Le lendemain matin, une fois le jour levé à 6 heures, nous prenons la direction du lac Hoan Kiem. L’animation qui règne sur ses berges contraste fortement avec le calme des rues encore endormies que nous venons d’emprunter. Il y a ceux, les plus nombreux, qui marchent d’un pas rapide autour de l’étang en balançant les bras d’avant en arrière ou de haut en bas et ceux qui courent (souvent des expats), ceux qui jouent au badminton (la plupart du temps, les personnes âgées), ceux qui dansent en couple ou en solo, celles qui s’adonnent à la gym tonic (les plus branchées). Un groupe nous amuse particulièrement : réunis auprès d’un meneur, hommes et femmes, jeunes et vieux se mettent à faire des grimaces, puis à rire bruyamment. Rien qu’à les regarder, nous rigolons de bon cœur nous aussi. Mais après avoir eu la chance d’assister aux exercices matinaux des Chinois de Shanghai au printemps dernier, nous restons ici un peu sur notre faim. Notre faim ? Mais j’y pense ! Nous n’avons pas encore petit-déjeuné. Aussi retournons-nous, sitôt le tour du lac effectué, à l’hôtel récupérer des forces avec les œufs plats, les toasts, le café et le jus de citron vert que le jeune loufiat timide nous sert.
Remontés dans notre chambre pour prendre une douche revigorante, nous y demeurons en fait quelques heures à la fraicheur de la climatisation, avant d’en repartir vers 15 heures pour le Temple de la Littérature : complètement requinqués, nous voici prêts à affronter la chaleur de l’après-midi. Nous reconnaissons certaines rues. Il faut dire que depuis la première fois où nous y sommes venus en 2003, Hanoi n’a que très peu changé. Les commerces semblent toujours les mêmes, les vendeuses ambulantes portent toujours le chapeau conique, la chemise et le pantalon, certaines se coltinant une palanche aux paniers remplis d’oranges juteuses ou d’ananas et d’autres poussant un vélo où les articles proposés sont immanquablement joliment présentés. Même les klaxons continuent leur vacarme incessant depuis toutes ces années. Par contre, les premières, mais trop rares, motos électriques ont fait leur apparition ce qui, dans le cahot de la circulation, ne facilite guère la sécurité des piétons. Traverser une rue sans incident au Vietnam tient déjà du miracle, mais si bientôt on n’entend plus les véhicules arriver derrière soi, qu’adviendra-t-il alors ?… Pour en saisir toute la difficulté, je monte au quatrième étage d’un immeuble pour prendre un cliché d’un carrefour et de ce trafic impressionnant.
Parvenus sans tracas particulier devant le temple, nous choisissons de ne pas y pénétrer, le droit d’entrée étant relativement cher. De plus, nous l’avons visité déjà deux fois. À la place, nous préférons profiter un moment du parc attenant et, sur le chemin du retour, emprunter des rues que nous ne connaissons pas. Nous passons ainsi près d’un grand hôpital dont des patients sont assis en pyjama sur le bord du trottoir, tirant quelques bouffées de tabac d’un morceau de bambou qui leur fait office de pipe. En apercevant les plaies non nettoyées et le sang séché sous les pansements et bandages mal ajustés de certains, nous souhaitons ardemment que rien ne nous arrive de malencontreux ici… Dieu nous garde !
Avant d’aller manger la succulente phở bò dans le restaurant de l’autre soir et d’y rencontrer Gaëlle, une jeune française bien sympa, nous nous arrêtons prendre une bière dans un tout petit bar de rue. Chi, la patronne du même âge que nos enfants, se lie immédiatement d’amitié avec nous et nous demande de lui apprendre quelques mots de français. Tous les jours de notre séjour ici, nous reviendrons et lorsque nous partirons, le carnet de notes de Chi sera déjà bien rempli. C’est fou la vitesse à laquelle des gens motivés peuvent se débrouiller dans une langue qu’ils ne maitrisaient pas quelques jours auparavant. Chapeau bas !…
En nous rendant vers le grand marché Chợ Dống Xuân, nous repassons par la ruelle des commerçants qui nous avait tant plu avant-hier. Derrière leurs étals, les vendeuses de poissons, coquillages, grenouilles, tortues continuent d’assommer à tour de bras, de vider et de tronçonner les bêtes que leurs clientes choisissent bien vivantes pour être certaines de leur fraicheur. Plus loin, une cigarette au coin des lèvres, une bouchère découpe tranquillement un morceau de viande sur sa planche. Entre deux seaux d’eau où l’on lave bols et couverts, une épicière grassouillette se fait faire les ongles des orteils sur le trottoir par une jeune fille qui propose ses services de porte en porte. Les clients qui ne veulent pas descendre de leur moto pour faire leurs commissions se faufilent, dans un concert d’avertisseurs, au milieu des stands et de la foule en essayant de ne gêner personne. Parfois, ils y arrivent ! J’aime ce brouhaha, ce vacarme bon enfant où les vieilles dames aux dents laquées de noir nous saluent gentiment, où, malgré une certaine retenue, les jeunes se laissent prendre en photo sans rechigner et un monsieur qui se ventile à l’aide d’un éventail tente quelques mots de français avec nous en rigolant.
