Pour éviter de tomber en plein Nouvel An chinois qui débute demain vendredi, nous préférons assurer et arriver avant la ruée pour les festivités.
Nous retrouvons notre chambre avec joie, un plaisir qui ne passera malheureusement pas la première nuit, ni les suivantes d’ailleurs. Éloignée d’une petite centaine de mètres, une discothèque a ouvert ses portes depuis notre visite de novembre dernier et les invraisemblables vibrations de sa sono ne cessent qu’à 3 heures. Inutile de décrire la tête que nous avons tous les deux au bout de simplement 3 nuits ! Même si nous parvenons à nous assoupir dans le brouhaha du restaurant tout proche, en plein air et ouvert 24 heures sur 24, et des pétarades de motos, le hurlement des enceintes vers 2 heures du matin arrive à nous tirer de notre sommeil. Énervés, nous ne nous endormons pas avant 4 heures. Pas besoin de réveil non plus : les muezzins des mosquées alentours s’en chargent très bien ! Une certaine saturation du pays commencerait à poindre dans nos cerveaux que nous n’en serions pas étonnés !
Le séjour avait pourtant si bien débuté. Chantal qui était en train de défaire son gros sac s’aperçoit soudainement qu’il lui manque son petit sac à dos. Après un détour infructueux par la réception, elle s’en va dans les rues à la recherche tout à fait hypothétique du minivan qui nous a déposés à trois cents mètres de là, il y a une bonne demi-heure maintenant. Elle en revient évidemment bredouille, la mine déconfite de circonstance. Le patron de la guesthouse qui nous connait bien prend alors son téléphone et, deux coups de fil plus tard, annonce à la pauvre Chantal que son sac sera là dans moins de dix minutes. Et c’est ce qui arriva. Le conducteur du minibus lui remet en main propre le balluchon qu’il avait récupéré sous un siège une fois tout le monde descendu. Sur ce coup-là, elle a eu beaucoup de chance. On ne comprendra d’ailleurs jamais comment le gérant s’y est pris pour retrouver le chauffeur en deux coups de fil et surtout à qui il les a passés. Radieuse, Chantal lui fait spontanément la bise, ce qui a le don de le faire éclater de rire. Tout est bien qui finit bien. En remerciement, nous lui offrons une petite bouteille de brandyachetée dans l’épicerie du coin en rentrant le soir. Sacrée Chantal !…
Le lendemain, après un sommeil un peu agité à cause des pétards, des feux d’artifice et de sourdes vibrations d’une sono qu’on entendait pour la première fois et qu’on allait haïr au fil de nos nuits presque blanches, nous errons dans les différents quartiers du centre historique. Le temple Kuan Yin Teng, connu pour être le premier jamais construit à George Town, déborde de monde et de lampions. Avec tous ces gens qui font brûler des bâtons d’encens par dizaines, une odeur âcre de fumée nous saisit à la gorge et nous entête. À cause d’elle, nous quittons à regret rapidement les lieux. Plus loin, devant une boutique, des pétards éclatent et la danse du lion qui débute attire quelques badauds dont nous faisons partie. Il y a du monde dans les rues, mais pas autant que nous le pensions. D’ailleurs, notre guesthouse n’est pas pleine ce qui, en ces temps de fête, ne nous semble pas normal. Les autres années elle l’était.
Le soir suivant, nous assistons à un excellent spectacle de variétés sur une scène montée au milieu d’une artère très fréquentée et aujourd’hui rendue aux piétons, ce qui, soit dit en passant, peut sembler bizarre dans un pays où les mots marcher, promenade ou à pied sont bannis du langage courant. Transformistes, chanteuse, magicien se succèdent à bon rythme, mais tous les numéros proposent une qualité bien au-dessus de la moyenne. La soirée se termine par, pour une fois, un très joli feu d’artifice.
