Même si les occasions de râler ne cessent de se multiplier, nous continuons d’aimer Bali plus que tout autre endroit. Aussi allons-nous faire une demande de prolongation de séjour au Bureau de l’Émigration de Denpasar. Pour économiser près de 80 euros, nous nous occupons nous-mêmes de l’obtention de ce visa. Nous devrons par contre nous y rendre trois fois au lieu d’une seule pour ceux qui passent par une agence spécialisée ! Disons que nous avons le temps et que ça nous promène ! Une fois là-bas, en moins d’une demi-heure, nous remplissons tous les papiers nécessaires et payons le million demandé pour nous deux. Je parle bien évidemment de roupiah, la monnaie indonésienne ! La journée étant à peine entamée, nous rejoignons, au milieu d’une circulation dense et sans nous y arrêter, la région de Canggu et du Tanah Lot avant de revenir tranquillement par le chemin des écoliers vers Ubud. Le soir, nous retrouvons Pierre à Mas dans le warung ultra local spécialisé dans le lawar qu’il nous a fait connaitre il y a plusieurs années maintenant. Sympa !
Nous nous rendons pour la première fois cette année dans le coin des rizières plus belles de l’ile : celles de Jatiluwih. Contrairement à celles d’Ubud en friche, toutes les terrasses d’ici ondulent langoureusement sous le doux zéphyr qui rend l’air plus respirable. À 9 h 30, le soleil qui inonde la vallée cogne déjà très fort. Au bout de seulement quelques centaines de mètres, nos ticheurtes sont trempés. En plus de notre balade habituelle, nous allons trainer les tongs dans une partie que nous connaissons un peu moins bien, plus à l’écart des chemins balisés que la majorité des touristes venant à Jatiluwih empruntent. En fait, cette petite escapade nous procure largement autant de plaisir que les autres. Mais au calme !
Une fois de plus, nous redescendons tranquillement sur Ubud par des routes secondaires, il y a deux ans encore, peu fréquentées, mais qui tendent à le devenir avec l’afflux étonnant des taxis et de leur cargaison de touristes qui empruntent désormais ces voies auparavant cahotantes. Conséquence, pour ma part inattendue dans ces lieux retirés, de l’amélioration du réseau routier. Malgré tout, la promenade demeure toujours aussi plaisante.
Nous poursuivons notre visite de Bali le lendemain dans la région centrale de l’ile et plus précisément celle autour de Sidemen. Nous faisons une halte dans l’hôtel où avaient séjourné Alexis et Hélène lors de leur périple indonésien pour y déguster un très bon café avant de continuer notre inspection du coin. Celle-ci se révèle un peu décevante à cause des rizières à nouveau transformées en jardins moins bien entretenus. C’est la seconde fois ces dernières années où nous les trouvons dans cet état. Le paysage y perd beaucoup de sa beauté. Dommage pour le photographe !…
Pour changer et profitant d’une seconde visite au bureau de l’Émigration de Denpasar pour prise d’empreintes et photo d’identité, nous retrouvons avec un certain plaisir Sanur et sa longue plage proprette et colorée. De nombreux bars-restaurants, de nouveaux hôtels luxueux ont ouvert depuis notre dernière visite et un gros effort de nettoyage a été entrepris, il est vrai, simplifié par une sécheresse qui s’éternise et qui a tari beaucoup de cours d’eau. De ce fait, les pluies ne sont pas là pour entrainer les détritus dans les torrents qui, eux-mêmes, les déversent dans l’océan. Mais, pour une fois, louons tout simplement les bonnes dispositions prises par les autorités et espérons qu’elles dureront dans le temps ! Les nombreux bains de mer de la journée balnéaire nous ayant aiguisé l’appétit, nous ne résistons pas, en repartant, à l’envie d’un cornet de glace, toujours aussi bien servi ici, de chez McDo. Le soir nous invitons Pierre à découvrir le fameux warung tenu par une mamie que nous avons connue lors de notre première visite de Bali. Son restaurant qui attirait une clientèle nombreuse à l’époque végète aujourd’hui au fond d’une impasse totalement délaissée. Nous continuons malgré tout à y manger à la seule condition d’y réserver nos places la veille. Cela lui laisse le temps de préparer tranquillement son unique plat, une sorte d’escalope de poulet fourrée aux épinards et toutes sortes d’épices, servie avec légumes au beurre et riz. Comme nous, Pierre s’est délecté et lui a promis de revenir. La mamie nous adresse un sourire radieux…
Un matin, nous partons en promenade à pied dans ce qu’il reste des rizières d’Ubud. Les trop nombreuses constructions terminées ou en cours grignotent chaque année un peu plus de terrain et n’encouragent pas à l’optimisme. Quelques-unes ne sont même pas jolies et gâchent d’autant plus le merveilleux paysage qui s’étendait auparavant devant nos yeux. Dans une partie encore vierge, nous retrouvons l’atelier des deux Wayan, peintres traditionnels à qui nous rendons visite au moins une fois à chacun de nos séjours. Nous passons une petite heure avec eux tout en sirotant une excellente noix de coco à l’ombre d’une haie de bougainvilliers. Difficile de s’arracher à la quiétude de l’endroit et d’affronter la longue descente vers le village dans la chaleur écrasante d’un soleil rutilant ! Pour fêter cette agréable promenade, nous dinons dans un warung plus touristique et trinquons avec deux arak madu — alcool de riz, miel et jus de citron servi bien frais — chacun. On aurait dû tous les deux se contenter d’un seul ! Avec la tête qui tourne une bonne partie de la nuit, Chantal ne dort pratiquement pas et se lève le lendemain avec la gueule de bois ! On avait oublié ça !
