C’est la première fois que nous traversons l’isthme qui sépare les deux iles de Ko Lanta par le nouveau pont. Après des années de travaux interrompus à de nombreuses reprises, il a enfin été mis en service il y a tout juste un an. Mais avant de le franchir, nous avons dû au préalable emprunter le ferry qui relie le continent à Ko Lanta Noi, la plus petite des iles. La durée du trajet s’en trouve raccourcie d’une bonne demi-heure, temps non négligeable pour des personnes qui, comme moi, n’apprécient guère les transferts en minivan. Mais, encore une fois, nous ne dépassons pas les 45 kilomètres de moyenne horaire…
À peine deux heures après avoir quitté Krabi, le chauffeur nous dépose devant l’hôtel où nous avons séjourné il y a trois ans déjà. À notre surprise, les prix n’ont pas évolué durant tout ce temps. Nous gagnons donc d’humeur joyeuse la chambre voisine de celle que nous avions alors occupée et, après un petit tour dans le village de Sala Dan pour y reprendre nos repères, allons passer le reste de l’après-midi sur les transats neufs et confortables de la piscine située au quatrième étage. Notre séjour commence d’autant mieux que nous retrouvons d’abord André, le Québécois, et sa compagne Sairung qui tiennent toujours une petite boutique de bijouterie dans la rue principale et, ensuite, le restaurant thaï où nous avions nos habitudes. Le décor n’a pas changé d’un iota et les plats traditionnels y rivalisent encore en qualité et en quantité. Durant les quatre semaines de notre séjour insulaire, nous nous rendrons seulement deux fois coupables d’infidélité envers cette adorable famille de commerçants.
Une journée type commence par le petit-déjeuner que nous prenons sur la terrasse de la chambre. Au menu : gâteaux secs, gros yaourt aux fruits acheté la veille et grand verre de thé préparé avec la bouilloire que le réceptionniste nous a prêtée pour la durée du séjour. La panse ainsi satisfaite, nous partons aux alentours de 8 h 30 pour effectuer une marche tranquille d’environ huit kilomètres en bordure de mer dont cinq sur la longue plage de Khlong Dao. Une fois revenus à l’hôtel, nous nous installons sur les transats de la piscine et noircissons tous les deux des grilles de Sudoku sans relâche. Vers 13 heures, nous redescendons à la chambre nous abriter de la chaleur. Nous en profitons pour avaler quelques biscuits en dégustant une tasse d’un bon café soluble que Chantal a déniché à la supérette toute proche. Deux heures plus tard, soit Chantal part faire le tour des échoppes de Sala Dan, soit elle m’accompagne à la piscine jusque 17 h 30, heure à laquelle nous regagnons la chambre pour nous doucher. À 18 heures, je décapsule deux bouteilles de Changachetées à la supérette tenue par un vieux monsieur adorable et sa femme tout aussi gentille et entreposées dans notre frigo. En même temps que nous buvons les bières bien fraiches, nous grignotons des cacahuètes en contemplant le ciel enflammé par le coucher du soleil. Nous partons ensuite diner au Baifern avant de rentrer vers 21 heures regarder un film sur nos iPad ou, mieux, sur l’écran plat de la chambre à l’aide d’une clé USB. Avec la longue balade au grand air et les nombreux plongeons dans la piscine, nous ne mettons guère de temps à nous endormir.
Lors de notre première promenade matinale, nous avons l’immense surprise de constater que les bungalows du Banana Home Garden, l’hôtel en bordure de plage que nous avons occupé les deux premières fois que nous sommes venus à Ko Lanta ont disparu. Seul subsiste, mais sous un autre nom, l’ancien restaurant. Renseignements pris, l’établissement a été déplacé et rouvert à l’extrémité sud de la baie. Là-bas, nous retrouvons une partie de l’équipe qui nous reconnait immédiatement. La nouvelle gérante qui a remplacé Anny nous offre deux noix de coco qui nous désaltèrent agréablement. Elle nous fait ensuite visiter le complexe, plus luxueux qu’auparavant, mais que nous trouvons sans charme, les anciens bungalows en bois nichés dans la verdure des bananiers ayant été remplacés par des constructions en béton entassées les unes contre les autres dans un espace sans arbres. Les prix qu’elle nous annonce ne nous incitent pas à déménager ici. Par contre, l’hôtel et sa grande piscine donnent directement sur le sable et la partie restée sauvage d’une crique où se balancent de nombreuses embarcations de pêcheurs à la proue enrubannée de tissus multicolores.
Ce même matin, nous croisons Pas, l’Indien tout droit sorti d’un western, qui tient le bar le plus sympa de la plage et que nous connaissons depuis notre premier passage à Ko Lanta. Chantal, totalement sous le charme, le trouve toujours aussi beau avec ses muscles saillants et son sourire craquant. Nous lui promettons de venir prendre l’apéro un de ces jours.
