La pluie qui tombe toute la journée du lendemain me retient à la chambre. Comme souvent dans ces cas-là, tandis que Chantal va faire un petit tour de magasins, j’en profite pour rattraper un peu de mon retard au niveau de l’écriture. Question photo, je m’oblige en effet à ne pas me coucher avant d’avoir terminé le tri et le catalogage des centaines de clichés de la journée. Et cela peut m’emmener jusque 3 ou 4 heures du matin. Par contre, la rédaction pour laquelle je n’ai que peu d’appétence passe toujours après et les excuses de m’en dispenser sont nombreuses et pas forcément justifiées ! Bref, en cette journée de pluie peu favorable à la photo, je m’attèle à la tâche.
Le soleil revient le jour suivant. Nous partons donc trainer nos guêtres du côté de Kilagal Tole, le lieu de Katmandou que nous préférons. Certaines marchandes de légumes ou d’épices nous reconnaissent tellement nous y passons du temps, un peu à l’écart de la foule, à observer leur activité. Après notre heure habituelle à baguenauder sur la place, nous nous enfonçons dans les ruelles voisines, celles qui accueillent les différents corps de métiers par quartiers. Les vêtements et chaussures qu’on y trouve sont souvent de pâles copies de marques internationales. Par contre, le secteur des habits traditionnels avec ses couturiers affairés auprès de leurs clientes est, à nos yeux, bien plus intéressant.
Ce soir, nous testons avec bonheur un nouveau restaurant que notre guide recommande. D’autres Français s’y trouvent déjà lorsque nous nous attablons dans cette gargote située au premier étage d’une maison népalaise. Aujourd’hui, les rez-de-chaussée des immeubles de Thamel ne sont plus en effet occupés que par des boutiques pour touristes : magasins de vêtements de montagne, de cachemire, de souvenirs, de bijouterie… Ils se ressemblent beaucoup et vendent pratiquement tous la même chose. Les bars, les commerces de bouche, les discothèques ont souvent dû grimper dans les étages… Comme pour les deux autres restos que nous fréquentons depuis notre arrivée, nous promettons au personnel très sympa d’y revenir bientôt.
La nuit, j’ai dû me lever pour demander au réceptionniste complètement inconscient de son statut qui jouait dans l’escalier et sur notre palier avec des enfants d’une famille indienne de l’étage au-dessus de bien vouloir se calmer un peu pour nous laisser dormir. Il est presque une heure du matin ! Apprenant la chose le lendemain, Very sorry Mam, very sorry Sir se confond en excuses…
J’ai reçu il y a quelques jours un email d’une copine rennaise qui, informée de notre séjour au Népal, aimerait qu’on lui rende un service.
C’est ce que nous allons faire aujourd’hui.
Seebu, jolie jeune femme népalaise qui gère sa petite école privée toute nouvelle, vient nous chercher à 10 heures et demande au chauffeur de taxi de nous emmener dans une rue derrière le Durbar Square. Un quart d’heure plus tard, celui-ci nous dépose dans l’antre hippie des années 70, là même où la communauté venue d’Europe et d’Amérique cherchait l’illumination spirituelle : la fameuse Freak Street. Jimi Hendrix et Jim Morisson entre autres s’y sont certainement procuré à prix dérisoire quelques Nepalese Temple Balls, le haschisch théoriquement interdit de nos jours. Pourtant, on ne peut pas faire cent mètres dans Thamel sans être abordé par des revendeurs de tout âge. Même Cantal a droit au hasssssssch ? ou au sssshhhhitttt ? susurré à l’oreille ! C’est peu dire qu’ils en proposent vraiment à tout le monde !
