L’avion décolle à l’heure prévue d’Ambon pour atterrir une première fois à Makassar sur l’ile de Sulawesi, puis une seconde à Surabaya sur l’ile de Java. De là, après un changement d’appareil, nous nous envolons pour Denpasar à Bali que nous atteignons avec une bonne heure de retard. L’aéroport que nous avions vu en travaux lors de notre passage précédent il y a 18 mois est désormais pratiquement terminé. On ne reconnait plus rien du petit aérodrome que nous avions découvert 20 ans auparavant. Les pistes ont été rallongées depuis quelques années pour accueillir les gros porteurs et l’aérogare soutient dorénavant la comparaison avec les plus modernes. Surpris, nous avons même dû chercher les chauffeurs de taxi autrefois entassés devant la sortie et aujourd’hui déplacés bien loin de là. Du coup, j’ai du mal à obtenir le prix que nous avions l’habitude de payer. Nous en dénichons tout de même un qui accepte notre tarif. Arrivés avec une heure de retard, nous avons droit aux inévitables bouchons de fin d’après-midi qui rythment aujourd’hui la vie balinaise. Nous atteignons Ubud en même temps que la nuit.
Après 8 ans dans la même, changement de guesthouse…
Celle où nous avions nos habitudes depuis huit ans a beaucoup trop grandi à notre gout. Le boucan nocturne des jeunes touristes de tous horizons nous a littéralement épuisés lors de nos deux derniers séjours et nous aspirons à beaucoup plus de tranquillité. Quand nous déposons nos sacs à l’entrée de celle que nous espérons, les proprios nous apprennent qu’ils affichent complet, mais que dans deux jours, ils pourront nous héberger. Kadek, le jeune patron se propose gentiment de m’accompagner dans ma quête d’un logement pour les deux nuits nécessaires. Nous en trouvons un à une centaine de mètres de chez lui. Un immense lit trône dans la chambre spacieuse et claire. Nous buvons une Bintang bien fraiche à la réception avant d’aller diner dans un de nos restaurants fétiches. Les patrons nous y accueillent avec courbettes et grands mercis. Au moins, on a tout de même su laisser de bons souvenirs. En sortant du warung, nous filons réserver une moto à Mako, notre fournisseur habituel. Rendez-vous demain matin 9 heures pour en prendre possession…
Notre première nuit se passe très bien, sans aucun bruit perturbant, chose que nous pensions devenue utopique en plein Ubud ! Les poules et les canards de la maison voisine ont sonné l’heure du réveil. On n’est pas à Oléron, nous ne porterons donc pas plainte contre ces innocentes volailles ! En prime, nous prenons le petit-déjeuner en compagnie d’Arnaud et Sophie de Vitré, tout près de Rennes. Rencontre sympa !
Mako a bien fait son travail. Une moto nous attend devant chez lui. Enfourchant la bécane comme si elle en faisait tous les jours, Chantal prend place derrière moi. Un dernier signe au loueur et nous voilà partis dans les environs proches d’Ubud. Je dois me réhabituer à la conduite locale un peu spéciale. Depuis cette dernière année et demie, les choses ont beaucoup évolué. Désormais, hors période de cérémonie où les coiffures ne le permettent pas, tout le monde ou presque porte un casque. Par contre, tous continuent d’emprunter les rues en sens interdit, de déboucher sur un axe principal sans regarder et de pratiquer à outrance la queue de poisson. On a beau connaitre tout ça, on doit tout de même se réadapter. Le réseau routier a été considérablement amélioré : les chaussées ont été élargies sur de nombreux tronçons et le revêtement refait. À part sur certaines sections isolées, les nids de poule font partie de l’histoire ancienne. Qui l’eut cru il y a encore deux ou trois ans ? Avec tous ces travaux de voirie, beaucoup de carrefours ont été modifiés, ce qui me fait souvent hésiter sur le chemin à suivre. Dans la campagne, je ne sais plus trop quelle direction prendre. Au grand dam de Chantal qui ne les aime pas, je dois faire pas mal de demi-tours en me rendant compte de mes erreurs ! Les panneaux ont pourtant fait une apparition remarquée, du moins sur les axes les plus fréquentés. Encore faut-il savoir où l’on va et, ça, je l’ignore souvent en montant sur la moto ! Par contre, malgré le fait que nous soyons en saison plutôt creuse, une chose n’a pas évolué dans le bon sens : les embouteillages semblent encore plus nombreux qu’avant. Galère presque assurée à Denpasar et dans le Sud de l’ile…
La campagne autour d’Ubud change à grande vitesse. Partout, de nouvelles constructions ont surgi des rizières et les ont dévorées. Et, pas de chance, celles qui restent sont en friche avant d’être labourées dans les prochaines semaines. Dans les villages environnants et à Ubud, nous remarquons de nombreux temples en rénovation. Soit on les agrandit, soit on les transforme. En connaissant un peu les Balinais, je pense que l’éruption du volcan Agung l’année passée leur a fichu une grosse trouille et leur a fait prendre conscience que l’économie du tourisme devait toujours laisser une place aux traditions. Comme la religion avec ses rites se trouve au cœur de la culture balinaise, beaucoup d’entre eux ont fait des dons pour apaiser les dieux. J’aurai la confirmation de ma théorie quelques jours plus tard en discutant de la chose avec un peintre traditionnel à qui nous rendons régulièrement visite.
