Un autre jour, nous rencontrons un jeune professeur d’anglais, Yant, sur Pingjiang Lu. Comme moi, il est passionné par l’image. Il possède d’ailleurs un Nikon D800 dont il a l’air de très bien savoir se servir. Nous bavardons un bon moment ensemble, de tout et de rien, juste pour le plaisir. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, à quelques centaines de mètres de là, nous croisons un autre professeur d’anglais, mais à la retraite celui-là, avec qui nous discutons encore. Depuis notre entrée dans ce pays, c’est la première fois que nous parlons autant avec des Chinois… et que nous nous comprenons. Tout est donc possible ! En continuant la balade, nous tombons sur une queue, ordonnée comme en Angleterre, devant la poste. Nous n’en saisissons pas le sens — les gens viennent-ils chercher leur courrier ? —, mais nous devons admettre qu’en seulement quelques années les bousculades sont en train de totalement disparaitre. Encore un bon point pour la Chine. Sur un coin de trottoir, à quelques pas de là, de vieilles dames exécutent des mouvements de gym pour entretenir leurs articulations usées : rotations du bassin, moulinets avec les bras, inclinaisons de la tête, étirements des jambes. Près d’elles passe un groupe de jeunes filles habillées à la mode, toutes chaussées de talons hauts et coiffées d’un chapeau à larges bords. Elles nous adressent de beaux sourires, faisant apparaitre une dentition saine et parfaite. En tant qu’homme, je trouve les femmes chinoises très attirantes en général. Leurs jolies jambes et leur grande taille détournent souvent mon regard vers leurs silhouettes élancées. Chantal a moins d’intérêt pour les garçons. Ils ont de trop gros mollets ; elle préfère les Indonésiens ! Je pourrai donc dorénavant la laisser faire seule son tour en ville ! Pour fêter cette bonne nouvelle, j’avale en deux bouchées un drôle de dim sumaux haricots rouges, en forme de poussin.
Nous poursuivons la promenade dans un quartier assez ancien où des femmes puisent de l’eau dans un puits en granite en bordure de trottoir. De la taille d’un seau, son ouverture n’est absolument pas sécurisée : un enfant pourrait tomber dedans. Mais les grands-parents qui ont une grande part dans l’éducation des petits veillent en permanence sur eux. Pendu à la pléthore de fils téléphoniques, le linge sèche tranquillement au-dessus de la rue. Les femmes manient habilement les longues tiges de bambou pour l’y accrocher. Le Musée de l’Opéra qu’on souhaitait visiter est fermé pour rénovation. Celui du Théâtre Pin Tan ne nous enthousiasme guère, et pas du tout à vrai dire, avec ses innombrables panneaux d’explications en chinois et ses bustes en plastique moulé et peint en imitant grossièrement le bronze. Celui-là ne restera vraiment pas dans nos annales. Nous nous rabattons sur le Jardin de la Culture. Petit parc classé, mais délaissé par les groupes, il nous charme tout de suite avec son étang croquignolet et ses rochers disposés de manière savante. Personnellement, j’ai une forte attirance pour ses portes rondes et ses pavillons au mobilier en bois exotique. Dans l’un d’eux, nous assistons à une séance photo d’une jolie modèle en habits traditionnels. Il faut avouer que lieu s’y prête très bien.
Nous repartons en fin d’après-midi pour le quartier de Times Square et la place Yuanrongshidai. Pour commencer, nous refaisons le tour du Centre des Sciences et de la Culture avant de poursuivre vers le quartier neuf, juste à côté. Dans le parc et sur les rives du lac, les photographes s’en donnent à cœur joie en shootant les jeunes mariés sous toutes les coutures. Nous arrivons ensuite devant la Grande Roue, très haute, qui domine une reproduction en carton-pâte d’un château de la Renaissance et son jardin à la française, bien réel lui. Je prends quelques clichés d’une place qu’orne une succession de sculptures géométriques avant d’emprunter une longue passerelle en bois et de rejoindre le quartier de l’écran géant. Nous attendons la tombée de la nuit dans l’une des nombreuses galeries commerciales où les enseignes chinoises se disputent les meilleurs emplacements. D’après Chantal qui ne connait même pas une seule de ses marques (!) la coupe, les tissus sont d’excellente qualité et les imprimés du plus bel effet. J’avoue que, de mon côté, pas mal de choses me plaisent et pourraient m’intéresser si j’en avais besoin. Mais nos tenues de routards ne varient guère entre bermudas et ticheurtes pour moi ou robes légères et petits chemisiers pour Chantal. Ce tour de boutiques était juste pour nous faire baver un peu !
Une fois la nuit tombée et de retour en centre-ville, je m’accorde la dégustation de deux énormes huitres grillées sur le marché. À force de passer devant, je n’ai pas pu résister. Chantal achète deux nansépicés de son côté qu’on partage en sirotant nos Tsingtaoen guise d’apéritif. Avec la cuisse de canard et tout le tintouin, les jeunes patrons de notre resto favori — ouvert, je le rappelle, de 6 à 22 heures, 7 jours sur 7 — nous offrent une assiette de fèves cuisinées à leur manière et qui se révèlent excellentes. Ce matin, en supplément de nos raviolis habituels et de notre soupe, ils nous avaient déjà fait cadeau d’un gros épi de maïs ; chose impensable dans nos contrées et d’une gentillesse qui nous bouleverse tous les deux. L’émotion nous étreint encore lorsque nous pénétrons dans notre chambre. Nous préparons un thé pu’erpour nous en remettre.
Pour la dernière journée à Suzhou, Chantal m’emmène acheter une paire de sandales pour me changer un peu des tongs que je porte sans interruption (si, une fois, le jour du mariage de Maxence et Virginie, en France !) depuis pratiquement 4 ans maintenant. De marque chinoise, elles semblent de bonne qualité, ont l’aspect des Birkenstockde Chantal, mais coûtent trois fois moins cher. J’espère qu’elles me feront de l’usage. Quant à Chantal, elle s’offre un bracelet qu’elle reluquait déjà depuis plusieurs jours ; nous voilà tous les deux contents. Ce qui devait arriver arriva : juste sous nos yeux, une auto renverse une moto électrique. À vouloir passer le premier, aucun des deux n’a fait l’effort de s’arrêter et le choc a eu lieu. Heureusement, il n’y a que de la tôle froissée et aucun blessé. Mais le ton monte vite entre les deux conducteurs, chacun accusant l’autre d’avoir fait l’erreur. C’est du moins ce que nous comprenons en interprétant les gestes des protagonistes. Eux qui parlent déjà fort en temps normal hurlent littéralement leur mécontentement en se rendant compte des dégâts. J’ai peur qu’ils en viennent aux mains. Mais non !, tout s’apaise. L’homme à la moto la remet sur ses deux roues, tandis que l’autre chauffeur remonte dans sa voiture et démarre. Pas de constat à l’amiable, pas d’argent échangé. Chacun réparera, ou pas, son véhicule à ses frais…
Il ne nous reste plus qu’à aller diner et à préparer les sacs pour le départ demain matin.
Notre halte de trois semaines à Suzhou aura marqué nos esprits de manière indélébile.