Ce matin, un tour de marché(s)…
Ce matin, nous nous levons plus tôt que d’habitude pour profiter de la vie locale. Nous atteignons le cœur du village au moment où paraissent les premiers rayons du soleil. Autour du petit temple, une intense activité règne sur le beau marché qui nous semble plus conséquent qu’auparavant. En plus de ceux installés dans les cours et passages intérieurs, des vendeurs de fruits et de légumes proposent leur marchandise directement depuis leurs pick-up alignés le long de la rue principale. Cela commence à faire beaucoup de monde ! Difficile de prendre des photos dans cette cohue. Ça bouscule, ça se plante devant l’objectif. Mais toujours avec un sourire ! Nous ne pouvons même pas râler, nous qui avons mitraillé sans vergogne ces lieux et ces gens durant des années ! Aujourd’hui, nous rangeons le matériel et profitons au mieux de cette ambiance matinale si particulière. Nous reconnaissons quelques-unes des dames qui officient derrière leurs étals et n’en retrouvons pas certaines. Dans un coin de la grande cour, une vieille femme propose toujours son nasi ayam servi dans un cornet en feuille de bananier et sa voisine ses poissons pochés bien alignés. Elles étaient là et vendaient la même chose il y a 20 ans ! Celles qui font commerce de fleurs et d’offrandes déjà prêtes semblent travailler plus que les autres. La religion avec ses traditions toutes balinaises a encore de beaux jours devant elle. Souhaitons seulement qu’avec l’afflux de l’argent elle ne se dilue pas dans les nouveaux modes de vie. Bali perdrait là toute son identité.
Nous poursuivons notre visite des marchés par celui de Sukawati. L’ancien bâtiment où les guides amenaient leurs clients a été rasé. Même le petit temple attenant a disparu. Il ne reste plus rien de l’édifice sale et sombre qui abritait la flopée de marchands de sarongs et de ticheurtes bas de gamme, de souvenirs et de toiles de peinture sans grand intérêt. Nous imaginons qu’il en sera construit un nouveau bien plus moderne. Mais rien n’est moins sûr… Les boutiques alignées le long des deux trottoirs se faisant face et la halle des objets en bois sculpté n’ont pas changé. Nous y trainons un moment avant de revenir vers Ubud. Nous prenons tout de même le temps de nous arrêter au musée des Masques et des Marionnettes toujours aussi beau… et aussi désert. Dommage que ce lieu soit autant boudé par les chauffeurs de taxi qui l’oublient trop facilement au profit d’endroits plus lucratifs pour eux comme les restaurants « organiques » où l’on vous fait déguster pour un prix injustifié une tasse de soi-disant café « lawak » ou comme les satanées balançoires qui détruisent désormais les sites un peu partout. Cruelle injustice !
… puis un petit tour au Batur !
C’est la pleine lune. Aussi décidons-nous d’aller au Pura Ulun Danu Batur à Kintamani. Nous l’avons souvent vu magnifiquement décoré, surtout lors des grandes cérémonies. Ce matin, la déception nous attend. Hormis quelques fioritures à l’entrée, rien n’indique une ornementation exceptionnelle. Nous passons donc notre chemin. Nous en profitons pour descendre au fond de la caldeira par une route assez impressionnante d’abord par sa déclivité qui force les camions surchargés à d’inquiétantes manœuvres pas toujours très bien contrôlées et ensuite par son tracé au cœur des champs de lave. Il règne là une chaleur étouffante. Après quelques arrêts photographiques, nous prenons, un peu anxieux, la route de la remontée. Coup de chance, les camions tout à l’heure stoppés au milieu d’un lacet ou de la chaussée ont pu continuer leur chemin. Un seul est resté planté, de guingois, en plein tournant et n’est certainement pas prêt de repartir. L’essieu arrière a rendu l’âme et une simple pierre coincée contre l’une de ses roues retient le véhicule et son chargement de sable volcanique. Je le passe, pas rassuré du tout ! Après les 40 virages de la montée, nous atteignons enfin la crête, heureux d’y être parvenus sans problème majeur. Lorsque nous nous déplaçons dans l’ile, nous avons parfois de petites suées comme celle-ci, mais avec l’amélioration des véhicules et des chaussées, elles deviennent de plus en plus rares. Le conducteur que je suis ne peut que s’en réjouir.
