Emballés par notre virée d’hier, nous renouvelons l’expérience aujourd’hui, mais dans une autre direction. Les jours se suivent, mais ne se ressemblent pas forcément. Nous le constatons lorsque, me croyant perdu, je retrouve des repères en fin de parcours. L’ancienne petite route a bien grandi, s’est élargie jusqu’au cœur des villages, a gommé quelques virages difficiles et, plus étonnant, a détruit un temple qui gênait. De ce fait, je ne m’en suis souvenu qu’au moment où nous l’avons quittée. Incroyable métamorphose qui symbolise une furieuse envie d’adoubement auprès de la clientèle étrangère tous les ans plus importante…
Pour une fois, nous délaissons la moto pour parcourir à pied la crête de Campuhan à partir d’Ubud. Cela fait maintenant plusieurs années que nous l’avons ignorée pensant, à tort, qu’elle avait dû vendre son âme au diable. Étonnamment, cette crête et sa vallée côté rizières n’ont pratiquement pas changé. Seul un petit café avec ses tables en bois et ses inévitables balançoires a fait son apparition en bordure de chemin. Avec ses matériaux naturels, il ne souille pas trop le paysage. Par contre, sur l’autre versant — celui qui longe la route principale —, de nombreux immeubles en construction viennent s’ajouter aux hôtels déjà présents. Nous croisons pas mal de monde sur le sentier. Des sportifs, hommes et femmes plutôt jeunes, ahanent en nous dépassant et ceux qui descendent dégoulinent de sueur malgré l’heure matinale. Pour éviter la grosse chaleur, nous avons en effet préféré partir sitôt le petit-déjeuner terminé. Nous parvenons au village après plusieurs stops-photos. Une galerie intéressante propose de belles et onéreuses peintures traditionnelles. Nous regrettons de ne pouvoir en acheter. Un jour, peut-être… Dans les rizières, des femmes souvent assez âgées moissonnent à la main des parcelles entières. D’un coup, j’ai honte de me plaindre de la chaleur. Que devraient alors dire ces dames s’échinant en plein soleil et couvertes de la tête aux pieds ? Je prends malgré tout quelques photos avant de rebrousser chemin en méditant sur la qualité de notre vie…
Comme je me poserai pas mal de questions en arrivant à Canggu, LA nouvelle destination à la mode de l’ile. Après la parution d’un article de La Gazette de Bali (voir plus haut), nous avons en effet souhaité aller sur place vérifier par nous-mêmes les dires de ce journal mensuel. Lors de nos premiers séjours, il n’y avait strictement rien ici, sinon une bande de sable et quelques barques de pêcheurs. Aujourd’hui, hôtels, guesthouses, pizzerias et bars plus ou moins branchés jouent des coudes pour se faire une place entre les nombreux chantiers en cours. La clientèle, plutôt jeune et internationale, vient y faire un peu de surf et beaucoup la fête. Durant leur séjour, beaucoup d’entre eux ne verront absolument rien de la vraie Bali, mais arroseront leur compte Facebook ou Instagram de banals selfies pris au coucher de soleil en train d’ingurgiter une et le plus souvent plusieurs Bintang avant le hamburger-frites bien ordinaire ou la pizza sans saveur de rigueur. Vive les vacances culturelles ! Pour atteindre la plage sans charme (mais, diable, où sont donc celles, paradisiaques, dont on ne cesse de nous rabâcher les oreilles ?), il faut traverser un vaste complexe hôtelier en construction qui jouxte une zone faisant immanquablement penser à un champ après un bombardement. Désolant ! Nous ne comprenons absolument pas l’engouement des jeunes voyageurs pour cet endroit presque sinistre. En y réfléchissant tous les deux, le poids des années nous tombe soudainement sur les épaules. Nous n’avons alors plus qu’une envie : fuir et aller trainer du côté d’un lieu emblématique, tout proche : le Tanah Lot.
