Nous quittons à regret le superbe site d’Aït Ben Haddou pour prendre la direction de Ouarzazate, distant d’une trentaine de kilomètres. À l’entrée de cette ville très étendue, des studios de cinéma proposent la visite de leurs décors en carton pâte, construits en plein désert, qui ont vu passer les plus grands acteurs et réalisateurs. C’est ici, entre beaucoup d’autres, que Astérix et Obélix: Mission Cléopâtred’Alain Chabat a été tourné. Nous laissons un car de touristes déposer son contingent de personnes âgées devant l’entrée à l’allure égyptienne avec ses pharaons géants avant de décider de nous rendre à l’oasis de Fint. Pour cela, il nous faut d’abord traverser une zone immobilière immense qui semble plus ou moins abandonnée et que traversent des rues asphaltées qui semblent partir dans tous les sens. Nous trouvons tout de même notre chemin dans ce labyrinthe, puis empruntons une piste poussiéreuse qui sillonne un plateau rocailleux durant plusieurs kilomètres avant de déboucher sur une oasis bien dissimulée au fond d’un canyon et qui porte très bien son nom; en berbère, fintsignifie « caché ». Nous stationnons la voiture un petit moment pour aller nous promener dans la palmeraie. Nous aurions souhaité monter jusqu’au village réputé pour ses potiers et ses fours à pain en terre cuite, mais le fait d’avoir garé la voiture près d’un groupe de jeunes, un peu farceurs, nous fait renoncer à la visite et faire demi-tour; nous ne souhaitons pas avoir les pneus dégonflés au fond de ce trou !
De retour dans la ville de Ouarzazate, nous en profitons pour aller trainer nos guêtres dans le ksour, en partie encore habité, qui entoure la casbah du Glaoui qui régnait en maitre dans toute la région dans la première partie du XXe siècle. Conçue pour protéger des pilleurs qu’étaient les seigneurs du désert, mais aussi du vent, de la poussière et de la chaleur, la vieille cité en pisé est actuellement en restauration. La partie déjà terminée est magnifique, ce qui laisse présager de bien belles choses; tant mieux pour Ouarzazate qui n’a pas grand-chose d’autre à offrir aux visiteurs.
C’est pour cette raison que nous poursuivons notre promenade vers Skoura et sa palmeraie qui abrite de nombreuses casbahs joliment décorées: Dar Sidi el-Mati fait partie des plus belles. Nous faisons le tour de quelques-unes avant de continuer vers la Vallée des roses. La route traverse de somptueux paysages où le dégradé d’ocre, de rouge, de rose et de vert des falaises qui forment plissés et reliefs ondulés, borde la chaussée et tranche avec le vert des oueds. Au printemps, les roses poussent ici par millions. On en récolte un millier de tonnes par an; la moitié est alors séchée et l’autre moitié distillée pour obtenir de l’eau de rose ou des onguents. Il faut quatre tonnes de fleurs pour obtenir un seul kilo d’extrait !
À la demande de Chantal et pour plus de sécurité, je fais le plein d’essence et fait vérifier la pression des pneus à la sortie d’El Kelaâ M’Gouna qui marque la fin de la Vallée des roses. Plus loin, sitôt la ville de Boulmane passée, on pénètre dans la vallée des gorges du Dadès. Les paysages deviennent d’un coup grandioses. Nous garons de plus en plus souvent la voiture sur le bas-côté de la route pour admirer le panorama et prendre des photos. En cette fin de journée, le soleil déclinant donne aux maisons des villages une teinte rose saumon, exactement la même que celles des roches qui les entourent…
La guesthouse que nous avons choisie sur le Guide du routard est l’une des premières de la vallée. Elle est située en hauteur, à flanc de colline, juste à l’entrée des gorges proprement dites. Lorsque je sors de la voiture, un homme vient tout de suite m’avertir qu’il trouve un de mes pneus, à l’avant, un peu dégonflé. C’est bizarre, car je viens de les faire vérifier, il y a moins de cinquante kilomètres. En les examinant d’un peu plus près, je ne vois d’ailleurs absolument rien de flagrant. On verra demain. Épuisés par cette longue journée, nous défaisons nos sacs et descendons manger dans la grande salle à manger, au sol totalement recouvert d’épais tapis locaux. Le repas servi est excellent. Avant de me coucher, je dois décharger mes photos sur l’ordinateur, les référencer et les classer. Chantal dort depuis longtemps lorsque j’éteins la lumière à plus de 2 heures du matin ! La pluie s’est mise à tomber et le son des gouttes sur la terrasse me berce langoureusement avant que je m’endorme.
Nous sommes en train de déguster l’excellent petit déjeuner lorsque le monsieur d’hier soir arrive en catastrophe et m’apprend, désolé, que j’ai un pneu crevé… à l’arrière ! Bizarre, vraiment très bizarre ! Comme il pleut de manière continue et que, par conséquent, nous avons décidé de rester à la guesthouse une nuit de plus, j’étudierai le problème au moment opportun. Pour l’instant, Chantal prend ses pinceaux et commence une première aquarelle tandis que je me mets à l’écriture de ce blog. En début d’après-midi, le patron se propose de changer le pneu crevé. Bien lui en a pris, car la pluie a cessé et les nuages se déchirent et laissent apparaître le ciel bleu par endroits. Pour plus de sureté, nous retournons jusque Boumalne, qui marque l’entrée de la vallée à une quinzaine de kilomètres d’ici, faire réparer notre pneu dans un garage. Le jeune mécanicien parait dubitatif lorsqu’il s’aperçoit qu’une fois regonflé et passé dans une bassine d’eau le pneu ne montre aucun signe de faiblesse. Par précaution, il le déjante, puis le remonte et vérifie sa pression avec beaucoup de vigilance. Cela confirme bien nos doutes: quelqu’un nous l’a bien dégonflé, volontairement, certainement pour tenter de gagner quelques dirhams en nous le « réparant » ! Manque de bol pour lui, on a tout fait tout seuls. Je glisse une pièce de 10 dirhams dans la main graisseuse du jeune ouvrier.
Avec une roue de secours validée dans le fond du coffre, nous partons, rassurés, vers les très réputées gorges du Dadès. Après plusieurs arrêts dont celui dans la vallée des Doigts de Singe pour admirer la paroi rocheuse aux formes arrondies qui rappelleraient les mains et les pieds de primate (il faut être tout de même sacrément imaginatif !), nous poursuivons la balade dans la partie la plus étroite et assez impressionnante. Nous longeons un moment le torrent, coincé au fond de l’étroit canyon, qui, avec la pluie de ces dernières heures, a soudainement gonflé et grimpons lentement la route spectaculaire en lacets, suspendue à la paroi rocheuse. Une fois au sommet, la vue est saisissante avec l’oasis bien verte qui se découpe au loin encastrée dans l’étroite vallée. Posé sur un piton rocheux, un hôtel-restaurant semble flotter dans la montagne et domine le site. Mieux vaut ne pas avoir le vertige pour manger ou dormir ici: les fenêtres surplombent en effet le vide et le torrent qui coule plus d’une centaine de mètres plus bas ! Après avoir continué notre route sur quelques kilomètres, nous faisons demi-tour un peu plus loin et revenons tranquillement vers notre hôtel. Comme hier, le diner se révèle excellent et, comme hier soir, la pluie recommence à tomber…