Avec nos bagages encombrants, nous préférons prendre un taxi pour nous rendre à quelques centaines de mètres d’ici au Chalet des Roses. Parmi tous les véhicules vétustes qui attendent le client au pied du grand escalier de notre hôtel, nous portons notre choix sur une Renault 4L datant certainement de Mathusalem. Si la carrosserie fraiche repeinte peut prêter à confusion, l’habitacle, lui, trahit immédiatement son âge réel. Tellement excités de remonter pour la première fois depuis au moins 40 ans dans ce monument de l’automobile française, nous parvenons sans mal à faire totale abstraction des sièges défoncés, des amortisseurs trop mous, des vitesses qui craquent, des freins qui grincent, des…, des… ! Et comme ce n’est pas suffisant, le chauffeur n’hésite pas une seconde à couper le moteur dès qu’une pente, aussi légère soit-elle, se présente sous les pneus lisses. Même pour une vingtaine de mètres ! Dix minutes plus tard, il nous dépose triomphant devant notre destination. On s’en souviendra longtemps de ce petit kilomètre !
Pour notre première étape, nous avons préféré assurer. Nous allons nous rendre à Antsirabe en taxi-brousse. Mais VIP : un seul client par siège et sept passagers au maximum. En fait nous sommes cinq en plus du chauffeur. Et cinq Français, dont un Breton de Rennes qui supporte le Stade Rennais et qui fréquentait notre magasin de bonbons ! Que le monde est petit ! Avec le collègue de boulot, un Ch’ti, qui l’accompagne, il demande quelques tuyaux au cinquième passager qui connait bien Madagascar. Ce gars nous apprend qu’il vient de Laval, même s’il vit actuellement à la Réunion ! Décidément… Avec l’humeur badine qui règne dans le véhicule, nous sommes tous surpris d’arriver à Antsirabe. Personne n’a rien vu du paysage entre les deux villes ! Nous nous souhaitons bonne poursuite de voyage en rigolant.
Un vélo-pousse nous emmène de l’Alliance Française où le taxi nous a déposés jusqu’à notre hôtel distant d’un kilomètre et demi. Tassés dans la carriole, nous plaignons le pauvre homme pas bien épais qui doit trainer nos deux poids, plus la bonne cinquantaine de kilos des bagages. Les 2 000 ariarysqu’il demande pour sa course nous paraissent, pour une fois, bien peu. Nous allions partir diner lorsqu’un orage éclate soudainement. Retour à la chambre pour prendre les K-wayet une lampe de poche, car avec l’averse survient une coupure d’électricité qu’on nous dit quotidienne et de durée indéterminée. Un vélo-pousse qui devait trainer devant l’hôtel propose ses services. Nous n’hésitons pas une seconde et grimpons sur le siège en Skaï. Le conducteur qui prend bien soin de nous attache un plastique à la capote. Bien au sec, alors que le pauvre gars reçoit des seaux d’eau sur la tête, nous nous rendons au restaurant que nous a conseillé tout à l’heure le Réunionnais de Laval. Nous l’y retrouvons d’ailleurs attablé devant son assiette débordante, seul vazahaau milieu d’une flopée de Malgaches venus en famille à l’occasion du week-end. D’un signe, il nous invite à le rejoindre. Durant une bonne heure, il nous raconte une pléthore d’anecdotes sur le pays qu’il semble connaitre presque comme sa poche. Certains de ses conseils se révéleront très judicieux. Nous regagnons le logement en vélo-pousse dans la nuit noire, simplement éclairés par la lampe du conducteur, aussi épuisée que lui.
Au petit-déjeuner, le patron français de l’hôtel pose devant nous un beau pain-couronne, du beurre salé, des confitures maison, du café, du chocolat et un grand bol de fromage frais. On se régale.
