Nous quittons notre hôtel de Hanoi en fin d’après-midi pour nous rendre à l’agence de voyages toute proche qui nous a vendu les billets. Après y avoir patienté quelques minutes, un monsieur en moto nous demande de le suivre… à pied, durant quelques centaines de mètres en tirant nos sacs au cœur du trafic ! Là, après une nouvelle attente en compagnie d’une jolie Coréenne et de quelques autres routards, nous nous entassons tous dans un taxi, au milieu des bagages. Ma claustrophobie ne tarde pas à produire son effet et me fait ouvrir grande une portière en pleine circulation pour éviter de complètement suffoquer. Je n’ai cure des hurlements du chauffeur et des motards surpris de ma manœuvre et en profite pour baisser les carreaux de mon côté. Coincé sur mon siège étriqué au fond du van, je peux enfin respirer à mon aise l’air vicié, mais si vivifiant, de la capitale vietnamienne. Grand ouf de soulagement, j’ai failli paniquer ! Arrivés à la gare routière, nous constatons avec bonheur que le bus pour Luang Prabang au Laos part exactement à l’heure prévue, juste à la tombée de la nuit. Allongés sur nos couchettes, nous en avons pour plus de 25 heures, mais nous ne savons pas encore. Et tant mieux ! Malgré le parcours sinueux, nous parvenons tous les deux à dormir un peu et le jour se lève lorsque nous atteignons la frontière. En tout et pour tout, nous ferons deux arrêts (un tard le soir et un autre le lendemain midi) pour manger et ce stop à la douane. La nuit est déjà tombée quand le bus s’immobilise enfin devant la gare routière de ce gros village posé sur les bords du Mékong. Après un court trajet en tuk-tuk, nous retrouvons avec un réel plaisir la guesthouse où nous avons logé il y a quatre ans, lors de notre séjour précédent au moment des fêtes de fin d’année. Le papy qui, je crois, nous a reconnus, nous reçoit toujours aussi gentiment et nous attribue une chambre moins chère que l’autre fois. Il faut dire que nous y avions passé Noël et le Nouvel An et que les hôtels étaient bondés durant cette période. L’affluence moins conséquente aujourd’hui, les tarifs chutent en conséquence, pour notre plus grande joie. Pour fêter notre arrivée, nous nous installons sur la terrasse et dégustons avec délectation une Beerlaotrès fraîche que Chantal s’est procurée à l’épicerie du coin. Elle nous fera office de souper, car nous avons tous les deux l’estomac en compote et un gros mal de tête après toutes ces heures de transport sur les routes sinueuses de montagne. Cette nuit, nous dormirons comme des loirs…
Après un long sommeil qui nous remet sur les bons rails, nous allons prendre le petit-déjeuner dans le resto d’à côté que nous fréquentions avec une certaine assiduité. Malheureusement, la qualité a bien baissé et la soupe aux nouilles qu’on nous sert n’en a plus que le nom ; ils ne nous verront plus. Déçus, mais tout de même repus, nous partons à l’assaut de la spécialité de la ville : les temples. À notre goût, ils font franchement partie des plus beaux d’Asie avec ceux de Chiang Mai en Thaïlande. Pour aujourd’hui, nous nous contentons de les regarder de loin. Nous y entrerons les jours suivants.
En longeant le Mékong, nous passons devant le café le plus réputé de Luang Prabang et les jus de fruits ne nous laissent pas insensibles. Après avoir traversé la salle du bar décorée avec de vieux side-cars superbement retapés et un tuk-tukantique magnifique, puis un jardin arboré avec de nombreux coins-terrasses différents, nous prenons place dans une grande paillote en bambou face au fleuve, allongés sur des futons et le dos calé par un gros coussin. Mon jus de mangue avec de la cannelle et un autre fruit que je ne connais pas et celui multifruits de Chantal nous comblent de bonheur tellement ils sont épais et goûteux. Nous en profitons pour bouquiner sur nos iPad durant une bonne heure, bien à l’abri du soleil et de la chaleur qui règne aujourd’hui. Les ventilos marchent à fond et nous avons un mal fou à quitter nos douillets matelas et devons prendre notre courage à deux mains pour nous arracher de ce lieu si pittoresque, calme et accueillant. Nous retournons tranquillement vers l’hôtel en nous arrêtant dans trois ou quatre temples regarder les moines novices fabriquer des lanternes à l’aide de boites de conserve vides, de baguettes de bambous qu’ils viennent de tailler, d’un peu de colle et de papier crépon. Le résultat est assez bluffant.