Les jours se suivent et se ressemblent… et les nuits aussi ! Nous pourrions chercher une chambre ailleurs, mais nous n’en avons pas le cœur. La famille chinoise où nous logeons depuis 12 ans maintenant nous donne tous les jours quelque chose : des fruits, des gâteaux, la dame me proposant même une bouteille de rhum qu’un client lui a laissé. Poliment, je décline l’offre, préférant siroter un petit whisky local noyé dans les glaçons ; à l’heure de l’apéro, j’apprécie plus. La bière étant assez chère, nous n’en buvons que le dimanche. Sinon, durant la semaine, Chantal se paie un Coca ou un Sprite, tandis que je me sers une rasade du petit flacon de Label 99 acheté au 7-Eleven et méticuleusement divisé en quatre parts égales !
Nous retournons aussi à l’Awesome y prendre un excellent café. Assis en terrasse, nous y restons deux ou trois heures à bouquiner sur nos iPad. Le personnel qui nous aime bien nous apporte régulièrement des verres d’eau glacée. Sympa ! Nous allons pareillement passer quelques heures de lecture dans le hall climatisé de la réception du palace Easthern & Oriental Hotel pour être au calme et ainsi un peu récupérer de nos nuits sonorisées ! Par ces temps, on apprécie.
Maxence nous annonce qu’ils ne viendront pas nous voir cet été à Bali… Déçus, on peut dire que nous sommes vraiment déçus, nous qui avons changé tout notre itinéraire pour leur arrivée. Le moment d’abattement dépassé, nous estimons que, dans ce cas, nous n’avons plus besoin de retourner en Thaïlande. Comment faire pour annuler la chambre que nous avions eu tant de mal à réserver auprès de nos hôtes, eux qui ne connaissent même pas le b-a-ba de la langue anglaise ? Par chance, Sylvie et Michel y résident encore. Nous leur envoyons donc un mail pour qu’ils avertissent nos logeurs ; ce qu’ils nous confirment avoir fait dans l’après-midi. J’espère seulement qu’ils se seront parvenus à se faire comprendre. Je croise les doigts. Il n’est vraiment pas dans nos habitudes d’agir ainsi, mais le fait de ne pas retourner en Thaïlande nous arrange. Nous avons rapidement choisi de passer deux mois à Bali avant de nous envoler de Denpasar pour le Japon.
Pour cela, nous nous rendons à l’ambassade indonésienne de Penang, assez éloignée, pour y faire nos visas. Il nous manque soi-disant les billets d’avion aller. Nous devrons donc revenir demain. Par précaution, je fais un fake des vols retour que Chantal va faire imprimer. Mais, pas de chance, tout cela ne sert à rien puisqu’on ne délivre plus de visas depuis quelques mois. Ni ici, ni à Kuala Lumpur où nous pensions nous rabattre. Nous l’avions entendu, cette fois, nous le constatons. Mais, bon sang, ils ne pouvaient pas me le dire hier au lieu de nous faire revenir aujourd’hui pour que dalle ! Même si j’ai fait beaucoup de progrès depuis que
nous voyageons, j’ai tout de même les nerfs en pelote. Nous devrons donc le faire à l’arrivée et le prolonger sur place, avec tout ce que cela implique en complications et en temps perdu. Nous nous y plierons malgré tout. Pour nous détendre, après un claypot au Kapitan, nous passons la soirée sur le quai des Clans où se déroule une autre fête, avec un autre spectacle et d’autres feux d’artifice. Fête du bruit !
Un soir en rentrant nous tombons, comme en novembre dernier, sur Papy Michel, un gaillard attachant qui vient de célébrer ses 84 ans et qui arpente toujours le monde, surtout entre Sumatra, Bali et quelques pays autour comme la Malaisie par exemple. Il arrive de Bali, où nous l’avons connu, et s’envole pour Sumatra dans deux jours. Vu l’heure tardive de ce soir, nous décidons de diner demain tous ensemble. Nous nous y rendons donc le jour suivant. Accompagné d’une copine qui choisit le restaurant, il nous raconte là ses dernières péripéties indonésiennes et son envie de fêter ses 85 ans à Bali entouré de ses amis. On le lui souhaite, car il le mérite. Sacré Papy Michel, toujours plein de projets dans la tête !
