Avec le temps incertain des trois jours suivants, nous restons à l’hôtel et n’en sortons que pour de courtes promenades dans le quartier. Comme souvent dans ces cas-là, nous nous laissons aller à acheter quelques babioles. Nous choisissons ainsi chacun un bracelet. Nous prenons aussi un petit-déjeuner avec un jeune couple breton de Perros-Guirec ; il ne manquait que les galettes et le cidre ! L’après-midi, pendant que je reste écrire et trier mes photos, Chantal part à l’aventure dans Thamel et en profite pour revenir avec les Nepal Ice de l’apéro. Un soir, nous les sirotons sur la terrasse du dernier étage en compagnie d’un trio de jeunes Israéliens bavards et sympathiques. Je les soupçonne d’avoir un peu abusé des Nepalese Temple Balls !
Par une matinée ensoleillée, nous retournons chez Dipesh. Lors de notre fièvre acheteuse de l’autre jour, nous avons en effet déniché un maillot de foot du PSG pour enfant qui devrait lui convenir. Nous allons donc le lui offrir. Nous apercevant dans la cour, il nous fait signe de monter et nous accueille bien gentiment dans la pièce unique où toute la famille doit s’entasser. Son papa est affalé sur le canapé à regarder la minuscule télé et sa mère qui nous dit être souffrante sort de son lit pour nous recevoir. Pushpa, sa sœur, part acheter un paquet de petits gâteaux pendant que la maman confectionne son fameux thé nepali que nous aimons tant. Dipesh qui a enfilé le maillot et le short par-dessus ses affaires semble plutôt satisfait en apercevant sa silhouette dans un reflet de la fenêtre. Nous dégustons l’excellente préparation parfumée et grignotons les biscuits en discutant comme nous le pouvons.
La maman nous prépare un excellent nēpālī ciyā
Tandis que le garçonnet pose un plateau sur le lit, sa mère sort faire quelques courses. Je ne comprends rien au drôle de billard à pions et sans queues, le carrom, auquel Dipesh me fait jouer. Je pense même qu’il adapte les règles au gré de la position de ses jetons ! Heureusement, la maman revient à temps pour interrompre cette partie qui me semblait interminable ! Elle sort deux boites en plastique d’une petite armoire et les remplit du miel qu’elle vient de rapporter. Il est, parait-il, succulent. Une fois les deux pots refermés le plus hermétiquement possible, elle nous les tend en même temps que deux gros paquets de thé en nous demandant de partager avec Isabelle, la « marraine » de Dipesh, quand nous la verrons à Rennes. Nous lui promettons de le faire dès notre arrivée en Bretagne. Nous avons effectivement décidé de rentrer en France plus tôt que prévu suite à l’hospitalisation de mon père. J’espère que tous ces petits cadeaux tiendront dans nos sacs… et, surtout, qu’ils parviendront intacts. Vu leur rusticité, j’ai en effet un peu peur pour les pots de miel !…
Nous quittons la chambre avant 6 h 30 pour pouvoir attraper un bus pour Patan, autre ancienne ville royale, et ainsi arriver avec la belle lumière matinale. Mais nous devons attendre un long moment devant l’arrêt avant que celui-ci ne se pointe. Du coup, le soleil qui se lève un peu après 5 heures est déjà haut dans le ciel lorsque nous débarquons à l’entrée de Lalitput, autre nom de la « cité de la Beauté ». J’en profite tout de même pour prendre une photo sympa du Pimbahal Pokhari, temple posé sur l’eau d’un réservoir qui reflète superbement les immeubles environnants. Nous nous dépêchons ensuite de rejoindre le centre historique avant la foule des touristes qui ne devrait pas tarder à arriver.
Patan, anciennement Lalitpur, une autre ancienne ville royale
Nous débouchons sur le Durbar Square au moment où un groupe de femmes habillées de rouge descend les marches du Krishna Mandir. Dans ma précipitation, je cadre à peine correctement. Je n’aime pas trop débuter une journée en ratant mes premières photos. En général, la suite ne vaut guère mieux… Ici, le tremblement de terre a laissé des traces. Derrière leurs échafaudages, beaucoup de monuments restent interdits au public encore aujourd’hui. De nombreux ouvriers s’activent à la reconstruction du Char Narayan Mandir, longtemps surnommé le « temple du Kama Sutra » à cause de ses sculptures érotiques, pendant que d’autres s’affairent sur le Bhimsen Mandir et le Vishwanath Mandir. Deux gros éléphants en pierre avec leur cavalier gardent l’entrée de ce dernier, mais les prendre correctement en photo relève de la gageure tant le grillage protecteur… les protège ! Nous détaillons les ciselures époustouflantes des piliers restés debout et trainons sur la place une partie de la matinée avant de nous aventurer en ville vers le Hiranya Mahavihar, autrement appelé Golden Temple. L’une des rues principales est en réfection et largement arrosée. De la poussière, point, mais de la boue, énormément ! Nous nous retrouvons donc tous les deux à patauger dans la gadoue durant une bonne centaine de mètres en nous demandant lequel de ces deux désagréments nous maudissons le plus. À cet instant, avec un kilo de bouillasse à chaque chaussure, la question ne se pose même pas !