Après notre bière apéritive sur la terrasse de la guesthouse, nous allons dîner au marché de nuit coincé dans une ruelle où les routards du monde entier se retrouvent autour d’une assiette préparée dans l’un des nombreux self-services locaux. Ce soir, légumes divers, pâtes, nems, blanc de poulet grillé, saucisse épicée de Luang Prabang et fruits composent notre menu. Nous nous en sortons pour 5 euros à nous deux, ce qui est presque cher en Asie (je sais, je fais rêver ceux qui font leurs courses dans un hyper français)…
Pour le petit-déjeuner du lendemain, nous devons nous coltiner un bon kilomètre à pied pour nous rendre dans une pâtisserie que nous connaissons depuis notre premier passage ici, il y a neuf ans. Bien qu’elle ait changé de place, la qualité semble encore au rendez-vous : les croissants sont toujours aussi gros et chocolat aussi onctueux. Des œufs au plat, du beurre, de la confiture et un grand verre de jus de fruit complètent ce repas matinal. Lorsque nous en repartons, une demi-heure plus tard, nous savons que nous tiendrons sans problème jusqu’au diner.
À quelques mètres de là, des dizaines de moines novices se regroupent dans la cour d’un temple, devant un parterre de vieux bonzes qui les attendent. Nous prenons quelques photos de ce tableau coloré avant de continuer la balade à travers le village. Le marché local occupe quelques ruelles près de notre guesthouse. Nous y flânons un long moment, nous amusant des brochettes et des plats proposés. Nous avons beau arpenter les étals asiatiques depuis cinq ans, ceux du Laos sont particulièrement… surprenants. Déjà grillées, des bêtes de toutes plumes, de tous poils (du moins, nous l’imaginons en étudiant leur apparence !) attendent les acheteurs. Ceux-ci discutent rapidement du tarif avant de se décider. Le rayon des légumes remporte toujours la palme de la couleur et de la présentation ; ceux du poisson et de la viande crue, celle de l’odeur. Mais le grand prix de l’originalité est sans conteste attribué aux vendeurs de gros vers blancs bien appétissants pour les Laotiens, de criquets grillés aux pattes poilues et charnues enfilés sur un pic en bois, de brochettes d’œufs couvés qui cuisent doucement au-dessus de la braise, de viande de chien dont on reconnait une cuisse et la queue, de lapins sans oreilles, fendus en deux et bien aplatis, qui doivent en fait être d’énormes rats, d’oiseaux bizarres, rachitiques sans leur plumage coloré… Bref, plein de bonnes choses ! Chantal ne sait plus où filmer tant les stands sont nombreux et étonnants pour nos yeux d’Européens.
Chaque jour, nous faisons quelque chose de différent. Ainsi allons-nous nous balader un matin du côté du pont en bois et poutres d’acier qui enjambe la Nam Khan, à quelques centaines de mètres du confluent avec le Mékong. Chantal, toujours aussi craintive dès qu’il faut traverser un cours d’eau, me fait rire avec sa démarche peu assurée sur les planches disjointes de la passerelle extérieure. Les voitures sont interdites sur cet ouvrage peu sécurisant ; seuls les vélos et les motos peuvent emprunter les deux voies très étroites. Les piétons, eux, sont cantonnés sur les bords. Une fois arrivés de l’autre côté, nous faisons le chemin inverse par la seconde passerelle, histoire de voir l’amont de la rivière et de prendre quelques photos d’un joli temple doré qui domine le paysage au loin. Sur les rives, nous pouvons apercevoir des jardins en terrasses qui dévalent jusqu’à l’eau. Bien entretenus, ils produisent beaucoup des légumes qu’on retrouve ensuite sur les étals des marchands. Revenue saine et sauve à son point de départ, Chantal pousse un grand ouf ! de soulagement avant de pénétrer dans quelques-uns des édifices religieux du coin.
Lors de ces marches, nous croisons parfois des mariés en train de se faire tirer le portrait en tenue traditionnelle. J’en profite toujours pour voler quelques clichés. Ils en paraissent souvent flattés, même s’ils restent concentrés sur ce que leur demande leur photographe attitré. Des sourires complices, mais discrets concluent la plupart du temps ma petite séance.