Il est midi passé lorsque, après cet intermède, nous reprenons la route vers le nord, remontant la vallée du Drâa. Nous reconnaissons sans mal les villages traversés hier en sens inverse avant d’obliquer vers Taliouine, village mondialement connu pour ses cultures du safran. Dans un décor de montagne, le site est fort joli. Je suis pourtant déçu de constater que les crocus, dont les étamines seront délicatement collectées aux aurores avant d’être vendues très chères, ne sont pas encore sortis de terre. J’avais espoir de pouvoir assister aux premières récoltes; malheureusement pour moi, elles ne débuteront que dans un mois au minimum. Dommage !
Le lendemain matin, en faisant le plein dans une station d’essence Afriquiaà la sortie de Taliouine, nous sommes éberlués devant une voiture auto-école qui vient vérifier la pression de ses pneus: elle possède deux volants. Et qui tournent en même temps ! Heureusement, me direz-vous, mais nous n’en avions encore jamais vu…
Nous roulons depuis un petit moment, toujours dans un décor de montagnes pelées, lorsque, à la hauteur d’Ingherm, je m’arrête prendre une photo d’un homme sur son âne. Juste derrière moi, une femme d’un certain âge m’appelle et me demande de venir la photographier dans son jardin qu’elle est en train de bêcher. Très peu habitué ici à ce genre de demande, je m’empresse de prendre quelques clichés et de les lui montrer sur l’écran arrière de mon appareil. Un grand sourire lui fend alors le visage. Puis, lâchant son travail et me demandant de la suivre, elle se précipite à l’autre bout du champ et ouvre une sorte de grand sac en toile de jute d’où elle sort un grand pain plat qu’elle partage en deux. Je ne vois pas refuser un tel cadeau et croque à pleines dents dans la moitié qu’elle vient de me tendre. Il est délicieux et odorant, de cette bonne odeur de pain chaud qui réveille immanquablement les papilles et fait saliver. Pour ne pas être en reste, je retourne à la voiture chercher la boite de dattes et lui en donne une bonne poignée que je lui demande de partager avec la fillette qui doit être sa petite fille et qui vient d’apparaître de je ne sais où. Elle reste longtemps sur le bord de la route à regarder la voiture s’éloigner…
Plus loin, je m’arrête discuter avec des femmes qui sont en train de labourer leurs parcelles avec des ânes. Comme elle me demande, en rigolant entre elles, si je suis marié, j’appelle Chantal qui est restée dans la voiture. Une des jeunes femmes, encore plus rigolote que les autres, lui amène alors son âne et lui montre comment labourer. Chantal, habillée dans une tenue pas forcément adéquate pour le travail de la terre, se laisse entrainer par la bête qui la mène comme elle l’entend. Le sillon tracé par la charrue rudimentaire est loin d’être rectiligne, ce qui fait hurler de rire tout le monde. Après cette halte plutôt récréative, nous reprenons la route vers Tafraoute. Dans cette zone plutôt agricole, puisqu’elle profite de la présence d’un oued gonflé par les pluies des jours passés, tout le monde s’active. Dans les champs, malgré le travail pénible, les rigolades sont partout au rendez-vous. Et quand elles ne sont pas dans les champs, les femmes vont à la rivière ou dans les canaux d’irrigation laver les tapis à grande eau. Là, encore, les rires fusent au moindre prétexte. Par contre, elles ne souhaitent pas être photographiées. Dommage…
Entre tous ces arrêts, le temps passe vite et nous arrivons enfin à Tafraoute en fin d’après-midi. Nous dégotons une jolie guesthouse à Oumesnat, dans une maison traditionnelle ameln du vieux village berbère, aux environs immédiats de la petite ville. La lumière étant belle, nous repartons, sitôt les sacs déposés, vers les fameux rochers peints en 1985 par l’artiste belge Jean Vérame qui ont tant fait pour la renommée de la région, même si l’on y vient d’abord pour les villages aux maisons rouges et le site magnifique dans lequel ils se succèdent. Loin de tout, dans un paysage de western (des productions hollywoodiennes y ont d’ailleurs été tournées), les rochers ronds sont peints dans des couleurs qui varient du bleu au rose. Nous comprenons les critiques des écolos puristes qui râlent parce que la nature a été défigurée, mais, tous les deux, nous apprécions beaucoup le travail de ce mégalomane auquel 19 tonnes de peinture à l’eau ont été nécessaires pour réaliser son œuvre. Depuis, les rochers ont déjà été repeints une fois.
