Le taxi vient nous chercher une heure avant le rendez-vous prétextant des embouteillages monstres. Nous qui avions vu large arrivons donc avec beaucoup d’avance à la gare et, en attendant, allons manger tous les quatre dans un petit restaurant local. Les plats, trop épicés pour Michèle, sont tout juste corrects pour le prix demandé, mais nous ne voulons pas avoir le ventre vide pour le voyage.
Les grands sièges du bus à deux étages nous permettent de nous allonger presque à l’horizontale, comme rarement nous le pouvons dans ce genre de transport. Une hôtesse nous sert des en-cas et de l’eau. Je regarde un film sur mon iPadtandis que Chantal lit sur le sien. Ces tablettes, que je jugeais pourtant assez sévèrement lorsque je n’en avais pas, nous sont devenues pratiquement indispensables désormais. On s’ennuierait ferme tous les deux sans la lecture des livres, journaux ou magazines, le cinéma, ou même les jeux comme le Sudoku, le Supermind ou Des chiffres et des lettres (et oui, on prend de l’âge!). Juste à la fin de mon premier film, le bus stoppe devant une sorte de restaurant routier pour que nous puissions gouter au repas compris dans le prix du billet. Et dire qu’on avait peur d’avoir faim! Quand il redémarre une demi-heure plus tard, je commence à regarder un second long-métrage en me disant que j’arrêterai lorsque j’aurai envie de dormir. Je l’ai vu en entier; une œuvre de deux heures et demie! Pour trouver le sommeil, je m’équipe comme toujours pour les transports de nuit: un masque sur les yeux, des bouchons en silicone dans les oreilles, un pull et une couverture. Malgré tout cet attirail, je ne parviens pas à tomber dans les bras de Morphée. Je tourne et je retourne. Chantal en fait autant en soupirant. Je branche alors mon iPod pour me calmer. Le roulis du bus me berce un peu au départ, puis m’obsède carrément une heure plus tard. Adieu donc boules Quies et tout le tralala, je choisis de rester éveillé et d’écouter de bonnes ballades folk, mais sans rien dans les esgourdes, cette fois. Le son n’en est évidemment que meilleur. À côté de moi, la tête un rien dodelinante, Chantal semble s’être endormie. Au moins, il y en aura un de nous deux qui sera en forme demain. Le jour se lève et le disque rougeoyant du soleil apparait enfin au-dessus des hévéas et des palmiers. Au loin, on distingue des pitons karstiques. Nous ne sommes plus très loin.
Nous entrons dans Krabi et apercevons le rocher où est perché le fameux temple du Tigre. À 8 heures, pour quitter la gare routière, nous empruntons un songthaew afin de rejoindre notre hôtel où la standardiste, étonnée de nous revoir, nous accueille tous les quatre avec un large sourire. Il y a pile un an, nous étions en effet là ensemble pour passer les fêtes. La même chambre nous est attribuée, celle du cinquième étage pour laquelle nous avons un gros faible et qui donne sur l’arrière, avec la vue sur le port de Krabi et le soleil matinal pour nous mettre de bonne humeur pour le restant de la journée. Nous ne trainons pas, juste le temps de prendre une douche, et partons pour une excellente soupe, on l’espère, chez nos petites mamies préférées, elles aussi très heureuses de nous voir à nouveau. Puis, nous faisons un tour dans la ville avant de regagner nos pénates pour nous reposer un peu. On n’en ressortira que pour savourer une bière en guise d’apéro et, ensuite, aller manger sur le marché au stand que nous aimions tant. Notre couple cuisinier, immanquablement à la manœuvre, nous concocte des assiettes bien servies. Chantal choisit le curry de bœuf tandis que je me régale avec mon seafood tom yam. Leurs différentes préparations se révèlent toujours aussi succulentes. Michèle qui n’apprécie décidément pas les choses épicées trouve ailleurs un plat qui lui convient mieux. Pour terminer, je retrouve le jeune homme qui confectionne les surprenantes gaufres à la noix de coco et au maïs. Je lui achète les trois qui lui restent et nous en délectons.
