Peut-être pour la dernière fois, nous refermons avec émotion la porte de l’appartement de mes parents désormais hospitalisés tous les deux. Les cinq mois que nous avons passés là se sont enchainés si rapidement que nous n’avons pas vraiment eu le loisir de visiter ou recevoir tous nos amis. Et que dire des deux semaines où nous avons eu la garde de notre petit-fils Octave ? Elles se sont succédé plus vite que l’éclair !
Depuis notre arrivée un peu avant Pâques, Chantal s’est rendu pas mal de fois auprès de sa maman vieillissante. Quant à la mienne, sa maladie empêche tout échange sensé ou toute conversation. J’ai d’ailleurs préféré espacer mes visites tant cette situation me taraude le cœur. Du haut de ses bientôt 93 ans, mon père, lui, semble avoir retrouvé une certaine autonomie et… toute sa mauvaise foi. C’est dire s’il va mieux ! Rassurés sur son état et les fourmis de nouveau dans les jambes, nous avons donc décidé de reprendre la route.
Pour une fois, le choix m’a paru plus épineux qu’à l’accoutumée. J’avais envie de changements, mais les destinations pour lesquelles j’avais un faible s’enlisaient toutes dans leur mauvaise saison. D’autres étaient trop difficiles à intégrer dans une logique économique. En fait, et je m’en rends compte simplement maintenant, le mois d’octobre offre peu de conditions optimales dans le monde si ce n’est que des destinations qui ne me tentent guère pour l’instant. Avant, c’est bon, après c’est bon ! Nous aurions pu différer de deux semaines notre départ, mais le prix du vol pour Singapour sur lequel je tombe un peu par hasard précipite les choses. Nous passons pratiquement une journée entière à combiner de façon cohérente les choix, puis les achats de deux billets d’avion, un de TGV et la réservation d’une chambre à Singapour. Ce boulot plutôt pénible terminé, nous fêtons l’événement en faisant péter le bouchon au moment de l’apéro sur la terrasse ! Profitons encore une fois de la belle météo bretonne de fin de saison…
Et c’est le départ…
Un bus nous emmène de Dinan à Rennes où nous sautons dans le TGV pour Roissy. Un confortable Boeing 777-300ER de la China Eastern nous y attend. Les 11 heures et demie de vol jusqu’à Shanghai passent assez vite. Nous avons en effet pu, chacun notre tour, nous allonger sur 3 sièges et ainsi dormir pendant environ 3 heures, ce qui est énorme pour moi qui ne m’assoupis que très rarement durant les transports. Après une courte escale, nous repartons avec une demi-heure de retard avec la même compagnie pour Singapour, notre destination finale. Le métro fermant devant notre nez, un shuttle nous dépose une heure plus tard à notre hôtel. Enfin ! Il est minuit et demi, heure locale avec 6 heures d’avance sur celle de la France. Il y a presque 30 heures, nous montions dans le bus à Dinan ! Une bonne nuit de sommeil pour nous remettre et il n’y paraitra plus rien. Sauf que !… Notre établissement jouxte un bar de nuit avec musique live ! Renseignements pris auprès du réceptionniste, il ne ferme qu’à 4 heures du mat. Même avec des boules Quies et mon casque audio, je continue de l’entendre. Je ne m’endormirai qu’après 4 heures ! Chantal est blottie dans les bras de Morphée depuis longtemps déjà…
Le réveil sonne à 6 h 30. Dès les céréales, les œufs brouillés, la saucisse, les patates, le pain grillé et le café du petit-déjeuner pris sur la terrasse avalés, nous filons à pied vers le quartier colonial. L’hôtel le plus illustre de Singapour et l’un des plus connus au monde, le Raffles, nous attend. Mais, contrairement à il y a 12 ans, le hall de réception qui constituait la partie la plus intéressante est aujourd’hui interdit aux non-résidents et le musée qui retraçait l’histoire du palace à travers de nombreuses photos d’époque est désormais fermé. Déçus, nous nous contentons de marcher sur les pas de Somerset Maugham, André Malraux ou bien encore ceux d’Elizabeth Taylor et Ava Gardner le long des galeries et des jardins extérieurs. Nous écourtons la visite pour prendre la direction de la Marina, en construction lors de notre venue en janvier 2007. Nous suivons pour cela les indications sans faille de notre GPS qui se plante tout de même une fois en voulant nous faire traverser à un carrefour temporairement inaccessible aux piétons. Le Grand Prix de F1 a en effet eu lieu dimanche dernier et les artères empruntées par la course, même si elles ont été rendues à la circulation, sont pour la plupart encore protégées par les hautes grilles de sécurité.