Durant les neuf premiers soirs de notre séjour, nous devons supporter jusqu’à minuit la sono des groupes rock locaux qui se succèdent sur la scène d’une fête qui se tient sur le terrain de sport de l’école d’à côté. Même avec des bouchons d’oreille en silicone, j’ai un mal fou à m’endormir avant la fin. Par contre, cela ne
semble pas perturber outre mesure Chantal qui, hormis la première nuit où elle s’énerve tout comme moi, pionce dès qu’elle se couche ! Nous irons tout de même une fois nous bousiller les tympans devant la scène, nous frayant un chemin dans la foule au milieu des étals d’insectes frits et de nourriture plus classique, des stands de vêtements, de tir, de loterie et j’en passe ; le tout dans la gadoue, tant il a plu en fin d’après-midi !
Les précipitations nous ont en effet poursuivis jusqu’ici : durant 48 heures, des trombes d’eau s’abattront sur l‘ile presque sans discontinuer. Il faut même ajouter une troisième journée, sans pluie certes, mais avec un plafond tellement bas qu’on se serait cru en Bretagne un jour de grande grisaille. Mais, ici, malgré les nuages, la température navigue tout de même entre 27° et 30°. La différence est de taille ; on peut malgré tout fainéanter sur les transats et piquer une tête dans la piscine !
Dans la chambre, nous ne mettons pas la climatisation, mais avons choisi de dormir avec la porte-fenêtre grande ouverte. Durant une nuit, un bruit presque anodin me réveille. On dirait que quelqu’un chiffonne du papier. Je pense à nos voisins qui ont l’habitude de veiller tard, mais en y prêtant un peu plus attention, le froissement semble plutôt venir de notre pièce. J’allume et me lève, pas si rassuré que ça. Rien ne paraissant suspect, je me recouche, mais ne ferme qu’un œil. Au bout de quelques minutes, le bruit revient, encore plus léger que tout à l’heure. J’attends un peu pour mieux situer l’endroit d’où semble venir le son et allume précipitamment ma lampe de chevet. Sur la commode, un gros rat est en train de grignoter le papier d’emballage de notre paquet de gâteaux. Surpris dans sa besogne, il saute du meuble et se file à toute allure vers le balcon. Je n’ai même pas eu le temps d’esquisser le moindre geste. Par contre, mon cri de dégout a réveillé en sursaut Chantal qui n’en croit pas ses oreilles lorsque je lui raconte l’histoire. Nous dormirons désormais la porte fermée et emballerons dorénavant bien mieux nos aliments. Pour plus de sureté, nous les percherons sur le haut de l’armoire. Tous les sens en alerte, nous mettons tous les deux un certain temps avant de pouvoir retomber dans les bras de Morphée ; et Chantal, qui a une sainte horreur de tous les rongeurs à longue queue, encore plus.
Deux fois durant le séjour, nous louons une moto, toute neuve et pas chère, pour effectuer un tour complet de l’ile avec des stops sur différentes plages, celle de Khlong Nin obtenant notre préférence et celle de Long Beach la cuiller de bois. Old Town, la vieille ville un peu délabrée lors de notre premier passage à Ko Lanta, est en train de devenir un joli village avec ses anciennes maisons en bois coquettement retapées et ses commerces de restauration ou d’artisanat bien alignés les uns après les autres sur des pilotis plantés dans la mer. Les touristes s’y promènent d’ailleurs bien plus nombreux qu’auparavant, signe d’un regain d’intérêt certain. À Ban Sung Ga-U, à l’extrémité sud de l’ile, nous retrouvons quasiment inchangé le village de gitans de la mer qui s’y sont sédentarisés. La marée basse favorise nos recherches des meilleures vues sur les modestes maisons sur pilotis. Nous prenons tous les deux un grand nombre de photos.
Nous profitons aussi de la moto pour nous rendre chez Pas, le thaï aux cheveux longs toujours habillé comme un Indien d’Amérique, qui tient le bar le plus sympa de la belle plage de Khlong Dao. Confortablement assis sur les coussins d’un canapé en bambou, nous y dégustons une Changbien fraiche, les pieds dans le sable, en contemplant le soleil disparaitre derrière l’horizon. Dans cette magnifique lumière rougeoyante et sur fond de musique new agequi convient très bien au moment et au lieu, un vieux saltimbanque amuse petits et grands avec un spectacle de bulles de savon énormissimes qu’il confectionne à l’aide de cordelettes tendues entre deux perches. Cool, la vie ! Pour effectuer le tour complet de Ko Lanta Yai, la plus longue des deux iles, celle où la quasi-totalité des touristes séjourne, nous avons roulé 100 kilomètres au kilomètre près. Et ceci, les deux fois ! Étonnant, non ?
Les quatre semaines passées ici vont se terminer. Malgré le fait qu’il n’y a rien de spécial à faire à Ko Lanta, le temps a filé à une vitesse folle et nous sommes tous les deux bien étonnés de devoir déjà refaire les sacs. Nous nous arrêtons dire au revoir à André le Québécois et Sairung sa compagne et allons manger une dernière fois au Baifern où nous nous prenons mutuellement en photo avec cette gentille famille de commerçants thaïe.
Dans notre situation, cela peut prêter à sourire, mais nous les avons vraiment ressenties comme telles :
… Nous venons de passer quatre semaines de vraies vacances !