Après avoir emprunté dans les deux sens la route panoramique qui propose une vue imprenable sur le volcan Batur et son lac, nous quittons Kintamani pour redescendre tranquillement par le centre de l’ile vers Ubud. J’aime bien ce parcours qui traverse d’abord une forêt de pins, puis des plantations d’orangers. Les champs d’œillets d’Inde succèdent aux cultures maraîchères et, l’altitude diminuant, les rizières arrivent ensuite. Nous nous y arrêtons emmagasiner quelques clichés supplémentaires, comme si nous n’en avions pas assez. Mais qu’il est difficile de résister à ces escaliers de verdure qui épousent si harmonieusement les caprices du relief !
Après une journée de repos, nous reprenons la route pour Amed. Sous aucun prétexte, nous ne manquerions l’arrêt de Candidasa, souvenir vivace et impérissable de notre premier séjour balinais. Les bungalows traditionnels ont désormais été tous rénovés. Celui où nous logions, le plus grand, trône toujours au milieu de la cocoteraie. La mer vient lécher le mur de la propriété juste à une dizaine de mètres devant lui et une vache sert immuablement de tondeuse. S’il reste des lieux paradisiaques à Bali, celui-là en fait indéniablement partie. Encore sous le coup de l’émotion, nous reprenons la route avec, quelques kilomètres plus loin, un autre endroit que nous ne sommes pas prêts à oublier : le virage de notre chute à moto il y a un peu plus de trois ans. Heureusement, aujourd’hui, pas une trace d’huile sur la chaussée ; nous passons sans problème. Un grand frisson nous parcourt néanmoins le dos. Avant d’emprunter la route côtière, nous nous arrêtons, comme d’habitude, quelques instants dans le port de Seraya discuter avec des pêcheurs ravaudant leurs filets. Il est midi et le soleil cogne fort. Aussi précipitons-nous un peu la poursuite de la balade. En moto, le vent nous aide en effet à surmonter cette chaleur accablante. Le trajet sinueux vers Amed est toujours magnifique, mais cette année la campagne a changé de couleur : l’ocre a remplacé le vert qu’on avait invariablement vu.
La sécheresse a fait son œuvre…
Impressionnant à certains endroits ! Comme en bordure de cette plage qui abrite des centaines de prahu, ces élégants bateaux à balanciers joliment décorés dont la proue sculptée en forme de poisson-éléphant assure la protection. Les pêcheurs qui vivent dans les villages attendent avec une certaine impatience l’arrivée de la saison des pluies. Amed a changé depuis notre dernière visite. Ici aussi on construit partout et un peu n’importe comment. Des chantiers troublent dorénavant la tranquillité de cet endroit si paisible il y encore si peu d’années. Le village s’étend désormais sur au moins 5 kilomètres. Des bulldozers aplanissent l’emplacement de l’ancien Sunset Point qui va disparaitre au profit de ce qui semble être un immense complexe hôtelier. Nous en saurons peut-être plus la prochaine fois. En tout cas, c’est plutôt repoussant qu’autre chose. Un nouveau Canggu ? Pas impossible…
Gunung Agung ferait-il encore des siennes ?…
Toute la journée, nous tournons autour du volcan Agung. Avec le ciel pur d’aujourd’hui, nous ne l’avons d’ailleurs jamais si bien observé. Pour retourner vers Ubud, je choisis la route du centre qui le contourne d’est en ouest par le sud. En l’examinant bien, je crois deviner une très légère fumée ; peut-être due à la différence de température entre celle d’une faible émanation gazeuse et celle de l’altitude. Une seule chose est certaine : il ne s’agit pas d’un nuage. Je n’aurai malheureusement jamais la confirmation de mes suppositions. Dommage !