Nous quittons ce quartier animé pour un autre, toute proche, où les stands de cuisine se succèdent de part et d’autre d’une venelle. Assis sur de minuscules tabourets autour de tables basses communes, hommes, femmes et enfants dégustent soupes, omelettes, rouleaux de printemps, barbecues, gelées de toutes les couleurs, fruits, le tout proposé à des prix dérisoires. Lorsque nous atteignons le bout de la ruelle, nos papilles ne demandent qu’à être satisfaites. Ce sera pour plus tard. Pour l’instant, nous continuons la balade au milieu de stands temporaires de jouets de toutes sortes. Un ilot entier est consacré à la vente de déguisements, de jeux divers, d’articles de mode enfantine. Le pays fête, en effet, la jeunesse durant tout le week-end. Nous tombons littéralement en admiration devant un chien et un lapin fabriqués avec de la chair de pamplemousse. Une femme écartèle les quartiers d’agrume et les retourne. L’impression de pelage est instantanément saisissante. Il ne reste plus qu’à les assembler pour façonner l’animal et lui coller deux yeux en plastique pour la vraisemblance. Hallucinant ! Pour éviter la grosse chaleur du midi, épuisante en ville, nous rentrons à l’hôtel, non sans nous être arrêtés auparavant déguster un grand verre de jus de canne à sucre qu’une vieille dame a pressé devant nous.
Nous passons l’après-midi à flâner dans les galeries d’art autour de l’Opéra, ce fameux bâtiment colonial qui ressemble tant à celui de Paris. Nous flashons tous les deux sur les autoportraits colorés de Van Tho, peintre vietnamien reconnu, que l’on retrouve dans pratiquement toutes les salles d’expo. Nous terminons la journée dans un centre commercial de luxe devant lequel des mariés se font prendre en photo.
Après le diner, nous allons assister à des spectacles de rue à l’occasion de la fête de la jeunesse. Acteurs de théâtre, dragons, musiciens, danseurs se partagent le bitume au milieu d’une foule considérable et enjouée. Ce soir, les enfants sont les rois.
Nous devons quitter le Vietnam le 6 octobre au plus tard. Nous avons choisi de retourner une nouvelle fois au Laos, à Luang Prabang en premier lieu. Puisque nous avons l’intention de rester à Hanoi jusqu’à cette date, autant faire nos visas à l’ambassade. Il nous en coûtera moins cher et nous évitera les problèmes traditionnels à la frontière. Le monsieur qui prend nos passeports nous demande de venir les rechercher dans 2 jours. Heureusement, nous avons le temps. Nous profitons pour nous rendre au Temple des 3 Sœurs que nous ne connaissons pas (il est hélas fermé lorsque nous arrivons) et nous reposer sur un banc près de l’étang juste à côté. Un homme un peu simplet nous tourne autour un petit moment. Il suffit bêtement que je me lève en le fixant droit dans les yeux pour qu’il déguerpisse. J’aurai dû le faire avant. Je sens le regard admiratif de Chantal dans mon dos… Yeah ! Sur le chemin du retour, nous passons par le quartier de l’Opéra. On y trouve, entre autres, un hôtel de luxe colonial et néo-classique, le Legend Metropole devant lequel deux Tractions Citroën noires trônent à l’entrée. Ont aussi élu domicile dans le coin de nombreux bars branchés où la jeune clientèle aisée se donne rendez-vous autour d’un jus de fruit ou d’un café au même prix qu’en France. La vue des consommations nous ayant subitement assoiffés, nous allons directement chez Chi, notre patronne de bistrot préférée, pour nous désaltérer de bière pression locale, plus abordable pour notre porte-monnaie. Un couple d’Anglais de notre âge s’installe sur les tabourets à côté de nous et la conversation s’engage. Elle ne prendra fin qu’après de nombreux verres et des fous rires à la pelle. Deux Italiennes branchées, un couple d’Australiens réservés, deux Polonais costauds se sont au fur et à mesure joints à nous. La temps passe vite et le restaurant d’à côté va bientôt fermer si nous ne partons pas maintenant. La séparation est difficile, mais nous nous donnons rendez-vous pour le lendemain à la même heure. Et comme la soirée est bien engagée, elle se poursuit agréablement devant les assiettes en compagnie de deux Français à la retraite qui aiment voyager, eux qui ont travaillé dans de nombreux pays au cours de leurs carrières. Une fois l’alcool de riz offert avalé, il ne nous reste plus qu’à regagner l’hôtel, tout proche.
