Le métro que nous prenons derrière l’ancienne gare routière de Pudu nous dépose une demi-heure plus tard KL Sentral d’où part le train de 9 heures pour Butterworth. De là, un ferry nous emmènera sur l’île de Penang. En attendant, nous allons petit-déjeuner dans le même restaurant indien qu’avant-hier. Les roti pisang y sont tout le temps bons.
À 9 heures, heure théorique du départ, nous patientons toujours dans le hall dans l’attente de l’annonce qui nous permettra d’accéder aux quais. Personne ne bronche. Mais lorsque les portes s’ouvrent enfin, la ruée vers les escalators nous sépare, Chantal et moi, quelques instants. Nous nous retrouvons juste avant d’atteindre notre voiture et de grimper dans le compartiment frigorifique. Car tel est bien l’adjectif qu’il faut employer pour décrire la température glaciale qui règne à l’intérieur de la rame. Heureusement, à voyager depuis des années dans ce pays, nous avions prévu cet inconvénient. Nous enfilons chaussettes, pull, écharpe et nous emmitouflons dans les deux couvertures Emirates Airways que nous trimbalons avec nous depuis des années. Je me mets les écouteurs sur les oreilles et rabats en plus la capuche de mon gilet sur mon crâne dégarni. Ainsi fagotés, nous pouvons appréhender le trajet sans trop de soucis. Et dire qu’il fait déjà plus de 30 ° dehors ! Un steward passe donner à chaque voyageur un pochon contenant une briquette de jus de fruit, un paquet de gâteaux et quelques friandises. Cela nous aidera à ne pas penser à la température. Comme d’ailleurs les deux films que je regarde sur mon iPadet qui m’absorbent tellement que je suis tout surpris de constater que nous arrivons déjà à destination… Même pas froid ! Par contre, une fois sur le quai et très heureux de retrouver un peu de chaleur, nous sommes tous les deux obligés de nous arrêter pour que la buée provoquée par le brusque changement de température disparaisse de sur nos verres de lunettes. Le monde à l’envers, quoi ! En France, c’est normalement l’inverse qui se produit, c’est-à-dire les verres s’embuent lorsqu’on entre de dehors dans un lieu fermé.
Dans les nombreux escaliers qui mènent au ferry, deux militaires d’origine indienne se relaient pour porter le sac de Chantal. Elle apprécie particulièrement cette aide inattendue, mais tout de même grandement espérée ! La traversée en bateau dure une vingtaine de minutes. Arrivés à George Town, contrairement à nos habitudes, nous grimpons cette fois dans le bus no 101 pour nous rendre jusqu’à l’hôtel ; nous devons certainement avoir les muscles encore tétanisés par le froid du voyage en train. Quelques instants plus tard, nous nous installons dans « notre » grande chambre du second étage, contents d’être enfin arrivés.
Comme Chantal en avait eu il y a deux ans, c’est à mon tour d’avoir des ennuis avec mes verres de lunettes : des cloques sont apparues depuis quelque temps. Peut-être est-ce dû à la chaleur que nos montures subissent depuis que nous voyageons. Toujours est-il que je n’y vois plus grand-chose de net et que je dois les changer. Pour cela, Chantal part en quête d’un opticien qui pourrait arranger notre problème. Elle revient deux heures plus tard, radieuse. Elle en a dégoté un tout près de l’hôtel. Je m’y rends donc avec elle dans la minute qui suit. Le monsieur qui parle anglais nous fait bonne impression et me promet un résultat qui me conviendra. Renseigné et rassuré sur le prix, j’accepte le marché et laisse une avance d’une quarantaine d’euros. Je dois revenir les chercher dans une semaine. Une fois dans la chambre et après avoir réfléchi un peu, à froid, je pense que je devrais faire tailler mes nouveaux verres sur ma précédente monture que je trimballe dans le fond de mon sac depuis le départ sans jamais m’en servir. Chantal m’approuve. Embarrassé pour cette petite modification, je retourne à la boutique déposer l’ancienne paire. Le monsieur m’assure que cela ne le gêne pas du tout. Je me félicite d’être revenu : cette « nouvelle » monture me changera un peu.
