En partant le lendemain matin vers les montagnes à la découverte d’autres villages ethniques, nous tombons, peu après la sortie de la ville, sur la statue géante de Guan Yin du Wat Huai Pla Kung, lieu saint chinois. D’une blancheur immaculée, elle domine les environs de sa hauteur que nous estimons à une cinquantaine de mètres au moins. À côté d’elle, un temple parait minuscule. Tout près, une pagode moderne de neuf étages abrite un joli musée de statues en bois. Après avoir pris quelques clichés, nous repartons à l’assaut des collines avoisinantes. Nous quittons la voie rapide pour retrouver une route beaucoup plus calme qui s’élève doucement au milieu de la verdure.À Ban Huai Mae Sai, village akha, nous entendons de la musique et garons la moto sur le parking devant l’école. Sur le terrain de sport se déroulent des parties de pétanque acharnées que des équipes de jeunes filles se disputent entre les cris et les rires. Plus loin, les garçons s’affrontent au sepak takraw, sorte de volley qui se joue avec les pieds et une balle en osier tressé ou en plastique. Autour du terrain, des pom-pom girls plus vraies que nature s’en donnent à cœur joie et encouragent leur équipe à grand renfort de chants et de mimiques. Juste à côté, des mamies discutent devant un stand de ticheurtes. Habillées de leur tenue traditionnelle, elles ont les dents recouvertes de laque noire, ce qui leur donne un air bizarre lorsqu’elles nous sourient. Mais nous les trouvons tous les deux magnifiques dans leurs vêtements sombres ornés de broderies et de pompons colorés et arborant un bonnet recouvert de pièces argentées sur leurs cheveux tressés. Nous faisons apparemment un immense plaisir à la jeune femme à qui nous achetons deux portions de riz et à celle qui nous sert deux brochettes de poulet grillé. Après avoir assisté à une course de relais hilarante, nous quittons presque à regret l’ambiance si bon enfant de la kermesse pour continuer la balade jusqu’au Ya Fu View Point d’où la vue s’étend à perte de vue. Durant la descente de cette piste caillouteuse assez difficile, je sens Chantal se contracter à plusieurs reprises derrière moi. J’espère simplement que les freins vont tenir ! Il est vrai que la montée sur ce genre de chemin plus ou moins défoncé se révèle souvent plus aisée.
Dans un autre village, nous faisons une halte dans un temple où une fête se déroule. Une fois encore, l’accueil que nous réservent les gens nous donne la chair de poule. On nous offre deux grandes assiettes de fruits frais avec, entre autres, de l’ananas succulent. La gentillesse que l’on trouve dans ces hameaux contraste vraiment avec l’indifférence qu’on rencontre dans les villes fréquentées par les voyageurs de toutes nationalités. La suite de la balade se révèle à nos yeux moins intéressante avec pourtant un village karen et son troupeau d’éléphants promenant les rares touristes au bord de la rivière et… sur la route ! Nous profitons du soleil de fin de journée pour nous arrêter quelques instants devant la « plage » de Chiang Rai, décevante. Des bulldozers sont en train de combler une partie du lit du cours d’eau peut-être pour agrandir l’étendue de sable et les cafés-restaurants alignés le long de la berge sont tous plus sinistres les uns que les autres. Nous ne nous attardons pas et allons sur le marché de nuit faire nos courses pour le repas de ce soir que nous prendrons sur la terrasse de l’hôtel : poulet frit, patates douces, ananas et donuts locaux. Nous venons de dépenser 2,50 euros pour nos deux diners ; nous pouvons nous offrir une Chang après cette belle journée !