De retour à la guesthouse, nous prenons le diner sur la terrasse. Comme d’ailleurs le petit-déjeuner. Le lever du soleil sur la mosquée blanche et sur les maisons en terre voisines, avec en arrière-plan, les montagnes de grès et de granite rose est tout simplement époustouflant.
Aujourd’hui, après un arrêt à Aguerd-Oudad, village propret posté à la sortie de Tafraoute, nous commençons l’ascension de la petite route qui mène à aux gorges d’Aït-Mansour. Pour y parvenir, nous traversons une succession de paysages différents, tous plus spectaculaires les uns que les autres. Plusieurs fois le long du trajet, je m’arrête cueillir des amandes dans les amandiers qui pullulent par endroits. Une fois la coquille cassée, on peut manger le noyau. Certaines, un peu amères, sont pour moi les meilleures. En en croquant quelques-unes, Chantal confirme. La route tortueuse continue de grimper avant de soudainement plonger vers un canyon et déboucher sur les gorges et leur oasis à la végétation luxuriante. Là encore, les amandes se ramassent à la pelle. On y trouve aussi en grand nombre palmiers, figuiers et oliviers. Pour amuser Chantal, je m’enlise près du ruisseau qui serpente au milieu des arbres. Sous ses sarcasmes, je passe un long moment à nettoyer mes chaussures… Et puisque je suis bien parti, je vais chercher la voiture pour la nettoyer elle aussi. Elle en a bien besoin, toute poussiéreuse qu’elle est.
Nous poursuivons la balade en passant par des endroits sublimes. Nous croisons pas mal de gens qui se rendent, à pied, au souk du village. Les hommes portent tous la djellaba, tandis que les femmes sont habillées dans une étole noire, enroulée trois fois autour d’elles et fixée par une ou deux fibules. Dommage que je n’essuie que des refus lorsque je leur demande si je peux les photographier. Pour être certaines que je ne prendrai de toute manière pas de bons clichés si j’appuyais sans leur consentement sur le déclencheur, elles se cachent le visage derrière leurs mains ridées. Je n’insisterai pas, mais trouve une bonne parade aux demandes fréquentes de bonbons et de crayons des enfants: il suffit de diriger mon objectif vers eux. Ils déguerpissent alors aussi vite qu’ils étaient arrivés, sans plus jamais revenir nous importuner. J’userai de ce stratagème tout le reste du voyage !
Le parcours d’aujourd’hui dessine une grande boucle qui rejoint Tafraoute par une autre route, moins montagneuse. Nous prenons en stop un homme qui s’y rend, mais lui demandons de descendre à l’embranchement de la route qui mène aux rochers peints. Je tiens à les voir sous une lumière plus crue. En fait, je préfère celle de fin de journée. Comme je préfère celle du matin à celle de cette fin de journée dans le village d’Aguerd-Oudad que nous visitons pour la seconde fois aujourd’hui.
Épuisés par cette journée de promenade et régalés par le bon diner, nous n’avons, encore ce soir, aucun mal à nous endormir.
Avant de partir pour Agadir, je fais le plein et vérifie mes pneus à la station Afriquia du village. Après une trentaine de kilomètres, je m’aperçois que je n’ai pas pris la route que je souhaitais. Celle-ci mène aussi à Agadir, mais je tiens à en emprunter une autre qui me semble plus intéressante. Je décide donc de faire demi-tour et me retrouve à chercher le bon chemin dans le centre de Tafraoute. Après un moment d’errements, nous le trouvons enfin, un peu difficilement tout de même. Je suis en train de me féliciter pour ma perspicacité lorsqu’à la sortie de la ville je tombe, complètement par hasard, sur ce que j’avais cherché en vain depuis notre arrivée ici: la fameuse mosquée rouge adossée aux rochers et le village aux maisons traditionnelles qu’on voit dans les articles de magazine consacrés à la région. Nous passons une bonne partie de la matinée à la visite. Chantal, pourtant réticente lorsque lui ai fait part tout-à-l’heure de mon désir de faire demi-tour, se réjouit de mon entêtement… Comme quoi !