La journée commence plutôt bien. Un tuk-tuk vient nous prendre à l’heure devant l’hôtel pour nous emmener à l’agence qui nous a vendu nos billets. Là, un magnifique minivan nous attend. Nous grimpons sur les sièges confortables et larges près du chauffeur. Cela faisait très longtemps que nous n’avions pas eu de véhicule aussi neuf dont le nombre de passagers ne dépassait pas celui des places; le bonheur! Les embouteillages jusqu’à la sortie de la ville, puis la chaussée défoncée ralentissent le début du parcours. Mais, une heure plus tard, quand la route s’améliore enfin, le van file à bonne allure. La climatisation bien réglée diffuse ce qu’il faut d’air frais pour que tout le monde se sente bien. Bref, le trajet de rêve… jusqu’au moment où le conducteur doit stopper le taxi, embrayage cassé. Nous n’y arriverons donc jamais! Le cumul des choses dites «normales» chez nous semble décidément totalement impossible ici au Cambodge.
Nous nous retrouvons donc, en plein cagnard, sur le bord de la route et attendons qu’une solution soit trouvée. Le chauffeur qui a jeté un œil sous le capot avant d’appeler sa compagnie nous apprend qu’il faudra patienter deux heures pour qu’un véhicule de secours, dépêché depuis l’aéroport de Phnom Penh, vienne nous chercher. Résolus à poireauter, Chantal et moi acquiesçons, tandis que les autres qui vont tous à Sihanoukville se débrouillent pour négocier très cher des taxis à leurs frais. Après les avoir vus partir les uns après les autres depuis la cabine climatisée, nous nous commençons à regarder un film sur nos iPad. Le minivan de secours, aussi beau que celui de ce matin, arrive pile à l’heure prévue et nous sommes ses seuls occupants.
Après seulement dix minutes de trajet, le chauffeur nous annonce Kampot, notre destination, et nous arrête à un carrefour au moment où les premières gouttes d’une grosse averse se mettent à tomber. Nous trouvons refuge dans la cahute d’un surveillant de parking qui accepte gentiment de nous accueillir. L’ondée passée, nous reprenons nos sacs et partons à la recherche d’une guesthouse recommandée par le guide du Routard, assez éloignée du centre. Au bout de deux petits kilomètres, nous la trouvons enfin. Un vieux monsieur parlant un peu français me fait visiter une chambre au rez-de-chaussée, puis une seconde à l’étage. Je ne comprends pas pourquoi, mais Chantal qui d’habitude attend sagement que je choisisse notre alcôve tient à me suivre. Mal lui en a pris. Elle n’a pas fait dix pas sur le carrelage mouillé de la terrasse qu’elle glisse et tombe lourdement sur le sol. La voyant peiner à se relever, je l’aide à se remettre debout. Son bras droit la fait horriblement souffrir, je dois rapidement l’allonger sur le lit de la chambre que le papy voulait nous montrer. Elle peut bouger les doigts, mais le membre qui a pris une forme bizarre après le poignet m’impose de me renseigner sur l’hôpital le plus proche. On nous en conseille un sérieux, à une dizaine de kilomètres. Nous y partons très vite en tuk-tuk que le pauvre homme, tout désolé, a appelé en urgence. Le chirurgien suisse qui nous reçoit là-bas détecte immédiatement une fracture, confirmée quelques instants plus tard par la radio qu’une infirmière cambodgienne lui apporte. La cassure nette, mais avec un gros déplacement se situe au niveau de la tête du radius et doit être réduite; ce à quoi s’attache le médecin en anesthésiant et en secouant assez fortement le bras. Chantal a du mal à retenir un petit cri de douleur. Je compatis à sa souffrance et suis surpris de son courage. Puis le docteur la masse assez énergiquement avant de confectionner la gouttière qu’elle devra garder une semaine, le temps que le membre désenfle. Il ne lui posera le plâtre définitif qu’à ce moment-là.
Revenus à la guesthouse, le papy nous conseille, nous oblige même, à prendre la chambre du pavillon neuf qu’il m’avait proposé en premier. Si seulement, je n’avais pas voulu en visiter une autre!… Et si l’embrayage n’avait pas cassé!… Et s’il n’avait pas plu (on n’a plus revu une goutte à cette heure de la journée de tout notre séjour ici)!… Mais, avec des «si», personne n’a encore réussi à refaire le monde.
Il y a simplement des jours comme celui-ci où tout s’enchaine, où tout va de travers…
Aujourd’hui, 12 novembre, c’était aussi l’anniversaire de ma mère, ses 87 ans.
Je n’ai même pas pu l’appeler…