Pour notre première balade en ville, nous nous cantonnons à la rue principale. Les cyclo-pousses qui passent devant les façades des habitations et des magasins, plus colorées les unes que les autres, attirent toute notre attention. Nous shootons tous les deux à n’en plus finir ; ça promet pour le tri de ce soir ! Nous ne résistons pas au plaisir de pénétrer dans la pénombre d’un marché couvert assez typique où les légumes bien rangés côtoient dans un désordre presque bien ordonné les poissons séchés ou pas, les volailles vivantes attachées entre elles par les pattes ou les saucisses qui pendent en chapelet au-dessus du billot du boucher. De partout, les « vazahas ! » fusent. Tout le monde nous appelle et, dans un large sourire, nous souhaite le bonjour. Nous achetons un sachet de bonbons pour en faire la distribution aux enfants qu’on photographie. Mais bien vite, les adultes nous font signe de les prendre aussi. En visionnant sur nos écrans leurs portraits, réussis ou non d’un point de vue technique, ils partent dans des rires qui deviennent très rapidement communicatifs. En ressortant, nous pensons tous les deux à toutes les recommandations et les mises en garde que nous avions reçues. Nous les avons définitivement oubliées…
En rentrant de notre promenade urbaine, nous nous arrêtons réserver une moto dans une agence tenue par un Français et sa femme malgache. Le coût de la location à la journée ressemble bien plus à un tarif français qu’à celui que nous avons l’habitude de payer en Asie, mais je souhaite absolument faire un tour par mes propres moyens dans la campagne autour d’Antsirabe. Nous la prendrons donc à 8 h 30 demain matin. Ils n’ouvrent pas avant. Juste devant chez nous, nos deux copains breton et ch’ti d’hier qui sont en train de terminer leur balade font pétarader la leur en passant à notre hauteur. Nous tressautons ; ils sont pliés de rire, les gamins !
Ce matin, Pascal, le patron de l’hôtel, nous apporte un Camembert local avec la couronne de pain, le beurre, la confiture, le café et le chocolat. Nous ne nous croyions pas capables d’ingurgiter un demi-fromage au petit-déjeuner. Je sais désormais que ça ne coûte aucun effort ! Délicieux, même si l’appellation Camembertdonnée au palet semble un peu usurpée !
Sitôt régalés, nous partons chercher la moto sous un soleil éclatant. Pour minimiser les risques, je la prends en main, seul. Au bout d’une centaine de mètres et après quelques essais de freinage, Chantal monte quelque peu tendue derrière moi. Nous pouvons y aller !
Nous avons décidé de nous rendre à Betafo situé à une vingtaine de kilomètres et où se déroule aujourd’hui le marché hebdomadaire. En chemin, nous nous arrêtons discuter un peu avec des fabricants de briques qui sont en train de sortir leurs pavés de terre cuite du four pour les entasser dans la remorque d’une carriole tirée par deux zébus. Nous effectuons plusieurs haltes sur le trajet, le paysage en valant la peine. Des hameaux de maisons carmin, parfois avec le toit de tuiles rouges, parsèment le flanc des collines, tandis que dans les vallées, les rizières accaparent tout le terrain. Ou, plus exactement, les futures rizières puisque les paysans sont en train de les labourer à la main à l’aide de longues pelles. Mais dans quelques parcelles déjà prêtes, des femmes sont occupées au repiquage. Dans deux ou trois semaines, tous les champs devraient avoir perdu leur couleur ocre tirant vers le rouge pour un vert tendre qui contrastera avec la sécheresse des montagnes environnantes.