Nous louons une moto le lendemain matin pour nous rendre à Ao Nang, station balnéaire située à une quinzaine de kilomètres et souvent confondue avec Krabi. Pour notre part, nous préférons, sans conteste, séjourner à Krabi et rejoindre la côte par nos propres moyens, c’est-à-dire en songthaew ou en scooter; celui-ci se révélant moins cher et beaucoup plus sympa. Pour y aller, nous effectuons une boucle de 45 kilomètres à travers les plantations d’hévéas, les champs d’ananas et les pitons rocheux recouverts de végétation. Même si nous connaissons presque par cœur ces paysages, nous ne parvenons pas à nous en fatiguer. Arrivés à Ao Nang, nous nous installons près de l’eau pour y retrouver les Mimis qui, eux, ont choisi le taxi collectif. Malgré notre trajet trois fois plus long, nous sommes les premiers à étendre nos serviettes sur le sable assez grossier. En général, nous venons rarement sur cette plage. Longeant la rue principale, nous l’estimons trop bruyante. Le vacarme de la circulation auquel il faut ajouter le vrombissement des bateaux qui emmènent les touristes vers les ilots des alentours ne cesse jamais. Le seul minuscule avantage que nous lui trouvons tient à sa situation: elle n’est qu’à une quinzaine de kilomètres de Krabi. Il y a dix ans, nous avions séjourné à Ao Nang. Mais les restaurants locaux pointaient déjà aux abonnés absents. Pour cette raison, nous avons décidé de loger à Krabi Town à partir de la fois suivante et savourer les bons petits plats des différents marchés de nuit, en particulier celui du week-end. Nous n’avons jamais regretté notre choix, d’autant plus que le prix de l’hébergement sur la côte a grimpé de façon vertigineuse. À peine arrivés, les Mimis repartent se restaurer. C’est qu’il a faim le Michel! Un fried rice, une bière et un café plus tard, ils reviennent tous les deux la panse satisfaite. Nous passons une bonne partie de l’après-midi dans une mer qui avoisine les 30°, mais nous surprenons nos amis lorsque nous leur avouons que nous la trouvons plus fraiche qu’à Koh Chang. Ils nous regardent, incrédules. Pourtant, je suis certain d’avoir raison! Nous ne sortons du bain que pour nous rhabiller et reprendre la direction de Krabi Town. Je profite de la moto pour aller à Outlet Village, ensemble commercial qui regroupe des boutiques vendant leur marchandise à prix d’usine. J’achète un ticheurte Adidas imprimé fantaisie qui me change des tons unis que je porte d’habitude. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, Chantal ne trouve rien à lui plaire. Je n’insiste donc pas! Nous nous retrouvons tous les quatre devant une bière bien fraiche pour les hommes et un Spy, sorte de kir pétillant, pour les filles. Cet apéro nous semble amplement mérité tellement la chaleur nous a accablés tout au long de la journée. Puis, comme la veille, nous allons manger tous ensemble sur le marché du week-end.
Le lendemain, chacun fait ce qui lui plait. Chantal a sa main malade qui a enflé; elle n’a pas pensé à la badigeonner de crème solaire hier. Aujourd’hui, elle préfère donc rester dans les parages, bien à l’ombre, avec l’avant-bras enroulé dans une bande. Internet marchant très bien, j’en profite pour mettre mes sites à jour. J’y passe tout de même tout l’après-midi. En ce dernier jour de marché du week-end, nous dinons tous ensemble dans notre stand favori. Les patrons nous accueillent avec le même empressement que d’habitude, mais, un peu confus, ne peuvent pas nous servir sur leur unique table, occupée. Nous mettons plusieurs minutes pour en dégoter une au milieu de la foule, puis encore plus de temps pour réunir les quatre chaises nécessaires. On n’en doutait pas, la qualité des currys nous fait vite oublier ce petit désagrément.
