Comme hier, nous commençons la journée par une assiette de soupe aux nouilles fraiches chacun. Que dis-je, une assiette ? Non, une soupière ! Et certainement pas la plus petite ! Chantal fait la moue, découragée d’avance. Je lui promets de l’aider à terminer si elle n’y parvient pas. Et, comme je m’y attendais, je me retrouve, une dizaine de minutes après, avec son bol à moitié plein. À moitié vide ! affirme-t-elle. Problème éternel !…
Nous prenons le métro pour nous rendre dans le centre-ville. Nous achetons une carte valable 3 jours. Cela nous fera gagner un peu d’argent et, surtout, beaucoup de temps en nous évitant les longues queues devant les guichets automatiques. Un changement, quelques stations et une demi-heure plus tard, nous pénétrons dans le parc de la Place du Peuple. Tandis que je suis en train de photographier une sculpture, quatre jeunes filles, très mignonnes, nous abordent et se mettent à nous parler dans un excellent anglais, ce qui semble plutôt rare ici, à notre grand étonnement. La conversation s’éternisant, elles nous proposent de la continuer en savourant une tasse de thé. Nous quittons donc le parc pour nous engager dans une petite rue adjacente tout en continuant à papoter. Puis, par une vilaine porte coincée entre deux bouibouis, elles nous font descendre quelques marches et pénétrer dans un salon miniature où nous nous entassons tous les six devant une table où sont disposés de minuscules godets et une bouilloire fumante. Lorsque le maitre du protocole, en tenue de mandarin, nous tend la liste des différentes origines, j’ai un doute. Que Chantal lève aussitôt en me glissant à l’oreille qu’elle avait lu dans un guide que de jolies jeunes demoiselles chassaient les pigeons dans les lieux touristiques pour, soi-disant, les initier au cérémonial du thé. À environ 7 euros la feuille pour la moins chère, l’arnaque (car, cela en est une belle) peut alors rapidement se transformer en cauchemar pour les naïfs. D’autant plus que les filles, très persuasives, ont vite fait de convaincre les plus réticents à en tester plusieurs différentes. Coincés au fond du cagibi, et malgré l’exiguïté, nous parvenons à nous lever tous les deux et demandons, de manière ferme, mais surtout sans perdre un seul instant le sourire, à ce que nous puissions sortir. À notre grand soulagement, après une ultime tentative pour nous retenir, elles nous laissent nous extirper de cet endroit malsain. Ouf et re-ouf ! En me retournant, j’aperçois leurs mines déconfites et j’ai immédiatement confirmation que nous venons d’échapper à une grosse escroquerie. Merci, Chantal, de m’avoir mis la puce à l’oreille ! Par contre, pour rassurer tout le monde, à aucun moment nous ne nous sommes sentis en danger. Mais nous avons tout de même failli nous faire avoir comme des novices. On vieillit, on vieillit…
Après cet épisode qui aurait pu nous coûter très cher, nous reprenons le métro pour passer sous la rivière (au minimum deux fois plus large que notre fleuve la Seine) et rejoindre les gratte-ciel de Pudong, le plus gros centre d’affaires de Chine. Ce quartier tout neuf, puisqu’en 1990 il n’était encore qu’un royaume paisible de terres agricoles, est surnommé le Manhattan de Shanghai. Il abrite quatre des constructions les plus symboliques de Chine : la tour Perle d’Orient, la plus reconnaissable avec ses trois joyaux enfilés sur une sorte de trépied et troisième tour de télévision la plus haute du monde avec une antenne culminant à 468 mètres, la jolie tour Jin Mao et ses 421 mètres qui accueille l’hôtel Grand Hyatt, le SWFC, de 492 mètres, qui ressemble franchement à un décapsuleur et, enfin, la plus récente, la Tour Shanghai, à l’heure actuelle second édifice le plus haut du monde avec ses 632 mètres, soit, à quelques mètres près, deux fois la taille de la Tour Eiffel !