Après cette virée frôlant les 200 kilomètres, nous nous affalons dans les fauteuils de notre terrasse et trinquons avec une Bali Hai vraiment bien venue. Alors que nous la savourons en écoutant de la bonne musique sur notre enceinte portable, nos sièges se mettent soudain à bouger. Un tremblement de terre ! Mais qui ne dure que quelques secondes… Après l’Agung cet après-midi, voilà qui refait immanquablement penser aux événements de l’année passée avec l’éruption partielle du volcan. En lisant les journaux du lendemain, nous apprendrons qu’un violent séisme a frappé l’ile peu éloignée de Sulawesi. C’est peut-être lui que nous venons de ressentir. La terre tremble souvent dans le coin…
Pour nous remettre de cette belle, mais longue virée, nous passons la journée suivante à la guesthouse. Plongeons dans la piscinette, bains de soleil sur les transats se succèdent durant les heures chaudes, puis la lecture vient meubler le temps restant libre. En un mot : farniente ! Et ça fait du bien !… Pour le diner, Pierre nous fait découvrir un nouveau restaurant. Le ikan bakar — poisson grillé sur le barbecue — servi avec du riz à chacun d’entre nous est copieux et relevé à souhait. Nous repartons tous les trois ravis en nous promettant d’y revenir.
Le lendemain Chantal achète une bonne baguette de chez nous qu’on déguste avec une boite de miettes de thon… épicées, bien sûr ! Nous nous régalons littéralement… Il suffit parfois de bien peu de choses pour nous contenter ! Exactement comme pour le diner où, après un lawar — légumes, noix de coco, herbes et épices mélangés à de la viande hachée — à Mas, Pierre nous emmène prendre un café chez une adorable mamie impotente assis sur le trottoir devant la petite boutique où l’on trouve de tout. Trop sympa !
Dans la guesthouse, les clients se succèdent alors que certains restent plusieurs jours et même plusieurs semaines comme nous. Nous nous lions d’amitié avec Gisèle, une jeune Brésilienne qui parle quatre langues couramment, mais pas encore le français, venue à Bali étudier le yoga. Elle passe un examen à la fin du mois. Richard, un trentenaire anglais affable, amène toujours sa bonne humeur avec lui. Susanne et Heinrich, un couple de jeunes Allemands plutôt réservés au premier abord se révèle très sympa au fil des jours. Dommage que ces voyageurs au long cours repartent aussi vite ! Lorsque nous avons vu cinq Espagnols hyper branchés, trois garçons et deux filles, débarquer en fanfare, nous avons eu carrément peur du bruit jusque tard dans la nuit. Que nenni ! Soit ils sortaient et rentraient presque en silence, soit ils restaient tranquillement dans leurs chambres écouter de la musique qu’on entendait à peine. En fait, ça nous change de notre ancienne guesthouse où j’avais passé au moins une nuit sur deux à faire la police lors de notre dernière venue. Ici, le calme rend notre séjour moins stressant et bien plus agréable. Du moins en cette période de basse saison. Attendons des mois plus chargés pour juger définitivement ! En tout cas, nous sommes bien contents d’avoir changé…
Jour de chance !
Lors d’une balade dans la campagne autour d’Ubud, nous effectuons un arrêt devant un atelier de sculpteur sur bois. Armé d’une tronçonneuse qu’il manie avec une dextérité déconcertante, il découpe dans un morceau de tronc d’arbre une main ouverte destinée à devenir un siège. Il exécute bien évidemment cette tâche en maintenant le fut à l’aide d’un de ses pieds nus. C’est bien plus facile qu’avec des tongs ! Plus loin, dans un atelier de sculpture, un jeune homme de 20 ans nous montre son habileté à travailler le ciment comme de la terre glaise. Incroyable la vitesse à laquelle il transforme une boule qu’il vient de modeler devant nous en tête de Garuda. Il passe de temps en temps un pinceau mouillé sur la surface avant de rajouter un peu de matière, par exemple pour le bec, qu’il assèche rapidement en déposant dessus de la poudre de ciment. Il ne lui reste plus qu’à sculpter les détails des formes en utilisant indifféremment de la main droite ou de la gauche une sorte de scalpel. Nous sommes complètement bluffés par ce jeune garçon qui travaille dans un hôtel d’Ubud et qui passe une partie de son temps libre dans cet atelier à confectionner un autel pour le temple familial. Ce matin, nous avons la chance de tomber sur des gens vraiment gentils partout où nous nous arrêtons. C’est certainement l’une des raisons qui nous fait revenir chaque année dans cette merveilleuse contrée…
Nous profitons encore un peu plus de ce jour de baraka en nous égarant sur une route dont j’ignorais l’existence jusqu’à cet instant. Une fois de plus, je me trompe à un carrefour que je connaissais pourtant bien. Dans mon esprit, toutes ces erreurs resteront d’ailleurs le fait marquant de ce séjour. Cette fois, j’ai tourné trop vite et me retrouve à grimper au lieu de redescendre comme je le pensais ! Je persiste malgré tout dans mon choix et j’ai bien fait. Cette route magnifique et très peu fréquentée serpente au milieu d’une nature et de rizières vierges de toute construction et traverse des villages d’un autre âge. Nous retrouvons là le Bali qui nous avait tant séduits lors de nos premières visites. Et ce, à seulement quelques encablures d’Ubud ! L’espoir est en train de renaître en nous !