De retour à Ubud, nous retournons à notre ancienne guesthouse récupérer le sac que nous avons laissé la dernière fois avec un peu de vaisselle, nos tenues locales et, surtout, mon casque de moto et une bouilloire électrique. Alors que Ketut participe à une cérémonie à l’extérieur, Wayan nous accueille les bras ouverts et semble sincèrement déçu quand nous lui apprenons que nous logeons ailleurs. Il comprend néanmoins très bien notre choix lorsque nous lui en expliquons la raison. Nous ne le lui avouons pas, mais nous sommes horrifiés par ce qu’est en train de devenir cette ancienne demeure traditionnelle. Partagée par les trois frères, dont Wayan est l’ainé, et leur famille, elle ne cesse de s’agrandir… hideusement ! Notre chambre attitrée qui avait déjà perdu la belle vue qu’elle avait sur le volcan, va abandonner dans les prochaines semaines la seule qui lui restait, celles des deux côtés du balcon ayant été occultées avec la rénovation d’une maison voisine à gauche et l’apport d’un meuble en rotin à droite. Des ouvriers s’affairent en effet à la construction, pour le dernier des frères, de nouvelles chambres dont le mur arrière se retrouvera à moins de deux mètres de notre ancienne demeure. Outre le fait de se croire en prison, il y fera tout sombre. Abracadabrant ! Vraiment, lorsque nous quittons Wayan, nous nous félicitons d’avoir osé changer de bergerie. Malgré tout l’amour que nous portons à cette adorable famille…
Après les deux nuits passées au Sandat Bali, Kadek et sa femme Desa nous reçoivent chaleureusement dans leur jolie guesthouse. Notre chambre est grande et claire avec une large terrasse et son drôle de coin repos avec matelas. Une mini piscine trône au milieu des plantes et arbustes. L’ensemble nous parait bien calme comparé à notre ancien logement dont les murs filtraient à peine les conversations des voisins. Ici, cela ne semble heureusement pas être le cas. Nos sacs défaits, nous piquons aussitôt une tête dans le petit bassin avant de nous allonger au soleil sur deux des quatre transats placés autour. Incroyablement sympa pour nous qui avons rarement droit à ce genre de luxe !
Après une balade en moto autour d’Ubud, nous retrouvons Pierre, un copain qu’on a rencontré ici et qui partage sa vie entre Paris et Bali par tranches de 2 mois. Y’a pire comme emploi du temps ! Porté sur les arts et les gens, il nous fait souvent bénéficier de ses bons tuyaux. Et de ses petites adresses de warung locaux que, parmi tous les visiteurs étrangers, certainement lui seul connait. Rien que pour ça, on l’adore ! Ce soir, nous le retrouvons donc devant un poulet à l’estragon et purée de patates douces qui pourraient soutenir sans souci la comparaison avec beaucoup de plats de chez nous. Mais pour un prix plusieurs fois inférieur à celui qu’on trouverait en France !
Le petit-déjeuner copieux avec pour chacun un pancake à la banane, noix de coco râpée et sirop, une pleine assiette de fruits (ananas, papaye, pastèque, banane et mangue) et une tasse d’un excellent café balinais nous met instantanément en condition pour passer une bonne journée. Mais, lors de notre balade quotidienne en moto, le nombre de nouvelles constructions qui défigurent désormais ce qu’il reste des rizières modère quelque peu notre enthousiasme. Vraiment dommage de saccager un tel paysage, justement celui qui a amené les étrangers à le découvrir. Je répète la même chose à chacun de nos séjours ici en espérant, vainement malheureusement, une prise de conscience qui serait vraiment la bienvenue.
Le tourisme a bien changé depuis notre première visite, il y a, à quelques mois près, tout juste 20 ans. À l’époque, les gens y venaient essentiellement pour admirer les fameuses terrasses et s’imprégner d’une vie culturelle riche en événements. Les villages, tels Ubud, ne proposaient que quelques hôtels ou guesthouses et les warung offraient rarement autre chose que leurs plats traditionnels bien épicés. Seuls, quatre ou cinq gros restaurants servaient de la cuisine plus adaptée aux papilles délicates des visiteurs. Les Balinais eux-mêmes prenaient plaisir à partager leurs moments familiaux avec les étrangers. Tout le monde, d’un côté comme de l’autre, y trouvait son compte.