Lors de nos balades, nous constatons que de nombreux magasins restent fermés. Pour certains la chose parait définitive, tandis que pour les autres il n’est tout simplement pas encore l’heure de travailler. Nous l’avions déjà remarqué au cours des séjours précédents : ici, on ouvre toujours en retard et on ferme toujours en avance. Et comme trois communautés se côtoient, la malaise, l’indienne et la chinoise, on laisse aussi les rideaux baissés les jours de fête de chaque congrégation. Et il y en a à la pelle. Mais un autre gros problème est en train d’apparaitre au grand jour : les enseignes quittent les centres commerciaux vieux d’à peine quelques années, cinq tout au plus, pour aller se réfugier, pour deux ou trois ans pour la plupart d’entre elles, dans les nouveaux qui naissent un peu partout en ville. Une fois les boutiques parties, on n’entretient plus les lieux qui se dégradent rapidement et atteignent alors le stade de l’abandon à une vitesse déconcertante. Je le dis et le répète à chacune de nos visites ici, bien que nous ne soyons pas des experts en la matière, nous ne comprenons absolument rien à l’économie de ce pays.
Nous avons pris, lors du séjour précédent, l’habitude de déguster un café le samedi matin dans un endroit que nous adorons tous les deux. Bétonné et meublé de façon hétéroclite, avec des arbres au milieu des pièces, ce café-restaurant est en train de devenir un lieu à la mode qui accueille bon nombre de Malaisiens en promenade, mais aussi quantité de touristes asiatiques en visite à Penang. Les farangs, autrement dit les Occidentaux, n’y viennent pas encore en masse. Égoïstement, nous espérons que cela durera un peu. En ce qui concerne le café servi, nous en choisissons un d’origine locale, très parfumé. Après un long sevrage, il nous parait succulent. De plus, la manière très professionnelle avec laquelle le jeune personnel nous le mitonne ne peut que nous inciter à le trouver bon. Mais notre jugement doit paraitre un peu partial…
Le dimanche matin, nous reprenons aussi l’habitude d’aller bouquiner deux ou trois heures dans les beaux fauteuils de l’Eastern & Oriental Hotel. Nous profitons, en outre, d’une climatisation bien réglée, nettement plus supportable que dans beaucoup d’autres lieux. Nous qui vivons à George Town sans l’air conditionné dans la chambre apprécions beaucoup cette parenthèse à la chaleur.
À la recherche de nouvelles murales peintes sur les vieux bâtiments du centre-ville, nous croisons, comme à Kuala Lumpur, quantité de personnes avec le regard rivé sur leur deviceet qui tentent de capturer Pikachu ou ses congénères. La foliePokémon Goa également frappé à Penang. Une foule, aussi surprenant que cela puisse paraitre, de tous les âges, se presse d’ailleurs autour d’un Pokéstopétabli tout près de la rue la plus visitée de la ville. Le délire auquel Chantal et moi ne comprenons rien continue !
En ce début de semaine, la pluie fait son apparition ; pas les averses d’un quart d’heure habituelles sous ces latitudes, mais la vraie, comme celle de chez nous. En fait, sans être du tout de mauvaise foi, nous apprécions la légère fraicheur qu’elle amène avec elle. La température chute de 4 ou 5 degrés, pour tout de même plafonner au-dessus de 25 °, lors d’une journée comme aujourd’hui. On a connu pire comme punition ! Nous restons donc à l’hôtel et chacun s’occupe à sa manière. Chantal s’installe sur un canapé sous un ventilateur, tandis que je garde la chambre et me mets à trier et à trier encore mes photos. J’en profite pour en compiler certaines en albums. Aujourd’hui, je regroupe celles qui, depuis cinq ans, nous représentent en situation dans un portfolio que je m’amuse à mettre en page de belle manière. Je ne savais pas au moment où j’ai entrepris cette besogne que j’allais passer plus d’une semaine à le réaliser. J’y ai même travaillé deux nuits entières en plus de tous les après-midis. Heureusement, le résultat final nous satisfait grandement tous les deux. Nous pouvons désormais le feuilleter sur nos iPadcomme bon nous semble.
