Notre séjour népalais débute de manière plutôt bancale. Après un vol sans histoire sur la Malaysia Airlinesdepuis Hanoi avec une courte escale à Kuala Lumpur, nous sortons juste avant minuit de l’aérogare rudimentaire de Katmandou. Un taxi de l’hôtel doit nous y attendre ; le responsable de l’établissement nous l’a confirmé au moment de la réservation sur Booking.

Mais après une demi-heure d’espoir vain, nous devons nous rendre à l’évidence : notre nom n’apparait sur aucune des affichettes que tendent les chauffeurs. Nous sommes donc contraints de nous débrouiller seuls et éviter de nous faire arnaquer comme souvent lors des arrivées très tardives. Devant l’hôtel, comme j’en avais peur, le conducteur ne nous rend pas l’appoint sur le billet tendu. M’ayant vu retirer de l’argent au distributeur de l’aéroport, il se doutait que je n’avais pas de petites coupures et a joué sur le fait que lui aussi n’avait que des gros billets et ne pouvait — en toute honnêteté d’après ses dires — nous rendre la monnaie. Ben voyons ! Voilà pourquoi j’avais négocié un taxi. Un peu énervés d’avoir dû céder, nous réveillons le réceptionniste endormi sur un canapé de l’accueil. En nous donnant les clés de la chambre, il nous apprend que le chauffeur a dû s’assoupir quelque part en nous attendant. Je ne crois pas un mot de son explication vaseuse et préfère aller me coucher. Il est une heure du matin et la fatigue nous tiraille tous les deux. Nous avons malgré tout des difficultés à trouver le sommeil. Dans la ruelle, juste sous notre fenêtre, une famille a effectivement trouvé refuge dans un renfoncement du trottoir. Les enfants jouent et ne semblent pas vouloir arrêter. Jusqu’à 3 heures, leurs cris, leurs rires et les discussions entre adultes nous tiennent éveillés. Après une journée entière de voyage, nous aurions pourtant bien apprécié le calme…
« Very sorry Mam, very sorry Sir ! »

À 8 heures, la mine renfrognée, nous montons sur la terrasse du dernier étage prendre le petit-déjeuner. Heureuse surprise : il fait plus chaud que je pensais et le soleil brille dans un ciel parfaitement pur. Cette bonne nouvelle nous met tous les deux en joie et nous fait oublier les petits soucis d’hier soir. En passant devant la réception, le directeur d’origine indienne nous présente ses excuses pour la mésaventure du taxi. Very sorry Mam, very sorry Sir. Il insiste un peu trop lourdement à mon goût sur le fait que le chauffeur se soit endormi dans sa voiture en nous attendant. C’est drôle, mais il ne nous convainc absolument pas.


Cela ne nous empêche pas de partir à la découverte de Thamel, le quartier où logent, mangent et sortent la plupart des touristes de passage dans la capitale népalaise, haut lieu des années hippies. Nous y avons séjourné en mars 2007, bien avant le séisme dévastateur d’avril 2015 qui a tant chamboulé la vallée. Aujourd’hui, en plus de la reconstruction qui amène avec elle gravats et poussière partout dans la ville, le nombre important de grosses motos empêchent les piétons étrangers que nous sommes de se balader sereinement. Pourtant aguerris à ce genre de souci, nous gardons sans cesse un œil derrière nous et les laissons passer lorsqu’ils deviennent trop pressants. Nous évitons ainsi leurs coups de klaxon autoritaires et stridents. Nous n’avions pas subi ce désagrément il y a douze ans puisqu’une longue restriction de l’approvisionnement en essence avait alors débarrassé la ville de ses incessants embouteillages. Aujourd’hui, la circulation toujours plus dense, même dans les ruelles du centre historique, nous oblige à continuellement rester sur le qui-vive et garder une main sur le nez pour éviter de respirer l’infect mélange de poussière et de gaz d’échappement. Beaucoup de monde, hormis les motards qui l’ont pratiquement tous adopté, porte d’ailleurs un masque pour ne pas trop en souffrir. Avec le recul, nous aurions dû, nous aussi, nous en procurer. Chantal n’a jamais autant éternué ! Moi non plus, au demeurant ! Ce sera pour la prochaine fois…