Après un petit détour, nous prenons un passage souterrain pour déboucher sur la baie aux multiples constructions futuristes, juste au pied de l’Esplanade Theatres on the Bay pertinemment surnommé « le Durian » en raison de son toit épineux qui rappelle le fameux fruit. De l’autre côté de la Marina se dresse l’un des édifices les plus dingues au monde, le Marina Bay Sands, surmonté de son Sky Park surréaliste. Formé de trois tours de 55 étages, il accueille un hôtel de plus de 2 500 chambres, une soixantaine de restaurants, une galerie de luxe et un casino de 600 tables de jeu et et 1 500 machines à sous ! Perché à 200 mètres, le Sky Park ressemble à un vaisseau qui semble flotter dans les airs et sur lequel trois Airbus A380 pourraient tenir. La piscine à débordement de 150 mètres de long et le restaurant de Guy Savoy en sont les joyaux. Mais toutes ces belles choses sont réservées aux clients de l’établissement ce qui contrecarre notre envie de grimper là-haut et nous fait faire une économie non négligeable avec une montée à 25 euros par personne. Adieu le rêve de siroter un cocktail dans le bassin avec vue imprenable sur les tours du Central Business District d’un côté et les Gardens by the Bay de l’autre !
Pour l’instant, nous allons déambuler le long de Boat Quay et de Clarke Quay qui abritaient autrefois des entrepôts aujourd’hui transformés en lieux de plaisir. Depuis notre premier passage, tout cela a bien vieilli et le nombre de bars et de restaurants a considérablement augmenté. La balade en est devenue bien moins sympa malgré les nombreuses sculptures qui la jalonnent. Après nous être arrêtés le temps de quelques photos devant le Merlion, mi-lion, mi-poisson cracheur d’eau et symbole de la ville, nous prenons la direction des Gardens by the Bay nichés derrière le Marina Ba Sands. Avant d’emprunter le Helix Bridge en forme de double spirale qui y mène, nous passons devant un terrain de foot littéralement posé sur l’eau. Les tribunes immenses, mais d’un seul côté, dominent l’aire de jeu depuis la berge. Décidément, en cette contrée, ils ne font vraiment pas les choses comme les autres ! Toute la partie où sont construits les jardins et le palace futuriste a été gagnée sur la mer. Beaucoup de pays au monde auraient choisi de les rentabiliser. Ici, on en fait un parc pour donner encore plus de sens au slogan « Singapour, une ville dans un jardin », l’objectif déclaré étant d’améliorer la qualité de vie en développant la verdure et la flore dans la cité.
Les fameux Supertrees aux armatures métalliques
Émergeant au-dessus de la végétation naturelle se dressent soudain devant nos yeux les fameux Supertrees sortis tout droit d’un film de science-fiction. Au nombre de 18, ces structures en fer, hautes de 25 à 50 mètres et couvertes de 163 000 vraies plantes, constituent une forêt métallique qui sert de sites de reproduction aux oiseaux et aux insectes. Mais n’oublions tout de même pas le business : une passerelle payante de 128 mètres de long, située à plus de 20 mètres de hauteur qui relie deux arbres attire chaque jour un grand nombre de visiteurs. Même du sol et, d’après moi, surtout du sol, les photographes de tout niveau s’en donnent à cœur joie. Nous participons tous les deux à la bonne ambiance générale en déclenchant à tout-va.
Nous n’avons pas le courage d’attendre la tombée de la nuit. Après cette harassante journée, nous n’avons plus qu’une seule envie : aller diner et nous coucher. Nous rentrons en métro à Little India, le quartier où nous logeons, et dégottons un food-court recommandé par le Guide du Routard. Nous engloutissons presque d’une traite, la canette de bière Anchor qu’un vieux monsieur nous sert. Tout près, un stand indien propose du butter chicken avec deux nans. Je ne peux pas résister devant l’un de mes plats préférés et le commande immédiatement ! Après quelques hésitations, Chantal opte pour un chicken tikka et ses deux nans. Pour notre premier repas « exotique » après plus de 5 mois de nourriture française, nous avons, tous les deux, très vite la bouche en feu. Mais après quelques tranches de concombre, il n’y parait plus rien. C’est fou à l’allure où l’on se réhabitue !