Après quelques détours, nous pénétrons dans l’un des plus beaux édifices de Patan. Un passage gardé par deux lions de pierre mène à une petite cour qui donne accès au principal monastère bouddhiste de Patan : un sanctuaire gravé, ciselé et une pagode à trois niveaux à la toiture recouverte d’or, gigantesques pièces d’orfèvrerie d’une finesse inégalée. Les trésors s’amoncellent pêle-mêle. Pour aspirer les supplications, des langues de bronze pendent des toits, Bouddhas, Tara et moulins à prières s’alignent par rangées entières, des griffons surgissent çà et là et des déesses chevauchent des éléphants en équilibre sur des tortues. Dans les angles, des singes sont ornés d’offrandes de fleurs. Pour nous imprégner de son atmosphère très religieuse, nous faisons plusieurs fois le tour de la cour et restons observer, tranquillement assis sur un banc, les nombreux hindous venus se recueillir. Comme si l’ambiance monastique avait aussi agi sur nous, nous nous retrouvons dans la rue complètement apaisés. Incroyable !
Après être repassés par le Durbar Square et y avoir admiré les statues élégantes de Ganga et Jamuna, celles en pierre de deux lions, puis celles d’Hanuman et de Narasimha qui gardent les trois entrées du Palais Royal, nous continuons la promenade vers le Temple de Shiva, ici appelé Kumbeshwar. Particulièrement vénéré, il possède des bassins agrémentés de nombreuses sculptures. Sa pagode aux cinq toits a malheureusement été en partie étêtée lors du séisme. Des femmes en sari déposent nombre de lampes à beurre et guirlandes de fleurs devant le sanctuaire dédié à Shiva et au pied de Nandi, le traditionnel taureau qui sert de véhicule à la déesse. Après les avoir photographiées, nous quittons l’enceinte sacrée pour continuer la visite de Patan.
D’authentiques maisons newar superbement réhabilitées abritent une hôtellerie au-dessus de nos moyens. Dommage, car ces établissements dégagent énormément de charme. Une fois de plus, nous n’avons pas pris de petit-déjeuner avant de partir ce matin. Aussi nous arrêtons-nous dans un café-boulangerie pour nous restaurer de croissants et de thé nepali. Cette halte d’une heure nous fait du bien, car, mine de rien, les kilomètres s’accumulent sans que nous nous en rendions vraiment compte. Quelques rues plus loin commencent à apparaitre les premiers ateliers des fondeurs de bronze à la cire perdue. Des boutiques, plus ou moins luxueuses, exposent ces sculptures magnifiques de dieux et de déesses dans leurs vitrines. Impossible de ne pas apprécier ce travail d’orfèvre qui n’a jamais aussi bien porté son nom ! Par un dédale de ces ateliers-galeries, nous débouchons sur Maha Buddha, un temple réputé en forme d’épi, coincé dans une cour et presque entièrement dissimulé sous les échafaudages. Nous apercevons malgré tout quelques-uns des 9 999 bouddhas sculptés sur les briques de l’édifice. Un peu décevant tout de même.
Comme douze ans auparavant, nous avons beaucoup aimé Patan, même si, cette fois, de nombreux monuments gardent les séquelles du séisme meurtrier de 2015. Mais, pour nous, la visite d’aujourd’hui se termine ; nous sommes épuisés. Nous prenons tranquillement le chemin de la station de bus pour regagner le centre de Katmandou à cinq kilomètres d’ici, de l’autre côté de la rivière Bagmati. Encore une fois, malgré la courte distance, nous restons englués un bon moment dans la circulation toujours perturbée par les embouteillages…
Cela faisait longtemps. On avait oublié. Jusqu’à 3 heures du matin, on n’a pas pu fermer l’œil. Des étudiants népalais fêtent leurs examens à l’étage au-dessus et, certainement un peu fumés, parlent très fort et chahutent sur la terrasse. J’ai dû monter en compagnie du réceptionniste leur faire la morale. En fait, ils sont partis vers 4 h 30 ; c’est à ce moment-là que nous nous sommes endormis ! Pour une fois, nous trainons au lit jusqu’à 9 heures avant d’aller prendre le petit-déjeuner en ville. En début d’après-midi, nous retournons au Swayambunath, le fameux Temple des Singes. Mais les vacances scolaires ont débuté et une foule bruyante et dissipée se masse autour du stupa, malheureusement dépourvu de ses drapeaux de prière. Nous ne l’avions jamais vu ainsi, mais, d’un point de vue esthétique, il perd une grande partie de son intérêt. D’autant plus que la lumière matinale étant bien meilleure que celle de l’après-midi, je ne prends aucune photo. De dépit, nous redescendons en ville. Une enseigne nous fait sourire : celle du KKFC. Même logo, même typo que la chaine de restauration américaine, sauf qu’ici il faut comprendre : Krispy Krunchy Fried Chicken. Mais non, ils n’ont pas copié !…