Comme en cette journée, où en souhaitant découvrir de nouveaux horizons, nous partons à l’assaut d’une montagne que nous connaissons peu. Alors que je suis en train de prendre en photo de magnifiques rizières, un monsieur s’approche de Chantal et commence à parler avec elle. Ancien professeur de mathématiques tout juste retraité, il aime discuter en anglais. La conversation s’engage et au bout de quelques minutes, le brave homme, d’une élégance à tomber dans sa tenue traditionnelle immaculée, nous convie à aller prendre le café chez lui. Nous avons le temps et acceptons avec plaisir son invitation. Là-bas, nous faisons la connaissance de son fils et de sa belle-fille. Ceux-ci se sont mariés il y a trois jours ! Les tasses de kopi Bali, les rouleaux de pâtes de riz fourrés à la banane et les gâteaux arrivent de tous les côtés. Nous avons tous les deux du mal à terminer tout ce qu’on nous amène. Nous passons avec ces gens adorables une heure qu’on gardera longtemps dans un coin de notre cœur. Nous poursuivons la promenade par un chemin cimenté et souvent cahoteux et qui traverse une forêt pendant un bon moment. Ça fait un peu moto tout-terrain et Chantal s’agrippe derrière moi comme elle le peut… mais en râlant ! Au bout d’environ deux kilomètres, nous débouchons sur une petite route, comme beaucoup d’autres, nouvellement goudronnée.
Tout à coup, je me reconnais dans un village. Je viens en fait de retrouver un coin que j’ai recherché sans succès de nombreuses fois l’année dernière. Drôle de hasard ! Ne souhaitant pas pousser plus loin, nous nous arrêtons dans un boui-boui où un couple charmant, mais tout de même intrigué de nous voir débarquer chez eux, nous sert deux cafés. Nous reprenons le parcours, mais en sens inverse, en traversant des paysages de terrasses sublimes. Après les grognements de Chantal dans la forêt, nous stoppons la moto devant un temple retiré et planté dans la jungle. Une dame, surgissant de nulle part, vient nous amener des offrandes à déposer sur l’autel. Nous lui expliquons être étrangers à cette religion et déclinons poliment sa proposition avant de quitter les lieux un peu plus rapidement que nous le souhaitions.
Mais c’est notre jour de chance. Dans le village suivant, un mariage se déroule au milieu de la rue devant l’entrée toute décorée d’une maison. Je freine si brutalement que je manque de renverser une moto garée sur un petit parking tout près de la cérémonie. Chantal ne râle même pas, elle est trop captivée par ce qui se passe devant elle ! Mon appareil et son iPad crépitent à tout-va. Le résultat ne sera malheureusement pas à la hauteur de nos espérances. Pas mal, mais peuvent mieux faire, diraient les profs ! Des gouttes éparses qui commencent à tomber précipitent un peu notre départ. De toute manière, la cérémonie dans la rue semble terminée et tout le monde franchit la porte ornée pour entrer dans la demeure. Il était temps pour nous de nous éclipser. Une nouvelle fois, nous regagnons épuisés, mais ravis notre guesthouse.
C’est tout de même chouette Bali !
© Alain Diveu