L’Awesome ayant son jour de fermeture, nous dégotons un autre bar tout proche avec de confortables fauteuils en terrasse. Nous y passons deux heures tranquilles à bouquiner, même pas dérangés un seul instant par le serveur qui ne nous a jamais demandé ce que nous voulions. Une fois bien reposés, nous repartons, tout simplement…
Le restaurant indien situé sous nos fenêtres célèbre sa réouverture après travaux en mettant le feu à d’interminables tresses de pétards. Depuis des années que nous logeons dans cette guesthouse, nous n’avions jamais eu trop de problèmes pour dormir. Désormais, les choses semblent malheureusement avoir changé : une sono diffuse de la musique 24 heures sur 24 seulement entrecoupée par celle d’un vieil homme qui tente d’interpréter des airs connus, mais très mal joués, sur un violon désaccordé, certes, mais électrifié. Horrible ! Pour couronner le tout, les vibrations sourdes et syncopées de la discothèque récemment ouverte juste en face viennent pulvériser les infimes restes de notre patience plus qu’entamée. Nous n’en pouvons plus du bruit. Entre les appels hurlants à la prière des muezzins dès 5 h 30 et répétés tout au long de la journée, les motos et voitures aux pots d’échappement trafiqués, le boucan des marteaux-piqueurs des travaux diurnes et nocturnes (si, si !), les sonneries de mauvais goût des téléphones portables, le sans-gêne des gens qui y répondent en en faisant profiter tout le monde, les horloges publiques qui annoncent les heures en chanson avec une voix informatique insupportable, les boutiques indiennes qui se font concurrence en diffusant à qui mieux mieux des musiques bollywoodiennes sur de grosses enceintes posées à même le trottoir, les télés qui marchent toute la nuit, les puissantes radios qui s’allument dès le premier appel de la mosquée terminé, et je pourrai continuer ainsi ma liste sur des pages, nous sommes tous les deux en train de tout bêtement « péter un câble ». Depuis notre arrivée en Malaisie il y a trois semaines, nous n’avons pas encore dormi une nuit entière. Nous n’en pouvons plus. Tom le Scandinave que nous croisons ici et à Koh Lanta depuis des lustres nous confirme que lui non plus ne souhaite passer autant de temps à George Town. Comme nous, cette agression sonore toujours plus forte au fil des années l’insupporte au plus haut point. Est-ce une cause à effet ? Toujours est-il que, sitôt le bol de soupe matinale avalée, nous filons acheter des billets de bus pour Kuala Lumpur et réservons sur Booking une chambre à Malacca pour les quatre dernières nuits qui marqueront la fin de notre séjour malaisien… Comme pour nous conforter dans notre choix, des fusées de feux d’artifice et des tresses de pétards éclatent par dizaines un peu partout dans la ville jusqu’à très tard dans la nuit…
Le lendemain soir, pour retarder le supplice, nous restons trainer plus longtemps dans le quartier et nous asseyons sur les tabourets bancals d’un bar de rue très fréquenté et par les touristes et par les locaux. Les canettes de bière s’y vendent par palettes à un prix sans concurrence ailleurs dans la ville. Trois commis se relaient pour entasser les cartons dans l’un des nombreux frigos. Les clients viennent s’y servir et paient à la caisse avant de tenter de trouver un siège à l’extérieur ou de repartir, le panier débordant, sur leur moto garée juste devant la porte au milieu des tables. Nous sommes tous les deux médusés par la quantité vendue et bue. Tout le monde se retrouvant là pour la même chose, l’ambiance créée dans un décor réduit à l’essentiel est plutôt bon enfant. Depuis que nous venons à Penang, nous avons toujours connu l’endroit bondé sitôt l’obscurité tombée, mais nous y prenons un verre, ou du moins quelques canettes, pour la première fois ; nous l’apprécions grandement. Nous en repartons une petite heure plus tard prêts à affronter les turpitudes de notre dernière nuit à George Town.
Demain, nous rejoignons Kuala Lumpur et son odeur de béton frais…