Malgré la musique entêtante qui vient une nouvelle fois perturber notre envie de dormir, je parviens à fermer l’œil peu après 2 heures du mat ! Ce soir encore, Chantal m’a largement précédé ! Il faut dire que j’ai eu pas mal de boulot avec le tri des photos du jour !..
Le petit-déjeuner avalé, nous partons faire un tour dans le quartier de Little India. Nous y séjournions aussi lors de notre première et unique visite de Singapour. Nous retrouvons sans problème la villa arc-en-ciel Tan Teng Niah House dont on parle dans tous les reportages sur la ville. Extravagante avec ses innombrables couleurs, cette rescapée chinoise en plein quartier indien fait bien évidemment la joie des photographes. Nous nous y amusons un bon bout de temps avant de poursuivre la balade vers Chinatown.
Ici aussi, la juxtaposition du moderne et de l’ancien ravit les chasseurs d’images. Autrefois connue pour ses fumeries d’opium, ses bordels et ses tripots, Pagoda Street abrite désormais une succession d’échoppes en tout genre qui va d’une boutique étonnante entièrement consacrée à Tintin à une pharmacie pour les adeptes de la médecine chinoise en passant par un sex-shop avec des toys très design exposés en vitrine. Au carrefour de cet ancien lieu de débauche se dresse la mosquée Jamae, l’une des premières de Singapour. À quelques dizaines de mètres de là, nous pénétrons dans le Sri Mariamman, plus vieux temple indien de la ville dédié à la déesse censée guérir les épidémies. Nu-pieds, nous nous arrêtons devant les autels et statues polychromes au même titre que les croyants qui les honorent les mains jointes à hauteur de visage.
À une centaine de mètres plus loin, nous débouchons sur une place devant le Buddha Tooth Relic Temple dont nous franchissons la porte. À l’intérieur se tient une cérémonie où les fidèles, en majorité des femmes revêtues de longues robes sombres, se prosternent en écoutant la bonne parole du moine qui officie. Nous faisons le tour du bâtiment ébahis par le nombre de statuettes d’une finesse incroyable exposées sur les murs. Disposés devant chacune d’elles, des bols reçoivent les offrandes. Nous nous éclipsons pour grimper dans les étages où sont présentés des cadeaux venus de toute l’Asie et surtout découvrir la « chambre du Bouddha ». Dans une grande vitrine, un stupa en or contient un écrin qui abrite une dent qui aurait appartenu au dieu. La quenotte est entourée de 35 petits bouddhas en or gardés par 4 lions. Personnellement, c’est la première fois que je vois une « vraie » relique de la divinité. Généralement, un cheveu ou un morceau d’os est enterré caché sous l’édifice construit en son honneur. On peut supposer ce que l’on veut. Au moins, ici, on aperçoit une dent réelle…
Le fort taux d’humidité rend l’atmosphère lourde à supporter. Pour fuir un peu cette chaleur étouffante, nous nous réfugions dans un beau food-court, lui aussi noté dans le Guide du Routard. Le jus de sucre de canne qu’une vieille dame nous sert étanche aussitôt notre soif. À voir la propreté ambiante et la queue devant les stands, nous nous promettons d’y revenir un soir, car le midi nous ne mangeons toujours pas, même si le spectacle de toutes ces choses appétissantes nous parait parfois cruel !
Quelques ruelles en pente nous font rapidement attraper une suée, mais ne nous empêchent pas de continuer à parcourir les alentours, certainement parmi les plus intéressants de la ville. Désormais quartier bobo, ses vieilles maisons superbement rénovées abritent grand nombre de restaurants de chefs réputés et de bars branchés où viennent se détendre en fin de semaine les jeunes locaux et les expats. J’avoue que je le ferais bien moi aussi, mais les prix… singapouriens entameraient de façon déraisonnable notre budget ! Cela n’enlève en rien l’air de petit village dominé par les buildings que dégage ce quartier.
Crevés après nos 18 kilomètres de marche de la veille et les 10 d’aujourd’hui, nous rentrons en métro à l’hôtel non sans nous être arrêtés diner dans le même food-court qu’hier. Mais, pas de chance, le papy marchand de bière a laissé porte close et nous n’en trouvons nulle part ailleurs. Une Anchor bien fraiche aurait pourtant été la bienvenue ! Heureusement, les plats indiens sont toujours aussi bons et bien servis…
J’ai réussi à m’endormir dès la fin du traitement de mes photos. Mais il était tout de même 2 heures du mat. Pour une fois, la musique ne m’a pas empêché de m’endormir.
On s’habitue vraiment à tout !