Mes lunettes devant être maintenant prêtes, nous retournons tous les deux chez l’opticien du quartier. Celui-ci m’apporte, visiblement fier de son travail, la vieille paire d’un coup rajeunie avec ses nouveaux verres dégradés. Un peu anxieux, il me les donne à essayer : j’y vois mieux qu’avec celles que je porte d’habitude ! Soulagé par la spontanéité de ma réaction, un large sourire éclaire son visage. En cadeau, il m’offre un boitier bien rigide et un kit de nettoyage qui se révélera irréprochable à l’usage. Une fois dehors, comme à chaque fois que je renouvelle les verres, ma vue a besoin d’un certain temps pour s’habituer à ce changement. Aussi, pour l’instant, j’ai la drôle impression que le trottoir grimpe, mais grimpe ! Du coup, ma démarche moins assurée doit paraitre bien bizarre ! À mes côtés, Chantal rigole bien en tout cas !
Cela ne nous empêche pas de nous arrêter discuter avec Chua Chang, jeune artiste malais de street-art, qui travaille sur un portrait de femme à l’intérieur d’un bar. Nous avions remarqué sa murale, bien visible depuis la rue, lors d’une promenade en ville. Cette fois, nous faisons sa connaissance. Chantal le trouve très beau gosse ! Pour ma part, sa gentillesse et sa discrétion me séduisent en premier lieu. Dorénavant, nous regarderons sa peinture différemment lorsque nous passerons devant. Dans un supermarché local, tout près de là, je déniche enfin un porte-mine Parkeren métal qui me convient. Avec les 50 % de réduction, le vieux vendeur me demande moins de 5 euros. Bon investissement ! Avec l’argent ainsi économisé, Chantal achète comme tout le monde ici un Moon cake, gâteau traditionnel chinois, rond et d’un poids respectable, que l’on trouve absolument partout à l’occasion de la Fête de la mi-automne, aussi appelée Fête de la Lune. Le nôtre, de style cantonais, est fourré aux noix de cajou, aux amandes, aux graines de sésame, aux cacahuètes et au miel. Pour le faire passer, on le prendra avec un thé noir, légèrement fumé, que la patronne de l’hôtel se fera un plaisir de nous servir sur la table du palier devant notre chambre. Comme pour la Galette des Rois chez nous, la folie gourmande des Malaisiens va durer un mois. Nous en mangerons donc plusieurs nous aussi !
Près du Fort Cornwallis se tient l’United Buddy Bears, événement organisé par l’UNICEF. Des ours de deux mètres de hauteur ont pour mission d’appeler à la tolérance et à l’entente entre les peuples, les cultures et les religions. Chacun d’entre eux symbolise l’un des pays reconnus par les Nations Unies et a été créé par un artiste en hommage à sa patrie d’origine. Vaste œuvre d’art internationale, elle a et fait toujours l’objet de multiples présentations dans le monde, dont une sur le Champ-de-Mars à Paris en 2012. L’exposition que nous visitons aujourd’hui succède à celles de La Havane et de Santiago. Disposés en cercle au milieu du parc, les animaux aux couleurs chatoyantes attirent forcément une foule de curieux qui se prennent en photo au pied de leurs préférés. Même si le français, peint par l’artiste Bruno di Martino, séduit beaucoup de personnes, celui qui draine le plus de monde est sans conteste l’ours américain représentant la Statue de la Liberté. Nous ne résistons pas au plaisir de nous photographier au milieu d’eux.
Nous terminons la semaine par une journée de plage à Ferringhi. La chance ! Les transats du dernier séjour que nous retrouvons empilés les uns sur les autres ne sont pas tous attachés. Nous pouvons donc en prendre un chacun pour nous allonger. Chantal apprécie.
Le dimanche, nous aimons fréquenter les centres commerciaux où règne ce jour-là, et simplement ce jour-là, une cohue joyeuse. Au Queensbay, la foule des badauds farfouille gentiment dans les rayons, de boutique en boutique. Beaucoup nous saluent. Nous leur rendons de bonne grâce leurs sourires. Contrairement à eux qui achètent beaucoup, nous restons cette fois sérieux, aucun ne cédant à la tentation. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, nous rentrons tous les deux les bras ballants d’une journée de shopping !
Pour fêter cette victoire sur nous-mêmes, nous nous laissons aller à commander, en guise d’apéritif, une Carlsberg bien rafraichissante au patron de l’hôtel.