Plus on approche de Betafo, plus la chaussée est encombrée par les charrettes et les gens qui s’y rendent à pied ou en vélo. Dans les taxis-brousse, on se tasse encore plus que d’habitude ; chose que nous aurions au prime abord pensé impossible, mais, somme toute, d’une banalité déconcertante à Madagascar ! Après avoir garé la moto sur le parking d’un petit hôtel à l’entrée du village, nous nous mêlons à la masse des arrivants pour gagner le centre et déambuler parmi les stands de chapeaux de paille étalés à même le sol, de chaussures présentées pendues par une ficelle, de vêtements tous plus fripés les uns que les autres. Au milieu de ce fatras invraisemblable, des gamins tentent de vendre quelques poignées de cacahuètes ou quelques mangues qu’ils ont ramassées en cachette dans un jardin. Nous trainons plus longtemps dans la partie alimentaire. Joliment disposés sur des bâches étendues à même le sol ou dans des paniers, les choux, les patates et le manioc dominent. Nous prenons tous les deux pas mal de photos. Pour ma part, je réalise un beau cliché d’un vieil homme barbu portant un chapeau. Pour ne rien gâcher, son extrême gentillesse nous séduit tout de suite et nous touche. Nous restons bavarder un petit moment avec lui avant de continuer une intéressante série de portraits que je conclue avec celui d’une gamine qui vend, bien rangés dans le caniveau, ses quelques haricots, gousses d’ail et courgettes. Après que je lui aie montré la photo, elle reçoit le bonbon que je lui tends comme un trésor : ses yeux brillent d’une reconnaissance touchante. J’en suis presque gêné…
Nous terminons cette matinée de marché par une visite de la superbe église du village. Nous voyant chercher l’entrée, le bedeau accourt nous ouvrir la porte. Depuis notre arrivée à Madagascar, nous avons en effet constaté que ce genre d’édifice était pratiquement toujours fermé ! La faute, parait-il, aux bandits qui rodent. Soyons sur nos gardes, nous aussi !…
Revenus à Antsirabe, nous décidons de descendre une trentaine de kilomètres vers le sud, sur la RN7. Nous ne regrettons pas notre choix. Les paysages que nous traversons proposent de nombreuses vues intéressantes. Nous nous arrêtons donc souvent. Je suis en train de prendre des photos quand j’aperçois des gens d’un hameau qui me font de grands signes. Vazahas ! Vazahas !J’invite Chantal à me suivre. Lorsque nous arrivons devant eux, un homme s’avance vers nous et se met à nous causer en malgache. Je tente de nous présenter en français, puis en anglais, mais je découvre vite qu’il ne comprend rien. Nous « discutons » malgré tout, chacun dans notre langue, pendant un bon quart d’heure. Je devine qu’il nous parle de sa famille lorsqu’il désigne une à une les personnes qui composent le groupe qui ne cesse de grandir au fil des minutes. Quand nous nous éloignons après la traditionnelle distribution de bonbons, lui et la marmaille attachée à nos trousses nous accompagnent jusqu’à la route où j’ai laissé la moto. Tout le monde agite la main en nous regardant partir. Encore un moment d’intense émotion !
Nous nous arrêtons tant de fois sur le chemin du retour que deux cyclistes locaux qui s’entrainent nous passent et nous dépassent à plusieurs reprises malgré les longues et difficiles montées qui jalonnent la route. L’un d’entre eux arbore fièrement les couleurs d’un club morbihannais. Nous en rigolons ensemble avant que j’accélère franchement et les sème dans la ligne droite qui entre dans Antsirabe. Non, mais !
Pour clôturer en beauté cette journée de rencontres, nous commandons des plats malgaches : un romazavapour moi, ragout de zébu, de poulet et de brèdes accompagné de tomates, de manioc et d’épices, et un mozakikypour Chantal, brochette grillée de zébu qu’elle demande avec des pommes sautées au lieu des patates douces, du manioc cuit et de la sauce pimentée servis traditionnellement. Mais avant de gouter tout cela, nous nous délectons d’une grande et rafraîchissante THB (Three Horses Beer), la très bonne et célèbre bière malgache brassée ici à Antsirabe.
Le lendemain, nous allons à la gare routière réserver nos billets de taxi-brousse. Il vaut mieux s’y prendre le jour précédent pour avoir les deux places près du chauffeur. Ce sont en effet les meilleures, car partout ailleurs dans le véhicule les gens s’entassent les uns collés aux autres ou, pire, les uns sur les autres ! On a vu jusqu’à 7 personnes sur une rangée de 4 sièges ! Les bagages et tout le reste s’amoncellent sur le toit. La police et la gendarmerie postées à la sortie des villes et villages en profitent largement en se faisant graisser la patte par les chauffeurs qui en leur glissant discrètement quelques billets évitent de lourdes amendes pour non-conformité de leur véhicule à la circulation routière. Nous avons tout de même vu deux de ces taxis-brousse surchargés au fond d’un ravin ! Nous croisons les doigts pour arriver sains et saufs à destination…
La réservation effectuée, nous revenons en cyclo-pousse au centre-ville où Chantal craque pour une tablette d’un chocolat noir local qu’elle juge décevant malgré ses 75 % de cacao. Personnellement, je lui trouve un arrière-goût de vieux ou de moisi, je ne sais pas trop, mais je ne suis pas connaisseur.