Au moment de partir ce matin, l’une des réceptionnistes nous indique un nouvel édifice religieux encore peu connu des touristes, mais déjà devenu l’une des curiosités de la région : le Wat Rong Suea Ten, plus communément appelé le Temple Bleu. Intrigués, nous nous y rendons en premier lieu puisqu’il se trouve sur la route de la Maison Noire que nous voulons aussi visiter. Nous avons de la chance : hormis une famille chinoise, nous sommes les seuls dans l’enceinte de cet ensemble surprenant. Ici, tout est bleu, même l’intérieur du bot, le sanctuaire principal. Des dorures et des teintes irisées n’ont été appliquées que pour mettre encore plus les sculptures en valeur. Les nagas, à l’entrée du temple, impressionnent par leur taille et leur beauté. Ils se détachent du ciel pur grâce aux touches rouges et blanches peintes sur leurs têtes cobalt gigantesques. D’autres œuvres, toujours d’un bleu profond, ornent différents endroits de l’enceinte.
La porte d’entrée, colossale, n’est pas encore terminée, mais elle ne jurera pas dans ce lieu saint délirant. Une grande statue nacrée d’environ six mètres de hauteur trône à l’arrière du sanctuaire. À l’intérieur de celui-ci, un bouddha immaculé se détache sur les peintures religieuses, toujours dans les tons bleus, qui décorent les murs. Les fidèles s’y recueillent, agenouillés sur un épais tapis… indigo ! Nous prédisons à ce nouveau monument un succès équivalent à celui du Temple Blanc. Il devrait même arriver très vite.
Encore sous le charme, nous reprenons la route pour quelques kilomètres vers un lieu que l’on appelle la Maison Noire. À Chiang Rai, on déclinera bientôt toutes les couleurs…
Appartenant au peintre et sculpteur thaï Thawan Duchanee, de renommée internationale, elle n’arrive pas, selon notre avis, à la hauteur des deux temples. Les pavillons, dont certains en béton nous paraissent complètement loufoques, sont disséminés dans un parc arboré agréable et présentent des sculptures le plus souvent à base de cornes de buffle. D’autres, en bois et plus traditionnels, abritent des œuvres hétéroclites dont le thème tourne essentiellement autour de l’animal. En fin de visite, des enfants exécutent une danse folklorique dans le bâtiment principal. Si nous y étions venus en premier, peut-être aurions-nous mieux apprécié le lieu, mais après les deux merveilles que sont le Temple Blanc et le Temple Bleu, celui-ci nous déçoit un peu.
Nous en repartons vers midi et prenons une nouvelle fois la direction des montagnes environnantes pour nous rendre dans une plantation de thé, la Poui Fong Tea Plantation. Sur les pentes de la colline servant de décor à l’entreprise, une ribambelle de jeunes femmes pickersarrachent plus qu’elles ne cueillent les premières feuilles des « camélias chinois » que sont les théiers. Nous restons un peu en leur compagnie, mais, plus réservées que les Sri Lankaises que nous avons eu la chance de pouvoir observer dans leur travail et avec lesquelles nous avions beaucoup échangé, elles évitent de croiser notre regard et se réfugient derrière leurs larges chapeaux en baissant la tête. Nous n’insistons pas et les laissons à leur rude tâche sous le soleil brûlant. Dommage… Après avoir erré dans les alentours une partie de l’après-midi, nous reprenons le chemin de Chiang Rai pour admirer le Temple Bleu sous la belle lumière de fin de journée. Nous y restons moins longtemps que ce matin, mais assez pour le mitrailler une nouvelle fois. Puis, comme hier, nous nous arrêtons acheter le diner sur le marché de nuit avant de rentrer à l’hôtel le déguster sur la terrasse.
Après trois jours de moto consécutifs durant lesquels nous avons parcouru plus de 450 kilomètres, nous errons dans la ville au gré de nos envies avec, par exemple, la visite du parc qui accueille le Festival des Fleurs. Nous y retrouvons la scène sur laquelle s’est produit le chanteur Ben Chalatit. Elle nous parait bien plus jolie ce matin, noyée au milieu des milliers de plantes fleuries regroupées par espèces tout autour. Nous ne l’avions même pas remarqué dans la nuit de l’autre soir. L’atmosphère paisible qui y règne nous incite à nous asseoir et observer les jeunes écoliers qui écoutent, attentifs et bien en rang, leur maitresse.