C’est pour vivre des moments comme ceux-là que nous avons choisi de voyager…
Un après-midi, tandis que je reste à la chambre rédiger ce carnet, Chantal part faire du lèche-vitrines. Même s’il m’est difficile d’écrire, j’avoue que je préfère encore m’y atteler plutôt que de me taper boutiques et magasins qui ont le don de m’agacer très rapidement. Seuls les stores de sport ou d’informatique ne m’importunent pas trop. Lorsqu’elle revient de son tour en ville, Chantal s’arrête une bonne demi-heure discuter en français avec la réceptionniste. Celle-ci a vécu 3 ans près de Lille et est tout heureuse de pouvoir parler un peu de tout dans notre langue et, surtout, de pouvoir faire la bise à quelqu’un. Cela lui manque en effet beaucoup, car en Asie cela ne se fait pas du tout. Nous partons ensuite tous les deux au grand marché acheter des bracelets en perles de pierre pour Ketut, notre logeuse balinaise, qui nous a demandé la dernière fois de lui en ramener un ou deux. J’en choisis quatre et en garde un pour moi. Ce sera le neuvième que j’arborerai à mes poignets. Ça commence à faire beaucoup, mais chacun d’entre eux représente quelque chose pour moi…
Après avoir visité une maison traditionnelle vietnamienne, nous nous retrouvons chez Chi à l’heure de l’apéro avec les Anglais, les deux Italiennes, un autre jeune couple australien dont la femme s’appelle Chantalle (j’en connais une qui biche à mort !) et deux Norvégiennes. Mickaël le British fait une nouvelle fois rire tout le monde avec son humour très… anglais ! Ce soir encore, la Bia Hoi coule à flots et Chi devra fermer boutique très tôt. Nous lui avons bu tout son fût et elle n’en a pas d’autres. Je paie la note pharaonique de 35 000 dôngs pour nos 7 bières, soit 1,40 € (oui, oui, vous avez bien lu !) avant de partir diner. Mais lorsque nous nous pointons devant notre marchand de soupe habituel, celui-ci est en train de fermer. Nous nous rabattons, à regret, sur un stand de trottoir à quelques mètres de là. Bien que bon, le potage nous semble plus fade… Cette fois encore nous rejoignons notre chambre ravis.
Pour être sûrs de trouver boutique ouverte, nous quittons nos amis plus tôt le lendemain soir et courrons vers le restaurant de phở bò. En apercevant de loin la queue, nous sommes tout à fait rassurés. Les personnes d’une trentaine d’années qui attendent devant nous débarquent tout juste de France. Nous sympathisons immédiatement avec Ben et Cindy et apprécions ensemble la soupe tant désirée. Il faut avouer que d’aussi bonnes, il y en a peut-être quelque part, mais de meilleures, je doute. Bref, une fois repus tous les quatre, nous nous donnons rendez-vous chez Chi pour l’apéro de demain et rentrons chacun de notre côté. Nous choisissons, pour notre part, de visiter le marché de nuit qui occupe l’une des rues principales du centre historique, mais qui n’offre rien de bien intéressant.
Nous passons notre dernière journée à errer dans le quartier des 36 rues, celui que nous préférons. Nous nous arrêtons prendre un ultime jus de canne chez la petite dame qui ne nous demande même plus ce que nous désirons et nous sert deux grands verres du nectar avec un large sourire. Puis, nous nous enfermons à la fraicheur de la climatisation de notre chambre pour en ressortir dans le milieu de l’après-midi pour aller nous filmer en train de traverser une artère au milieu de la circulation. À la tombée du jour, je photographie encore une fois le pont du Soleil Levant qui vient de s’éclairer avant de filer chez Chi retrouver nos amis d’hier. Ils arrivent un peu après nous et sont fourbus de leur journée de marche à travers la capitale ; rien de tel qu’une bonne bière pour se requinquer. Mickaël et sa femme rappliquent juste au moment où nous partons manger. Ils reviennent très déçus de leur balade dans la baie d’Halong à cause des retards dans les transports et d’un typhon qui passait par là. Pas de chance, car à Hanoi, le soleil n’a pas cessé de briller ! Nous dinons donc en compagnie de Ben et Cindy dans le petit resto d’à côté que nous avons fréquenté assidûment un soir sur deux. Et cette fois encore, après le poulet sweet and sour de Chantal et mon porc au caramel, le patron nous offre le verre d’alcool de riz, celui qui entretient l’amitié. Nous laissons là nos compères, leur souhaitons bon voyage et rentrons tranquillement pour la dernière fois à l’hôtel.
Après le petit déjeuner du lendemain matin, nous remontons faire les sacs et descendons les bagages pour le check-out à midi. Nous passons l’après-midi dans le hall de la réception, chacun s’occupant de son côté : Chantal à terminer son petit film sur Hanoi et moi à écrire ce journal…
Une troisième fois, la capitale vietnamienne a su nous séduire. Ville bruyante, très animée, aux quartiers restés vrais, elle garde contre vents et marées son caractère jovial…
Nous ne pouvons qu’inciter les gens à y venir faire une halte de plusieurs jours. Elle le mérite…