Accueil mémorable de Dipesh et de sa famille
Mais nous ne sommes pas venu à Freak Street pour cela. Seebu nous fait monter dans un immeuble typique de Katmandou. Au 5e étage nous attendent Dipesh et sa famille. Nous sommes accueillis comme des rois. En fait, notre amie parraine un jeune Népalais depuis plusieurs années et nous a octroyé un budget pour acheter de la nourriture et quelques cadeaux. Dipesh, garçonnet de 11 ans à l’œil vif, nous fait asseoir sur un canapé qui sert aussi de lit. Cinq personnes vivent dans cette unique pièce de 15 m2. Tandis que Seebu joue la traductrice entre nous et Dipesh, la maman s’affaire au-dessus du réchaud à gaz et nous concocte ce qui restera notre meilleur thé masala de tout notre séjour. Après avoir consciencieusement pilé cannelle, cardamome, grains de poivre, clou de girofle et gingembre, elle jette le tout dans la tasse d’un thé local sucré et laisse infuser un moment avant de nous en servir un gobelet. Excellentissime ! Celui-là restera dans nos annales, c’est certain. Une dentition saine et parfaite apparaît derrière le sourire qui éclaire le doux visage de la cuisinière. Une discussion un peu difficile s’engage et Seebu, la pauvre, a bien du mal à se faire comprendre des deux camps. La sœur de Dipesh, d’une quinzaine d’années, arrive de l’école et se joint immédiatement à la discussion. Pushpa qui se débrouille en anglais encourage son frère à en faire autant. Le temps passe vite et il est l’heure de descendre faire les courses. Nous nous retrouvons tous chez le commerçant du coin. La maman achète plusieurs sacs de riz de 25 kilos, des légumes secs et des épices de toutes sortes. Elle pourrait soutenir un siège ! Heureusement pour nous, un porteur monte toute la marchandise au 5e étage. Pour cela, le pauvre homme doit effectuer plusieurs aller-retour. Il s’exécute sans broncher et, plus surprenant, un large sourire fend son visage buriné. On apprend qu’il vient tout simplement de gagner plusieurs journées de salaire…
Nous redescendons en ville acheter des cadeaux pour les enfants. La fille de Seelu choisit un couple de valseurs qui dansent en clignotant (!). Mais nous ne trouvons pas le maillot de Mbappé que souhaitait Dipesh. Par contre, nous lui dégotons une belle guitare chez un vendeur d’instruments de musique. Le gamin ressort radieux du magasin avec sa gratte sur le dos. Il ne me quitte plus d’un pouce. Quant à sa sœur Pushpa, elle tient la main de Chantal dans la sienne…
Nous n’avons pas le choix : la maman nous prépare, à même le sol, un dal bhat. Après avoir décliné une première invitation, nous n’avons pas eu le courage de refuser une seconde fois. Nous l’aurions vraiment froissée. En fait, nous avons surtout eu raison d’accepter, car son plat est succulent. Elle a d’abord écrasé des pommes de terre, puis les a mélangées avec des épices, un jus de citron vert et du cerfeuil. Elle a ensuite terminé la cuisson d’un morceau de chèvre en sauce commencée ce matin, confectionné une grosse omelette avant de la couper en petites lanières et disposé, en plus de flocons et de grains de riz soufflé, un peu de toutes ces préparations dans deux grandes assiettes en métal qu’elle s’empresse ensuite de nous tendre. Trop bon ! Nous nous régalons vraiment. Certainement par politesse, ils ne se sont servis eux-mêmes que lorsque nous avons eu terminé… Lorsque nous les quittons, nous nous embrassons tous et leur promettons de revenir les voir. Une émotion intense nous submerge tous les deux à ce moment-là…
Nous accompagnons Seebu jusqu’à Universal Delight and Memorial Foundation Nepal, l’école de jeunes enfants défavorisés qu’elle dirige. Pour l’instant, elle s’occupe d’une vingtaine de gamins seulement et espère pouvoir en accepter beaucoup d’autres si elle parvient à obtenir assez d’aides et de dons. Après que ses élèves nous aient salués et, pour certains, offert de beaux dessins, nous la laissons à son travail et retournons vers notre hôtel en traversant le Durbar Square puisqu’il se trouve sur notre chemin. Ce soir, nous n’allons pas diner, mais prenons tout de même nos Nepal Ice sur la terrasse !
Nous venons de passer une journée dont nous nous souviendrons longtemps…