Après nous être fait inviter à Hiroshima par un Japonais qui loge dans le même hôtel que nous, nous louons une nouvelle fois une moto pour nous rendre du côté de la frontière birmane, vers Mae Salong. La température fraiche du matin nous incite à nous arrêter à une source chaude située à une trentaine de kilomètres de Chiang Rai. Je ne résiste pas à l’envie de m’y tremper les pieds alors que Chantal décline mon invitation. Avec de l’eau jusqu’aux genoux, je ne mets que quelques minutes pour totalement me réchauffer. J’ai tout de même assez de temps pour observer de jeunes garçons qui font cuire leurs œufs dans des nasses en bambou tressé en les plongeant dans l’eau brûlante des bassins naturels disséminés autour du jet de vapeur qui domine le site. Trop bien !
Il est 9 heures et le soleil resplendit quand nous reprenons la route. Serpentant gentiment dans un joli paysage de collines, celle-ci s’avère soudainement plus périlleuse lorsque nous attaquons les rudes montées qui mènent à Mae Salong. La moto éprouve d’ailleurs de la difficulté dans les portions les plus pentues. Cela ne nous empêche pas de nous régaler de ce paysage magnifique. Parvenus sans encombre à notre destination, nous garons l’engin sur la place du village qui a un peu changé depuis notre première visite, il y a cinq ans. Devenu plus touristique, de nombreux hôtels y ont fait leur apparition, grignotant du terrain sur les plantations de thé qui avaient pourtant largement contribué à la notoriété de la région. Exactement comme à Bali avec les rizières qui sont en train de disparaitre pour faire place à des constructions dont la rentabilité ne parait pas forcément si évidente ! Devant les échoppes de produits installées le long de la rue principale, de vieilles femmes akha en tenue traditionnelle ne semblent là que pour appâter les visiteurs et tenter de refourguer aux plus naïfs leur camelote « made in China ».
Marion, une Française vivant en Australie, range sa moto près de la nôtre et nous pose une question en anglais. En éclatant de rire, je lui réponds directement en français : nous sommes toujours trahis par notre accent à la Maurice Chevalier ! Elle voyage seule et a l’intention de parcourir l’Asie durant six mois. Elle arrive d’Indonésie et de Thaïlande. En prenant connaissance de notre périple, elle nous demande quelques tuyaux sur le Laos et le Cambodge. Nous aurions pu discuter encore longtemps, mais nous devons continuer notre balade et l’estomac vide de Marion crie famine. Nous nous souhaitons bonne chance pour la suite de nos parcours.
Après cet agréable intermède, je me mets à la recherche d’une plantation où j’avais photographié deux théières géantes. Après quelques errements, je retrouve le chemin d’accès, il est vrai, assez difficile à dénicher. Ici aussi, une partie des camélias a disparu sous les coups de pelle des bulldozers. Même si les travaux semblent arrêtés, nous devinons les contours d’un futur parking. Et, autour des deux fameuses théières en béton peint, des tasses ont été construites. Elles serviront peut-être de bungalow. Décidément, nous n’avons vraiment pas les mêmes valeurs esthétiques concernant la sauvegarde du patrimoine, qu’il soit naturel ou culturel. Après nous être arrêtés plus loin dans une autre plantation réputée, la 101, nous prenons le chemin du retour en empruntant une route pittoresque qui dévale la pente durant une vingtaine de kilomètres en dévoilant de magnifiques points de vue sur les montagnes de la Birmanie, toute proche, et la plaine qui mène à Chiang Rai.
Nous terminons là notre séjour dans cette jolie région que nous avons eu grand plaisir à redécouvrir. Une dernière fois, nous allons faire nos courses sur le marché de nuit et savourons notre diner sur la terrasse de l’hôtel. Nous y faisons la connaissance de Jacqueline, une Chinoise (si, si !) qui nous invite à venir la voir à Londres, là où elle réside.
Nous bouclons nos sacs le lendemain matin et gagnons la gare routière en songthaew pour monter dans le bus vers Luang Prabang au Laos : 17 heures de trajet difficile nous attendent !
© Alain Diveu