Entrés astucieusement par une porte dérobée, nous trouvons l’endroit bien changé depuis la visite de l’année passée. Un portail monumental par lequel le public pénètre désormais dans l’enceinte et un nouveau bale ont fait leur apparition. Un grand restaurant a été luxueusement rénové et un amphithéâtre en plein air accueille, un peu avant le coucher du soleil, un spectacle de danse traditionnelle. Nous circulons sans difficulté particulière dans ce lieu pourtant très fréquenté et pouvons approcher facilement des points de vue stratégiques sur le temple cerné par la mer. L’entretien et la propreté sont irréprochables. Une fois n’est pas coutume, félicitons les concepteurs de cet endroit toujours enchanteur, même si, entre nous, nous évoquons avec nostalgie le petit chemin menant jusqu’au temple perché sur son rocher battu par les flots ! Au contraire d’un ciel nuageux, celui de cette fin d’après-midi, trop pur, ne rend pas très bien la lumière du soleil couchant. Nous ne serons décidément jamais totalement satisfaits…
Le temps du repos et de l’écriture…
Je reste à la guesthouse trois jours consécutifs pour rattraper le retard accumulé dans l’écriture de ce journal. Chantal en profite pour faire de longues marches vers les villages voisins. Sans oublier, en cours de route, d’entrer dans un temple ou deux, de visiter une galerie ou deux et… de s’attarder dans cinq ou six magasins !
La fin du séjour se profilant, nous allons une dernière fois à Sanur. Après une journée de plage et de nombreux bains de mer, nous reprenons la route vers Ubud quand, après quelques kilomètres, Chantal s’aperçoit qu’elle a les cheveux au vent. Elle a tout bêtement oublié son casque sur le parking. Demi-tour en catastrophe au milieu des embouteillages et retour vers Sanur en zigzaguant entre les satanés taxis bleus continuellement en quête de clients, les motos et les piétons. On met un temps fou à revenir. Coup de chance, le heaume décoré par Mako lui-même trône sur le siège d’une bécane. Voilà l’un des côtés les plus sympas de la vie en Asie : très peu de vols ! Nous pouvons reprendre le chemin du retour sereinement. Pour échapper au trafic très dense de cette fin de journée, nous empruntons des routes parallèles plus ou moins fréquentées, mais de toute manière moins stressantes que l’axe principal surchargé.
Nous parvenons juste à temps à Ubud pour fêter les 86 ans de Papy Michel, le bourlingueur le plus ancien que nous connaissons. Nous le croisons régulièrement ici, mais parfois ailleurs comme à Penang en Malaisie par exemple. Il vient d’arriver de France pour un séjour de six mois en Indonésie. Avec l’un de ses petits-enfants, il a effectué 1 600 kilomètres en vélo (mais électrique, précise-t-il !) pour se rendre à Saint-Jacques-de-Compostelle. Rien que ça ! Du coup, il s’est fait tatouer une coquille sur le bras ! Il a invité dix personnes dans un restaurant dont Pierre et nous deux. Deux guitaristes indonésiens animent la soirée en jouant de la musique des Moluques, très enjoués, et des morceaux internationaux que tout le monde connait. Le buffet était garni d’appétissantes choses locales. Chantal, pour sa part, a particulièrement apprécié le gros gâteau au chocolat du dessert !
Bon anniversaire Papy Michel et merci pour cette belle soirée !
Avant de boucler les sacs, nous effectuons une dernière balade en moto dans la campagne environnante en nous arrêtant chez des sculpteurs sur bois et d’autres artisans qui croulent sous les commandes. Les ateliers se multiplient en même temps que le tourisme prend de l’ampleur. Dans ce développement effréné, voilà enfin une chose qui nous réjouit…
Nous avons particulièrement apprécié cette parenthèse balinaise qui n’était pourtant pas prévue au départ, puisque, après les Moluques, nous devions nous rendre à Florès. Mais le fait d’avoir changé de guesthouse nous a redonné le sourire et a totalement évacué le stress des nuits perturbées par le vacarme des autres locataires. Kadek, Desa et leur famille ont désormais remplacé Wyan et Ketut. Un nouveau cycle commence peut-être pour nous.
De toute manière, nous reviendrons avec plaisir !..
© Alain Diveu