somptueuse. Les crêtes et pitons se découpent sur un ciel sillonné par le va-et-vient des hélicoptères qui ravitaillent les ilets du cirque ou bien qui promènent des touristes aisés ! À plus de 30 € la minute de vol par personne, le tarif de la balade n’est guère accessible aux budgets comme le nôtre. Dommage ! Le dernier kilomètre de montée parait interminable à Chantal. Son genou la fait réellement souffrir. Nous atteignons enfin le gite juste après 17 heures. L’accueil des jeunes patrons récompense nos efforts. L’ambiance entre les hôtes est fantastique. Dans le jardin, au pied de la statue du célèbre facteur de Mafate à qui une tournée prenait quatre jours et qui totalise plus de 180 000 kilomètres de marche à son actif, se déroulent des parties de pétanque acharnées. En savourant une Dodobien méritée après tant d’efforts, nous entamons la conversation avec deux Suissesses et une Savoyarde, toutes les trois internes dans un hôpital, en vadrouille à la Réunion. Nous dinons en leur compagnie autour d’une table collégiale où tous les clients du gite se délectent d’un cari de poulet aux lentilles et légumes accompagnés d’une sauce cacahuète. Trop bon ! Je suis même allé me resservir une seconde assiette ! Une belle part de gâteau chouchou(ou cristophine) termine d’excellente manière le repas. Pour nous achever, une bouteille de rhum arrangé offerte par les tenanciers circule de mains en mains…
Inutile de dire qu’après les efforts de cet après-midi et ce copieux diner, nous nous endormons tous les deux sans aucun problème !…
Le lendemain matin tout le monde se retrouve pour le petit-déjeuner sous un ciel sans nuages. Les confitures maison emportent tous les suffrages. Pour nous dérouiller les articulations, nous grimpons tous les deux jusqu’à Grand-Place-les-Hauts et son panorama magnifique sur le cirque. Vu d’ici, notre gite parait presque perdu dans la verdure et ridiculement petit au pied de l’imposant piton rocheux qui le surplombe. Nous le regagnons tranquillement chacun par un sentier différent. Chantal plus rapide m’y attend avec le large sourire du vainqueur ! Joie momentanée, car, pour me venger, je lui mets une pile d’abord à la pétanque et ensuite aux dominos ! Ah, ah ah !…
Nous attaquons la descente vers Deux-Bras par un autre chemin qu’hier. Le franchissement d’une passerelle métallique et celui d’un escalier périlleux taillé dans la falaise font monter notre taux d’adrénaline, à fortiori celui de Chantal qui ne se pensait pas aussi forte pour braver tous ces « dangers ». Les quatre traversées de la rivière que nous retrouvons au bas de la montagne lui paraissent même d’une banalité presque ennuyeuse. Incroyable ! Le taxi réservé hier arrive avec un peu d’avance et nous dépose à la Possession vers 16 h 30. Ivan, toujours aussi dévoué, vient nous récupérer une demi-heure plus tard.
Même si le classement de cette randonnée figure parmi les plus faciles des trois cirques, nous garderons de ces deux jours de balade en montagne un souvenir indélébile. Surtout Chantal, d’ailleurs, qui a su vaincre quelques-unes de ses phobies. Bravo à elle !