La promenade débute sur le Ring, sorte d’anneau piétonnier suspendu au-dessus d’un grand rond-point d’où l’on jouit d’une vue magnifique sur les gratte-ciel environnants et le Bund, de l’autre côté de la rivière Huangpu. De là, nous empruntons l’Avenue du Siècle le long de laquelle les buildings les plus élevés se succèdent. Les 5 kilomètres de l’artère nous semblant interminables, nous reprenons le métro pour rallier la Cité des Sciences que l’on pourrait un peu comparer au Parc de la Villette à Paris. En fait, nous n’en faisons que le tour avant de retourner sur la promenade du Bund assister au coucher de soleil sur les immeubles de Pudong. Beaucoup de monde se presse le long du quai : une très forte majorité de Chinois et seulement quelques étrangers perdus au milieu de la masse asiatique. Les jeunes forment le plus gros de la troupe et se tirent le portrait en selfie avec leur téléphone mobile. Deux charmantes demoiselles viennent se faire photographier en compagnie de Chantal. Celle-ci a d’ailleurs un succès fou : beaucoup lui regardent les pieds lorsqu’ils la croisent ! Trop drôle, mais totalement incompréhensible pour nous. Est-ce ses sandales en peau de serpent ? Ses ongles vernis de deux couleurs différentes ? Nous ne le savons pas, mais cela nous amuse beaucoup. Nous restons un long moment contempler les immeubles qui commencent à s’illuminer avec la tombée de la nuit. La scène nous ravit, mais celle de Hong Kong, à la même heure, avait plus marqué nos esprits. Pour rejoindre la station de métro, nous redescendons une partie de Nanjing Lu, bondée. De chaque côté de la rue, empiétant d’un bon mètre sur la chaussée pour élargir les trottoirs, un cordon ininterrompu de militaires en tenue contient le flot paisible des piétons et arrête la foule aux croisements pour permettre aux véhicules de passer sans danger. Impressionnant…
Il fait nuit depuis deux heures lorsque le jeune serveur de « notre » restaurant pose une assiette de riz frit devant Chantal et une de mouton aux nouilles devant moi. Tandis que ma femme s’endort sitôt s’être allongée, je reste consciencieusement trier et référencer mes photos jusqu’à 3 heures du matin. Après, je m’étonne d’être fatigué…
Nous avons lu dans notre guide qu’aujourd’hui 1er mai était férié ; pour les fonctionnaires peut-être, mais certainement pas pour les commerçants. Tous les magasins semblent en effet ouverts.
Rassurés sur l’ouverture des boutiques, nous prenons la direction de l’ex-Concession française. Une fois sortis du métro, nous ne reconnaissons pas la description lue dans le guide du Routard. En y regardant de plus près, je me rends compte que nous nous sommes trompés sur l’orthographe d’une rue : une lettre à la place d’une autre (en l’occurrence, un C à la place d’un K) et nous voilà à l’opposé du lieu où nous souhaitions aller ! Re-métro donc, et, cette fois, nous débarquons au bon endroit. Le quartier nous parait immédiatement agréable avec ses artères à taille humaine bordées d’innombrables arbres. Aussi, lorsque nous pénétrons dans une des venelles de Taikang Lu, la surprise nous cloue presque sur place : une foule compacte s’agite en tous sens dans cette galerie marchande à ciel ouvert. Inintéressantes à souhait, toutes les boutiques se ressemblent, presque toutes vendent la même chose et, pour couronner le tout, il m’est impossible de prendre une photo valable, comprimé que je suis par la marée humaine. Comme pour un week-end normal, la foule se concentre autour des lieux touristiques, les Chinois représentant pratiquement la quasi-totalité des voyageurs dans leur propre pays. N’y tenant plus, nous parvenons tant bien que mal à nous extraire de cette masse joyeuse, certes, mais extrêmement dense et bruyante. Quelques instants plus tard, nous retrouvons avec bonheur les rues plus calmes de l’ex-Concession. Sur les trottoirs, le feuillage des platanes filtre avec efficacité le chaud soleil et rend la promenade fort agréable. L’ancienne résidence du camarade Zhou Enlai nous ouvre ses portes quelques centaines de mètres plus loin. Dans cette maison comparable à un pavillon nos banlieues avec sa toiture et ses fenêtres latines, ses murs recouverts de vigne vierge et son jardin d’agrément planté d’arbustes, vécut, durant une année, le Premier ministre de la République populaire de Chine. L’intérieur de la demeure, d’une très grande sobriété, reflète le caractère simple qu’on attribue au personnage.