Nous partons tous les quatre en moto pour Outlet Village. Les Mimis ont plein d’achats à effectuer. Pour notre part, je dois offrir à Chantal cet œuf en mousse que j’ai vu l’autre soir, mais que je n’avais pas pris. Après une journée de réflexion, ce gadget de musculation devrait lui aider à retrouver l’agilité et une certaine sensibilité qu’elle n’a pas encore totalement recouvrées. Une demi-heure plus tard, les Mimis qui n’ont, en fin de compte, rien trouvé à leur plaire souhaitent retourner en ville. Déçus de devoir rester nous aussi, car ce n’est pas ce dont nous avions cru convenir, nous leur demandons la permission de poursuivre seuls la balade en moto. Nous prenons donc la direction de l’endroit que nous avions découvert lors de notre dernier séjour en février. Avec une joie incommensurable, nous allons retrouver l’étroite bande de sable sauvage dans son écrin de verdure, face à un chapelet de pitons rocheux. Mais, juste avant de l’atteindre, Chantal doit rebrousser chemin et effectuer un long détour à travers les grands hôtels, le fragile pont de bois enjambant un ruisseau ne lui faisant pas du tout confiance. Tout plaisir mérite sa peine, dit-elle. Je suis déjà étendu depuis longtemps sur ma serviette lorsqu’elle arrive enfin!
Ce soir, Michel nous offre l’apéro à l’occasion de son anniversaire. Il entre en effet dans sa soixantième année. Je sais que je le fais rager lorsque prononce cette phrase. Il préfère déclarer qu’il fête ses 59 ans, et même ne rien spécifier du tout d’ailleurs! Pour le taquiner un peu plus, je lui explique que c’est pourtant exactement deux choses identiques. En découvrant sa mine abattue, j’arrête vite mes bêtises; j’ai peur de le vexer pour de bon! Pendant que nous trinquons tout de même à sa santé, ils nous apprennent qu’ils partent demain matin pour Koh Lanta. Nous nous y attendions, en fait, car nous savons qu’ils adorent cette ile où il n’y a pas grand-chose à faire d’autre que de lézarder en bouquinant face à la grande bleue. Nous y avons nous-mêmes passé deux mois en trois séjours cumulés et les avons largement appréciés. Nous continuons la soirée dans un petit restaurant local où le fried riceaux fruits de mer se révèle excellent, mais où l’on perd souvent patience devant la lenteur du service. Comme pour nous contredire, les plats arrivent vite aujourd’hui: nous n’avons attendu qu’une demi-heure!
On se dit adieu le lendemain matin ou, plutôt, à bientôt, puisqu’on devrait se retrouver ici même vers le 14 février. Les Mimis reviendront alors de leur périple philippin tandis que nous devrions être en compagnie de notre fils Alexis et de sa compagne Hélène qui nous auront rejoints. À l’heure de l’apéro, nous avons la bonne surprise de voir André, le Bourguignon, et sa femme thaïe, Hou, débarquer sur la terrasse de l’hôtel. Nous avons fait leur connaissance l’année dernière chez un marchand de jus de fruits qui, lui, a totalement disparu de la circulation. Dommage, car ses boissons étaient franchement succulentes. La joie des retrouvailles nous fait perdre la notion de l’heure. Nous discutons un long moment avant de nous séparer en nous promettant de nous revoir le lendemain matin à la marina. André doit en effet y mettre son bateau à l’eau. Pour l’instant, l’estomac creux, malgré la quantité de cacahuètes grignotées en sirotant la bière, nous nous installons tous les deux devant la table d’une gargote de trottoir où la soupe aux nouilles et aux raviolis que nous engloutissons avidement ravit nos papilles. Trop bonne!…