Redécouverte presque facile de Katmandou

Je reconnais sans difficulté le chemin vers les sites principaux de Katmandou. Nous nous arrêtons en premier lieu sur la coquette place Katheshimbu. Avec son stupa central doté d’une coupole bordée de moulins à prières et surmontée des traditionnels yeux de Bouddha, elle se prête joliment la photographie. Tout autour se succèdent maints petits pagodons et chaitya, ces sanctuaires bardés d’offrandes. Dans un angle de l’agora, je fais difficilement tourner le gigantesque cylindre à prières d’un monastère tibétain tandis qu’une armée de jeunes moines en robe pourpre et le crâne rasé en sort en file indienne. Nous leur emboitons le pas jusqu’à une placette cernée par de nombreuses échoppes de dentistes peu engageantes. Je comprends mieux ceux qui préfèrent soulager leur rage en clouant une pièce de monnaie sur la statue en bois toute proche !


déesse de la Justice
Nous parvenons ensuite au carrefour pour lequel nous avions un faible, celui où nous avons passé des heures à observer son effervescence. Nous le retrouvons inchangé. Toujours aussi animé, Kilagal Tole abrite, en plus de ses étals d’épices et de légumes, un petit temple très fréquenté où des femmes en sari viennent déposer d’innombrables bougies après en avoir fait le tour. Quelques centaines de mètres plus loin, nous voici déjà devant l’entrée du Durbar Square. La somme demandée pour y pénétrer nous paraissant bien chère, nous partons trainer dans les rues alentour et, sans le vouloir vraiment, nous retrouvons sur la célèbre place au milieu de l’ensemble des monuments historiques classés à l’UNESCO. Malheureusement, certains d’entre eux se sont effondrés lors du tremblement de terre et beaucoup portent les stigmates de la catastrophe. Des ouvriers s’activent à la reconstruction de l’un d’eux, celui où, un matin à l’aube, j’avais fait de jolies photos d’une cérémonie religieuse. Nous avons tous les deux beaucoup de peine en constatant les ravages. De profondes lézardes sillonnent plusieurs façades et des étais soutiennent la plupart des bâtiments encore debout. Malgré tout, cela n’empêche pas une foule de dévots de s’agglutiner autour de la statue noire de Kala Bhairava. Un nombre incalculable d’offrandes est déposé chaque jour devant cette déesse de la Justice très vénérée. Nous restons un long moment observer cette ferveur avant de quitter la place assaillie par des centaines de pigeons pour regagner notre hôtel.

Pour diner, nous nous fions, comme souvent lorsque nous l’avons, au dernier Guide du Routard. Comme celui du Vietnam, nous avons réussi à le télécharger, mais depuis le site de la Fnac et non celui de l’Apple store comme l’autre fois. Pour le lire, j’ai dû acquérir l’application spécifique de la chaine française. L’estimant nettement moins pratique que celle d’Apple, je ne renouvellerai pas l’expérience. Le patron du restaurant vient se présenter à la fin du repas que nous avons largement apprécié et, nous trouvant peut-être sympas, nous convie à prendre un thé masala dans son second établissement, celui qui a fait sa renommée. Nous restons un bon moment discuter avec lui avant de rentrer à l’hôtel.

Si les yeux de Chantal lançaient des flèches, je serais déjà mort !


Ce matin, après une nuit de nouveau bruyante à cause d’un groupe de Canadiens très bavards arrivé après minuit, nous avons choisi de nous rendre au site bouddhique de Swayambunath, aussi appelé Temple des Singes. Pour y aller, nous suivons scrupuleusement l’itinéraire de Maps.me sur le téléphone, bien plus facile à utiliser dans ces cas-là que nos encombrants iPad. Nous parcourons ainsi des quartiers que nous n’aurions pas visités autrement. En contrepartie, nous devons traverser un canal sur une passerelle composée de gros bambous et d’une rambarde rudimentaire. Chantal n’apprécie pas, mais alors pas du tout, mon choix de suivre à la lettre les instructions de l’appli ! Très crispée et en maugréant, elle franchit tout de même l’obstacle, mais en prenant beaucoup de temps ! Ce n’est qu’une fois parvenus de l’autre côté que nous remarquons le pont en béton à moins d’une centaine de mètres de là. Si les yeux de ma femme avaient pu lancer des flèches, je serais déjà mort ! En attendant, après une rude montée à travers la forêt, nous voilà arrivés dans l’enceinte même du fameux temple. Et, comme hier, sans avoir dû en payer l’entrée. Merci Maps.me ! Les dégâts sont ici aussi assez importants. Un ancien monastère a d’ailleurs disparu. Un nouveau a été construit plus bas sur les pentes de la colline. Ce doit être le bâtiment neuf que nous avons remarqué en montant tout à l’heure. Après avoir admiré la vue, encombrée de milliers de drapeaux de prière, sur une partie de Katmandou, nous continuons l’ascension par un sentier dallé, nous parvenons enfin en haut de la colline. Considéré comme l’un des plus anciens du Népal, l’ensemble architectural, magnifique, s’organise autour d’un stupa immaculé resplendissant, surmonté d’un bloc cubique portant sur chaque face les yeux du Bouddha, symbole récurrent dans toute la vallée. Le dôme blanchi à la chaux et sa flèche dorée étincelante surplombent une terrasse dotée d’une succession de moulins à prières que les pèlerins font tourner au cours de leur déambulation. Sur les fils tendus jusqu’au sommet du cône flottent des drapeaux de couleur où sont inscrits les mantras que le vent transporte vers le ciel. Om Mani Padme Hum, le plus connu, résume l’ensemble des instructions du Bouddha. Deux temples shikhara désormais rénovés, divers sanctuaires et de nombreuses statues occupent la base du stupa. C’est là que les macaques qui ont donné son surnom au site se disputent la nourriture que les visiteurs leur tendent. Il en résulte quelques bagarres et concerts de cris stridents. Comme tout le monde, nous allons contempler la ville depuis la terrasse, mais une famille de singes devenus agressifs à la vue d’une banane que ma jeune voisine voulait leur présenter abrège l’observation. Il est temps de redescendre. Pour cela, nous empruntons l’escalier impressionnant par lequel nous aurions dû arriver comme tous les autres touristes. Nous passons d’ailleurs juste à côté du fameux guichet installé dans le sens de la montée. Le préposé nous salue même chaleureusement. D’un coup, les scrupules nous assaillent ; nous le remercions en baissant la tête…