Après avoir récupéré à l’Émigration nos passeports désormais visés, nous repartons à l’assaut de la campagne balinaise. Je continue à me perdre de temps en temps sur des routes que je connaissais pourtant bien, mais dont la réfection a changé la disposition de certains carrefours. Avec, en plus, la construction de nouvelles bâtisses, j’arrive parfois encore à m’égarer ; au grand dam de Chantal qui vantait auprès de tous mes aptitudes à toujours trouver le bon chemin. Je parviens malgré tout à ramener tout le monde le soir au bercail…
170 kms pour une superbe balade en moto !
Par une matinée sans nuages et rassuré sur mes capacités d’orientation, nous partons pour une belle balade de plus de 170 kilomètres à travers les montagnes et les rizières du Centre-Ouest. Nous empruntons pour cela une petite route très sinueuse dont les lacets laissent apercevoir des vues fantastiques sur les volcans Batur et Agung. Nous passons ensuite par Bedugul où une nouvelle quatre-voies en voie d’achèvement débouchera directement sur le lac Bratan en évitant la ville. Le Pura Ulun Danu Bratan, l’une des icônes de Bali, pourra ainsi recevoir encore plus de visiteurs qu’à présent ! Nous le snobons presque en passant sans un regard devant son parking bondé et poursuivons notre ascension jusqu’à la crête qui domine de façon majestueuse les lacs Buyan et Tamblingan. Avec la température fraiche due à l’altitude, nous ne regrettons vraiment pas d’avoir passé les pulls !
Nous entamons ensuite la descente vers Munduk en prenant le temps de nous arrêter devant de superbes panoramas pour en rassasier nos mirettes. Comme à chaque fois au cours de cette balade, nous nous accordons un nasi campur lors d’une pause-déjeuner à Pupuan, toujours dans le même warung. On y a emmené tous nos amis venus nous rendre visite à Bali. Si certains ont trouvé le plat très épicé, tout le monde a dû admettre qu’il était très copieux. La serveuse qui nous a immédiatement reconnus nous a gâtés encore plus que d’habitude. Nous avons même du mal à remonter sur la selle pour continuer la descente vers Ubud ! En chemin, nous nous arrêtons à plusieurs reprises dans les rizières bordant la route. Certaines sont magnifiques et méritent grandement qu’on s’y attarde. Je retrouve sans difficulté celles où une mamie édentée et torse nu était venue me proposer de mettre le feu à la paille résiduelle d’après-moisson. J’avais à l’époque préféré la laisser faire. Je ne l’aperçois pas cette fois, mais les terrasses dévalent toujours aussi joliment la pente. Puis, celles de Belimbing se présentent à notre vue. Incroyable ! Il n’y a que nous deux à fouler l’amphithéâtre qui leur sert d’écrin et nous en profitons pleinement. La fin d’après-midi approche et nous débouchons sur la route très fréquentée qui longe la côte ouest à un moment de grande affluence. Cela gâche un peu cette magnifique journée. Nous rejoignons malgré tout Ubud sans encombre, hormis une légère poussette sans conséquence d’un conducteur malhabile !
Hier, nous n’avons pas diné. Le copieux nasi campur de Pupuan nous avait calés pour le restant de la journée. Mais ce soir, après seulement quelques kilomètres de moto pour reposer nos fessiers, nous nous régalons sur la terrasse de notre chambre d’une spécialité balinaise, le bebek betutu — canard en papillote —, achetée chez un particulier de Peliatan. C’est bon, mais nous regrettons qu’il soit franchement trop cuit. Nous avons du mal à reconnaitre la viande en miettes dans les feuilles de banane. Est-ce une cuisse ? Du magret ? Une aile ? Nous n’en savons fichtre rien. Seule la tête ne laisse aucun doute sur l’identité de la bête. Ce mets, bon et parfumé, nous contente malgré tout. Nous engloutissons sans sourciller le canard entier à nous deux ! Desa, la jeune patronne à qui nous avons dû emprunter un plat, en rigole encore !