Puis, le livre Prie, mange, aime et surtout le film qui en a été tiré sont passés par là. Et plus rien n’a été comme avant. Je sais, ça fait un peu réac, mais une ile et une population totalement métamorphosées sont apparues en même temps qu’une nouvelle forme de tourisme que j’abhorre. On ne vient plus satisfaire sa curiosité ou se fondre dans une culture différente. Non, on y vient uniquement pour son bien-être, juste pour suivre un stage de yoga, manger vegan ou encore prendre l’apéro dans un endroit branché seulement fréquenté par les étrangers, faire la fête et flemmarder tard dans sa jolie chambre exotique en tentant par tous les moyens de trouver sous les tropiques encore plus de confort que chez soi. Il n’y a qu’à regarder les enseignes des restaurants, des spas et autres salons de massage. Oubliés les termes ayurvédique et bio à la mode pendant de notre précédent séjour. Aujourd’hui, si l’on n’affiche pas réflexologie ou organique comme adjectifs sur son panneau ou sur son menu, on risque de rater beaucoup de clients. Avec l’argent bien plus facile à gagner de cette manière qu’avec le travail dans les champs, une très forte majorité des jeunes ne se consacre désormais plus qu’au tourisme et délaisse complètement l’agriculture. Certains Balinais, parmi les plus anciens que nous rencontrons, commencent à se poser des questions sur l’avenir de leur ile et de leur descendance…
Pour oublier toutes ces tracasseries, nous savourons sur la terrasse de notre chambre une portion d’ayam betutu achetée dans un warung de notre connaissance. Succulent !…
Exceptionnellement, je joins un article paru ce mois-ci dans la Gazette de Bali, Le billet de Didier Chekroun, qui corrobore mes propos en s’attachant, pour sa part, à l’évolution de la vie nocturne :
Le Billet de Didier Chekroun
« LOW-COST NIGHTLIFE »
« Mesdames et messieurs, bienvenue à bord du vol Canggu Airlines à destination de la Lune. Veuillez attacher vos ceintures et respecter les consignes de sécurité. Nous vous souhaitons un agréable voyage en notre compagnie. »
Si nous vivions dans un monde parfait, sortir le soir à Canggu ressemblerait à ça. Malheureusement, la night de ce côté de l’île s’apparente plutôt à du low-cost. Pas de classe affaires, encore moins de première : ici c’est la bétaillère pour tout le monde ! Car en ces lieux entourés de rizières — qui dans d’autres circonstances pourraient paraître idylliques — on a clairement privilégié la quantité à la qualité. Résultat : des centaines de jeunes atterrissent de nulle part, dépeuplant la bidochon-ville de Kuta pour envahir ce qui fut jadis le QG hipster d’Asie du Sud-Est.
Luigi’s en est le triste symbole : véritable centre névralgique de la nuit de Batubolong, le niveau est tombé si bas que c’est dans une pizzeria que l’on fait la fête ! Sans mettre les pieds dans le plat, danserons-nous bientôt chez Flunch ou Carrefour ? Ici on ne ressent pas le Bali chic de type Ibiza. L’ambiance générale est plus proche de la Fête de la Bière, mais sans le houblon teuton. Car à ce niveau-là, c’est low-cost aussi : Bintang à toutes les sauces ! Pas de quoi faire de vous des stars…
Décollons de chez Luigi’s et de ses ignobles plateaux-repas pour nous rendre à Old Man’s, le gros porteur du coin. Une foule de petits porcs bien roses boit des B-52 à défaut de pouvoir se taper des avions de chasse. Attention aux vols intérieurs : planquez vos iPhone, les pickpockets rôdent !
Puis traversons juste la rue pour faire une escale à Island Beach Bar, la version Tupolev de la java à Canggu : grosse techno russe qui tâche et des centaines de zombis déjantés, mais qui ne consomment rien. Du coup, les DJ’s sont bénévoles. Et une sono qui manque sérieusement de turboréacteurs.
Enfin, destination finale : le Sand bar. Le terminal est rudimentaire et, comme son nom l’indique, la piste de décollage est dans le sable. Pas d’hôtesses de l’air charmantes, tout juste une jolie caravelle ou deux, et des boissons au goût de kérosène… bien entendu non remboursables. Nous voici mal embarqués ! Alors qu’on attendait beaucoup des nouveaux clubs Lost City ou Vault qui promettaient des voyages musicaux de qualité, ils ont dû malheureusement s’adapter à la transhumance bovine ambiante. Et des lieux comme Pablo’s et son hip-hop bon marché ne font rien pour arranger les choses. The Lawn aurait pu représenter un semblant de business class, mais les live bands si prévisibles gâchent la fête.
Si Canggu joue clairement un rôle pilote pour ce qui est du street art, de la culture alternative ou encore la cuisine bio, en ce qui concerne la vie nocturne… niveau qualité, c’est la chute libre. Et sans parachute ! Après 22 heures, une seule solution : filer à l’anglaise. À ce sujet, et pour conclure, citons notre cher et regretté Président Chirac : « Aaaah ! la cuisine anglaise… Au début, on croit que c’est de la merde, au final on regrette que ça n’en soit pas… »
Comme la night de Canggu ?
(La Gazette de Bali, novembre 2019)
© Alain Diveu