Le séjour va bientôt s’achever. Nous retournons à Bhaktapur où, ce matin encore, des défilés d’écoliers et d’étudiants se terminent sur les marches du temple de Nyatapola. Comme nous nous l’étions promis, entre deux visites, nous nous arrêtons à l’Everest Bakery’s Coffee Shop prendre le petit-déjeuner. Cette fois, le jeune patron a laissé la place à une charmante demoiselle, aussi sympa que lui. Nous n’avons vraiment rien perdu au change ! Sur Tole Taumadhi, des hommes s’affairent autour de deux énormes chars en bois qui s’affronteront lors des célébrations du Nouvel An népalais, le 14 avril. Près de l’arrêt de bus vers lequel nous nous dirigeons, un groupe de messieurs tranquillement assis à discuter sous un préau regarde une longue file de dames se passer inlassablement des tas de tuiles de mains en mains. Sur le toit, trois hommes les empilent savamment sur une couche de glaise qui assurera l’étanchéité du bâtiment. Devant la scène, Chantal se rebiffe un peu. Je lui fais tout de même remarquer que les femmes rigolent de bon cœur et travaillent dans la bonne humeur. Elle ne goûte que très peu à mon humour…
En arrivant à Katmandou, nous nous rendons au Garden of Dreams dans Thamel, jardin néoclassique du début du siècle dernier caché derrière de hauts murs. Véritable havre de paix au cœur de la ville, il y règne une douce quiétude à peine troublée par le bruit étouffé de la circulation. Assis sur un banc, le nez au soleil, nous y passons un bon moment entre bassin, fontaines, parterres et pavillons. Une fois l’astre caché derrière les habitations, nous partons nous percher sur notre terrasse et siroter tranquillement une Nepal Ice en écoutant de la musique sur l’enceinte Bose qui nous suit partout. Cool !…
Le jour de mon anniversaire tombe pile le jour du Nouvel An
Le jour de mon anniversaire correspond avec le Nouvel An népalais. Dans les rues règne une animation particulière, surtout le soir. Nous allons diner de momos comme très souvent au Thamel Cave. Ce soir, exceptionnellement, je commande une bière. Chantal se range à mon choix. Luxman, le patron, arrive au cours du repas et vient nous saluer. En repartant, il fait un signe à son responsable qui, aussitôt, dépose deux autres bouteilles devant nous… puis encore deux un peu plus tard. Comment pourrait-on refuser ? Lorsque nous ressortons, la foule a envahi les rues. Je n’ai pas envie de rentrer et cherche un endroit où prendre un pot. Après hésitations entre plusieurs établissements, nous en choisissons un très sympa et en retrait de l’agitation. Vautrés dans les fauteuils, nous commandons chacun une autre bière. Ici aussi, le patron vient nous saluer et, apprenant que nous étions Bretons comme lui, ramène une bouteille d’hydromel qu’il partage avec nous. Y’a des jours comme ça !…
Pour notre dernière journée au Népal, nous aurions pu être plus frais. Chantal m’avoue ne jamais avoir bu autant de bière en une soirée. De mon côté, j’ai une soif qu’un lac ne saurait étancher. Heureusement, nous n’avons rien à faire d’autre que de boucler les bagages. Luxman, le patron des deux restaurants que nous fréquentons le plus, tient à fêter notre départ et nous invite à diner chez l’un de ses amis qui possède une pizzeria au cœur du quartier routard. Nous ne mangeons jamais de ce genre de nourriture en Asie. Nous avons, en général, toujours été déçus. Mais ce soir, nous faisons une exception pour ne pas froisser notre hôte. Alors que nous trinquons encore une fois à ma santé, Luxman sort de son sac un couvre-chef traditionnel, le topi, qu’il me tend avec un large sourire et une écharpe en pashmina qu’il offre à Chantal. Nous ne savons quoi lui dire pour le remercier de sa gentillesse. Les pizzas cuites au feu de bois sont absolument succulentes et très bien garnies. Il faut dire que le patron, népalais, a travaillé dix ans de sa vie en Italie. Et ça se voit. Luxman lui parle un instant à l’oreille, et le bougre revient quelques minutes plus tard avec un carafon d’une excellente grappa qu’on siffle sans nous en rendre compte. Décidément, mon anniversaire a été très arrosé plus que de raison cette année ! Il est vraiment temps qu’on rentre en Bretagne !…
Nous gardions du Népal, ce petit pays enclavé entre les deux mastodontes que sont la Chine et l’Inde, un souvenir indélébile. Celui de ce séjour viendra, sans aucun doute possible, s’y ajouter. Durement touchée par le tremblement de terre de 2015 — je devrais même dire les deux séismes, tellement la réplique, un mois plus tard, a été forte —, la vallée qui est en pleine reconstruction a sauvegardé beaucoup d’atouts qui avaient fait sa renommée. En tout premier lieu, nous avons été très sensibles à l’accueil que nous a réservé, en toute circonstance, sa population. Paradoxalement, j’ai pris moins de portraits que la première fois. Mon envie commencerait-elle à s’effriter ? Il faudra que je réfléchisse à cette nouvelle situation… Quant à l’architecture, même abîmée, elle reste encore pour moi la raison principale de mon attrait pour le Népal…
« Namaste… Ce n’est qu’un au revoir… »