Nous poursuivons la promenade par un passage au parc Fuxing où les pelouses sont envahies par ceux qui, allongés dans l’herbe, s’adonnent au bronzage et par les hommes d’âge plutôt avancé qui manient le cerf-volant. Une femme qui chante merveilleusement bien nous fait nous arrêter pour l’écouter un bon moment. Plus loin, un groupe de musiciens émérites retient notre attention ; surtout une vieille dame qui joue de son harmonica avec un réel talent. À chaque pause, nous avons droit à de larges sourires, signes d’une certaine complicité. Défatigués, nous reprenons notre marche vers Huaihai Lu, l’ex-avenue Joffre de la période coloniale. Les marques de luxe ont ici pignon sur rue. Que le communisme semble loin ! Pour notre part, nous pénétrons dans un magasin Nike qui présente ses produits sur trois grands étages. Immense ! Après avoir arpenté ces Champs-Élysées shanghaïens sur quelques centaines de mètres, nous nous dirigeons vers l’ancien Cercle sportif français, désormais reconverti en luxueux hôtel japonais. Peu de temps après sa construction en 1926, il devenait le centre de la vie mondaine de la Concession. Pour vous dire, on y jouait au tennis et à… la pétanque ! Aujourd’hui, dans le parc attenant, des garçons en livrée servent un repas de mariage. Par un lourd tourniquet, nous entrons dans le hall. En tongs et bermuda, je ne dois pas avoir la tenue adéquate. Pourtant, personne ne m’en fait la remarque, contrairement au Raffles de Singapour où l’on m’avait prié de sortir. Nous en profitons pour grimper au Sky Bar Loundge du 33e étage par l’ascenseur extérieur. Terrorisée, blottie contre la porte, Chantal savoure à peine la vue sur le quartier et sur la ville. Dommage pour elle, car le prix des consommations étant trop élevé pour nous, elle doit une nouvelle fois faire fi de son ascensumophobie pour la descente. Elle ne retrouve son sourire qu’une fois les pieds sur le sol en marbre du hall de la réception. Le soleil de cette fin de journée teinte les habitations et les édifices d’une belle couleur dorée. Aussi décidé-je de retourner vers la Place du Peuple d’où l’on jouit d’une jolie vue sur les immeubles de Nanjing Lu.
Le ciel gris du lendemain matin nous incite à partir visiter la vieille ville chinoise. Une fois sur place, nous découvrons en fait un quartier qui ressemble à un décor de cinéma, un peu carton-pâte, avec ses maisons aux toits typiques, mais aux murs trop bien refaits. Comme hier, une joyeuse cohue envahit les rues et, comme hier, les boutiques de souvenirs sont toutes plus inintéressantes les unes que les autres. Nous n’avons encore fait que quelques pas quand les premières gouttes de pluie se mettent à tomber. Puis arrive la grosse averse. Comme beaucoup, nous nous réfugions sous le porche d’un temple pour attendre une accalmie. Celle-ci tardant à venir, nous achetons, pour 1,40 euro, un petit parapluie en plastique transparent jaune ; pas forcément joli, mais efficace… pour une personne ! Nous aurions dû en prendre deux, mais Chantal, avec son bob imperméable et son coupe-vent, me le laisse pour moi tout seul. Galanterie typiquement chinoise ; j’adore ! La journée semblant définitivement fichue, nous descendons dans la première bouche de métro qui se présente et rentrons tranquillement à l’hôtel. Lorsque nous y arrivons à 13 heures, il pleut toujours…