À peine descendus du bus qui nous a amenés, en 5 heures, à Kuala Lumpur depuis l’île de Penang, nous grimpons dans la navette de l’aéroport KLIA2 prête à partir. Elle nous dépose, une heure plus tard, devant la porte des départs. Réservé aux vols nationaux et aux compagnies low cost, ce nouvel aéroport ne cesse de s’agrandir depuis son ouverture en 2014. Le hall, désormais terminé, nous semble immense avec ses boutiques luxueuses innombrables. Dommage que la climatisation soit poussée à son maximum et, de ce fait, qu’il y fasse si froid ! Malgré nos pulls et nos écharpes, nous sommes transis lorsque nous bouclons nos ceintures au moment du décollage.
Avec, en poche, les visas obtenus sans aucune difficulté au consulat de Kuala Lumpur, nous sommes tout heureux de nous envoler pour la troisième fois vers le pays de Confucius. Nous gardons, en effet, un excellent souvenir de nos deux premiers séjours en Chine. À minuit, soit une bonne demi-heure avant l’heure prévue, l’Airbus A330 se pose sur le tarmac. Nos voisins nous expliquent qu’en raison du mauvais temps régnant sur Shanghai l’appareil a dû atterrir à Xiamen ; nous voilà donc coincés dans l’avion immobilisé durant près de 5 heures, sans pouvoir en sortir. La chance veut que toutes les places autour de nous ne soient pas occupées. Chantal peut s’allonger en travers de 3 sièges. J’en fais de même sur la rangée d’à côté et, tous les deux, nous nous endormons presque aussitôt. Le jour est en train de se lever quand Shanghai apparait enfin dans notre hublot. Pour mémoire, lors de notre dernier séjour en Chine, en 2012, notre escale dans la mégapole de plus de 25 millions d’habitants avait déjà été annulée à cause d’une méchante tornade. Décidément, celle qu’on appelle Vitrine de la Chine Nouvelle aime se faire désirer !
Depuis l’aéroport de Pudong, nous nous rendons à notre hôtel, réservé sur Booking, en une heure et demie de métro et deux changements, puis une dizaine de minutes de marche. L’établissement de construction récente ne possède pas de charme particulier, mais l’accueil de la jeune réceptionniste nous ravit et la chambre, malheureusement sans fenêtre, semble propre, calme et bien équipée. Après une douche qui nous a remis sur les bons rails, nous filons dans un petit restaurant local repéré tout à l’heure, à seulement quelques mètres de notre gîte. On y sert d’énormes soupes aux nouilles fraiches, étirées devant les yeux du client. Cela nous convient fort bien et nous rappellera celles de Xi’an qui nous ont laissé un souvenir indélébile.
L’estomac plein, et c’est peu dire, nous reprenons le métro pour aller flâner du côté du Bund. J’en rêve depuis pas mal de temps ; en fait, depuis que Shanghai a décidé de devenir le Manhattan de l’Orient. Les Chinois n’ont-ils pas coutume de dire que Pékin est la ville de l’histoire, mais que pour comprendre la Chine contemporaine il faut mieux se rendre à Shanghai.
La vision que l’on a, depuis la promenade qui domine la rivière Huangpu, sur les immeubles anciens d’un côté et les gratte-ciel de Pudong de l’autre mérite bien tous les superlatifs qu’on lui donne. La plus haute tour mesure 632 mètres, soit deux fois la Tour Eiffel !