L’invitation au mariage…
La mamie du warung où nous allons manger depuis vingt ans nous a invités au mariage de sa petite-fille. Nous en avons profité pour y convier Pierre. Dans une jolie tenue de cérémonie, elle nous accueille tous les trois dans son restaurant avant de nous conduire sur le lieu de l’événement. Pour l’occasion, nous avons nous aussi passé nos vêtements balinais : sarong et kebaya pour Chantal, sarong et udeng pour Pierre et pour moi. Nous voilà beaux comme des dieux ! En cortège et en moto, nous nous rendons chez les parents de la mariée qui possède une nouvelle maison qui fait aussi office, si j’ai tout bien compris, de restaurant… au milieu des rizières au-dessus d’Ubud ! Moi qui ne voulais pas participer au massacre du paysage en boycottant tous ces bars et restaurants à la mode, me voilà pris au piège ! Pour remercier nos hôtes de leur invitation, j’accepte cependant de bonne grâce le petit carton de friandises que je reçois en arrivant. La mamie nous fait asseoir près d’elle et à l’entrée. Tous ceux qui pénètrent dans la demeure peuvent ainsi constater la présence d’étrangers. Cela portait autrefois chance. Avec l’afflux touristique, est-ce encore le cas aujourd’hui ? Peut-être, vu la fierté avec laquelle la vieille dame nous présente à certains des invités balinais, puis aux futurs époux. La mariée porte la tiare dorée traditionnelle, mais sa tenue, malgré son extrême élégance, me semble sobre pour ce genre d’événement. Le jeune homme, quant à lui, est habillé d’une longue veste bleue du plus bel effet. L’exiguïté des lieux m’oblige malheureusement à ne prendre que quelques photos, pas terribles au demeurant !
Un pedanda, le prêtre local, qui officie juste au-dessus de nous perché sur son piédestal nous asperge d’eau bénite. Nous assistons sagement à la cérémonie, assez difficile à comprendre pour les non-initiés que nous sommes, avant d’aller nous servir dans un autre endroit de la demeure au buffet bien garni. Certains s’approchent pour nous conseiller telle ou telle préparation, mais tous s’amusent de nous voir choisir les plats les plus relevés. Le soleil est en train de se coucher et cela fait pratiquement quatre heures que nous paradons dans nos beaux habits. Nous crevons littéralement de chaud. De plus, je ne souhaite absolument pas emprunter dans l’obscurité l’étroite bande de ciment qui serpente au milieu des rizières et sert de chemin. Pierre non plus ! Aussi prenons-nous congé après avoir chaleureusement remercié la mamie et son mari, puis ceux qui nous ont accueillis chez eux. Ce fut un beau moment…
Le jour suivant, nous partons sitôt le petit-déjeuner avalé vers Jatiluwih en recherchant des chemins que nous ne connaissons pas. Il en reste encore heureusement quelques-uns, même si beaucoup se terminent en cul-de-sac. Croyez-nous sur parole, on les a testés ! Pour éviter le péage des rizières que nous ne souhaitons pas visiter aujourd’hui, je n’hésite pas à redescendre durant plusieurs kilomètres et remonter par une route étroite nouvellement goudronnée. Nous nous retrouvons sans le vouloir vraiment (?) au milieu des terrasses. Lorsqu’un gardien nous apercevant stopper la moto sur un petit parking s’approche et nous prie de lui montrer nos billets, nous lui disons chercher un warung, mais redémarrons aussitôt sans demander notre reste. Je me permets de critiquer ici le choix des autorités d’avoir privatisé cette portion de route qui fait gagner beaucoup de temps et de très nombreux kilomètres en reliant deux des artères principales de l’ile. Seuls les Balinais ne la paient pas… Nous, les touristes, nous devons régler l’entrée sur le site, même si on ne le visite pas. Dur, dur !
Le dimanche suivant, nous retournons à Sanur. Avec une circulation très fluide, le trajet se passe plutôt bien jusqu’à trois kilomètres avant la station balnéaire. La partie cycliste d’un triathlon se déroule sur notre côté de quatre-voies. Résultat : embouteillage monstre sur les deux voies restantes ! Avec la moto, nous parvenons à nous faufiler presque sans problème au milieu du chaos des voitures arrêtées dans les deux sens. Un gentil gardien nous autorise à traverser le circuit, nous recommande la prudence et soulève la chaine pour nous laisser passer. Plusieurs scooters arrivent à nous suivre. Dans le village, la rue principale qui longe la plage est dévouée à la course à pied. Les commissaires nous envoient alors par des ruelles à peine plus larges que nos guidons d’un endroit à un autre. On tourne en rond. Indéfiniment ! Perdant patience, je force tranquillement l’un des barrages en virant volontairement du côté opposé à celui indiqué par les gardiens et suis le parcours des concurrents. Nous n’en croisons que quelques-uns, épuisés, qui marchent plus qu’ils ne courent ! Au bout de trois cents mètres, nous pouvons enfin prendre l’allée qui mène à la plage… pratiquement déserte, et pour cause ! Aujourd’hui, nous ne serons pas dérangés par les voisins !
© Alain Diveu