Nous allons diner dans le second restaurant de Luxman, celui où nous avons pris le thé masala hier soir. Avec nos momos, sorte de raviolis népalais, il souhaite nous faire goûter le tongba, breuvage traditionnel alcoolisé obtenu par fermentation du millet. Servi chaud dans un récipient spécifique, on le boit avec une paille. J’ai d’ailleurs un mal fou à tirer sur mon chalumeau ; les grains viennent continuellement l’obstruer. En fait, comme Chantal, je n’aime pas trop. Ça me fait un peu penser à un mauvais vin chaud, non sucré et à peine épicé. Nous avons testé, mais nous n’en reprendrons pas. Luxman semble désolé. Heureusement, les excellents momos effacent vite le goût âcre de cet essai peu concluant…
Les jours suivants, nous restons trainer dans les ruelles du Katmandou historique, celui que fréquentaient les hippies des seventies. S’ils revenaient aujourd’hui, ils reconnaitraient sans mal les plus anciennes habitations. De style newar et souvent camouflées sous une épaisse couche de poussière, elles semblent tout droit sorties du moyen-âge avec leurs balcons et fenêtres en bois sculpté. Seuls les enchevêtrements inextricables de fils électriques qui, pour certains, paraissent les soutenir trahissent de façon hideuse l’époque actuelle.



Au milieu d’une placette du quartier des tailleurs, un Népalais coiffé du topi traditionnel s’active sur une vieille machine à pédale à coudre des morceaux de tissu qui, semble-t-il, deviendront des pantalons. Il lève à peine la tête au passage d’un porteur complètement courbé sous le poids de son énorme baluchon suspendu sur le dos par une simple sangle qui lui ceint le front. Comme tout le monde et un peu par pitié, nous nous écartons pour laisser le jeune homme poursuivre son chemin. Ce que nous faisons d’ailleurs également devant l’insistance des coups de sonnette des rickshaws qui s’engagent dans des ruelles presque trop étroites pour eux. L’une d’elles débouche sur le beau temple Machendranath Bahal à l’atmosphère très authentique. Entourée de vieilles maisons toujours habitées et bordée de moulins à prières, sa coursive abrite une centaine de médaillons dorés représentant des postures du bodhisattva Avalokiteshvara. Mais les fidèles y sont néanmoins beaucoup moins nombreux que les pigeons qui ont investi en masse le double toit de la pagode. Plus loin, un petit passage coincé entre deux immeubles débouche sur une grande cour carrée, elle aussi cernée d’habitations traditionnelles. Un gros chien a élu domicile sur le stupa d’une blancheur toute relative qui trône au milieu de la place et un petit temple a sauvegardé ses poutres sculptées d’origine.
Après y avoir réalisé quelques photos, nous nous arrêtons acheter deux bières Nepal Ice chez un vieux revendeur d’alcool avant de regagner l’hôtel. Nous allons les boire sur la terrasse du dernier étage en regardant les aigles planer au-dessus de nos têtes.