Nous laissons Pudong de côté pour gagner l’artère la plus animée de la ville : Nanjing Lu. Les galeries marchandes, toutes plus grandes les unes que les autres, se succèdent et abritent les enseignes internationales. Quelques hôtels de luxe bordent aussi la rue piétonne. Dans le bel Apple Store, c’est le rush sur les nouveaux produits, aux prix pratiquement les mêmes qu’en Europe. Les jeunes sont devenus dépensiers, l’économie du pays, aujourd’hui au premier rang mondial, y étant pour beaucoup. Tous possèdent le mobile dernier cri et ne le quittent pas des yeux. Chose incongrue en France : ici, même les anciennes personnes tapotent sur leur clavier ou regardent leurs séries préférées à tout moment. Donc, autre banalité locale, on n’arrête pas de se bousculer sans y prêter la moindre attention. Nous avions aussi oublié combien ce peuple n’était pas stressé. Tout le monde marche tranquillement, personne ne se précipite pour arriver avant l’autre. Devant les guichets ou les distributeurs de tickets par exemple, les queues sont désormais organisées, chacun attendant son tour. Et puis, on n’entend pratiquement plus les gens se racler le fond de la gorge et cracher. Les Jeux Olympiques de 2008 et l’Exposition Universelle de 2010 ont certainement favorisé ce grand changement de comportement. Nous avons séjourné en Chine à l’automne 2006 et nous pouvions déjà constater que des « maitres » enseignaient la patience dans les queues et apprenaient à ne plus cracher par terre. Autre facteur déterminant qui a grandement accéléré le processus : les amendes pleuvaient sur les fautifs. Il fallait impérativement présenter une bonne image au monde entier. Aujourd’hui, le résultat saute aux yeux… et aux oreilles ! Il est devenu rare, du moins dans les villes, d’entendre quelqu’un crachouiller, éructer ou péter en public. Cela choque moins nos esgourdes sensibles !
Dans le superbe magasin Swatch, peut-être de fatigue après notre nuit de voyage, je rate une marche et me vautre de tout mon long sur le sol immaculé. Tombé sur mon appareil photo, j’ai cassé le pare-soleil, mais j’ai surtout l’impression de m’être fracassé le coude. Je ne vois même pas la mare de sang qui est en train de se former à mes pieds. Tous les vendeurs, affolés par la gamelle et encore plus par l’hémoglobine, se précipitent vers moi tandis que Chantal est pliée de rire. À cet instant, je la hais ! Une jeune femme, plus téméraire que les autres, se met aussitôt à bichonner mon doigt de pied écorché. Je me suis en effet bien entaillé le gros orteil sur l’arête de la marche en carrelage. Le sang macule le sol tout autour de moi et ma tong en est inondée. Un bon quart d’heure plus tard, une fois la blessure pansée, je m’excuse pour les tracas occasionnés et remercie tout le monde. J’ai presque droit à la haie d’honneur à notre sortie du magasin… Je n’ai même pas vu les montres !
Clopinant au milieu de la foule, je ne marche pas vite. Aussi proposé-je à Chantal de nous arrêter dans le Shanghai First Foodhall, temple des produits de bouche présentés sur plusieurs étages, pour acheter quelque chose à manger. Nous y retrouvons ces fameux petits gâteaux ronds, compacts et fourrés de pâte de fruits, que nous avions tant aimés lors de nos séjours précédents. Ceux d’aujourd’hui sont garnis d’un mélange de pâte d’amande et de noix : un délice qui nous remet d’équerre pour affronter la suite de la balade.
Nous atteignons la Place du Peuple, ancien hippodrome du temps des concessions, désormais transformé en joli parc. Nous y flânons un moment avant d’arriver au Musée de Shanghai, but de notre promenade. En granite rose, celui-ci ressemble à une immense marmite posée au centre d’une vaste esplanade. On dit de lui qu’il est l’un des trois plus beaux musées de Chine. Nous voulons bien le croire, car ses collections, avantageusement présentées, sont magnifiques. Celle des bronzes et celle des sculptures occupent tout le rez-de-chaussée, tandis que les céramiques et les porcelaines sont exposées au premier. Au second, se situent les peintures sur papier, les calligraphies et les sceaux. Enfin, on découvre les pièces de monnaie, les jades, les meubles et les arts des minorités ethniques au troisième et dernier étage. Il est 5 heures lorsque nous quittons le bâtiment à sa fermeture en nous promettant d’y revenir. Nous n’avons pas eu assez de temps pour admirer la galerie du mobilier et celle de la monnaie.
Il est maintenant l’heure de rentrer ; mon gros orteil saigne de nouveau et commence à me faire souffrir… Et puis, surtout, nous avons une furieuse envie de dormir tous les deux !