Après avoir un peu trainé au lit et pris tranquillement le petit déjeuner dans la cour de notre hôtel, nous décidons d’aller à pied jusqu’à la Ménara à l’autre bout de Marrakech. Même s’il fait bon marcher sous le soleil matinal, nous mettons plus de 45 minutes pour atteindre l’entrée des fameux jardins. Ils sont réputés auprès des Marrakchis pour être le rendez-vous des amoureux ; nous pouvons en témoigner. Malgré l’heure, de nombreux jeunes couples s’enlacent déjà, à l’ombre d’un olivier ou derrière un arbuste. Au-delà de ce lieu de rencontres, il y a bien sûr le bassin où se mire le pavillon qui illustre tant d’affiches et de magazines. Je trouve par contre dommage que la vue d’ensemble soit gâchée par une scène métallique posé au ras de l’eau, surtout que, selon les explications qu’on m’a données, il n’y aurait plus de spectacles avant l’année prochaine.
Une fois le tour de l’étang terminé, nous gagnons la médina, non sans passer devant la célèbre Mamounia dont l’entrée nous est refusée parce que je porte des tongs. Zut ! Nous aurions peut-être pu prendre un café avec George Clooney qui doit être en voyage de noces dans les parages. Nous continuons notre chemin jusqu’à Bab Agnaou, porte que je trouve personnellement magistrale. Nous y reviendrons plus tard, car la lumière de ce midi ne la met vraiment pas en valeur. Nous notons juste les cigognes qui nichent là, sur les créneaux de la muraille d’enceinte. Nous nous enfonçons dans les ruelles qui bordent les remparts. Pour nous reposer de la longue marche que nous venons d’effectuer, nous nous asseyons à la terrasse bien à l’ombre d’un épicier et buvons d’un trait la bouteille d’eau fraiche que nous lui avons achetée. Puis, une fois le courage revenu, nous partons dans la fournaise un peu plus loin dans la vieille ville, au gré de nos envies. Seulement quelques instants plus tard, nous sommes complètement perdus dans le labyrinthe qu’est la médina. Après le porche sombre d’une ruelle, j’aperçois ce qui ressemble à une courette. Curieux, je m’avance et découvre l’entrée d’un café-restaurant-galerie. J’invite Chantal à venir prendre un jus d’orange. En fait, nous y passerons une bonne heure. Le lieu est un mélange de traditionnel et de moderne. Les meubles, éclectiques, sont mis en valeur par les murs blancsdécorés, par endroits, avec des tags. Pour ne rien gâcher, le personnel, jeunes garçons et jeunes filles, est adorable. Mais lorsque nous voudrons y revenir dans les prochains jours, nous ne retrouverons malheureusement pas le chemin. En attendant, nous trainons de ruelles en impasses sans nous poser la question de savoir où nous sommes ; c’est moins stressant comme cela. Pour passer le temps, je photographie les portes des habitations que je trouve souvent jolies. Chantal s’amuse de me voir virer, tourner, m’accroupir, me relever, m’éloigner, me rapprocher. Je ne la remercierai jamais assez de sa patience. De son côté, elle aussi cherche le meilleur angle ; elle vient même parfois se coller à moi pour prendre son cliché. Je la soupçonne de copier un peu !
Avec le soleil de fin d’après-midi, il est l’heure maintenant de retourner à Bab Agnaou. Nous mettons un certain temps à retrouver le bon chemin, mais à force de sillonner le quartier, nous y parvenons tout de même. Je commence tout juste à appuyer sur le déclencheur, lorsqu’un monsieur de stature imposante s’approche de moi et m’ordonne de ne pas photographier le bâtiment, celui qui se tient… dans mon dos ! Je trouve la situation plutôt cocasse et lui demande des explications sur ce que je ne dois pas prendre : individus, véhicules, que sais-je ? Rebutant à me répondre, mais devant mon insistance, il entrouvre sa veste, me montre sa plaque de police et, dans un souffle en se penchant vers mon oreille, m’avoue que c’est secret. Je me serais cru dans un film ! Bref, après tout ce cinéma, je photographie tout de même tout ce que je souhaitais. Et sans me retourner !
Pour changer, nous mangeons ce soir sur la place Jemaa el-Fna une harira et des chebakia dans un stand local sans chichis, fréquenté exclusivement par des Marocains. Comme on s’en doutait, la soupe est excellente et le prix, bon marché, nous autorise à acheter deux bières sur le chemin du retour. Nous les buvons tranquillement, assis à une table de la cour de l’hôtel.
Ce matin, nous décidons d’aller au Jardin Majorelle, mais la file des visiteurs qui attendent d’y entrer nous décourage. Nous reviendrons une autre fois. Pour l’heure, nous retournons dans la ville ancienne où l’effervescence est à son comble. Les préparatifs de l’Aïd el-Kebir de demain, fête la plus importante de l’islam qu’on peut comparer pour son faste à notre Noël, vont en effet bon train. Les carrioles amenant les moutons dans les maisons ont du mal à se frayer un chemin au milieu de la foule des promeneurs. Dans les ruelles de la vieille ville, il en résulte de fréquents embouteillages assez comiques où même les piétons ne peuvent plus avancer ! Pour la découpe de la bête, d’innombrables vendeurs étalent à même le sol une quantité incroyable de couteaux, tandis que d’autres, plus jeunes, proposent grills et pics pour la cuisson de la viande. Un peu à l’écart se tiennent les marchands de charbon de bois. Toute la population est concernée : demain, ce sera la grande journée du sacrifice…
Lorsque nous arrivons dans la rue où nous avons l’habitude de manger des brochettes, tous les établissements sont fermés. Nous ne nous y attendions pas. Il ne nous reste plus qu’à retourner sur la place Jemaa el-Fna où tous les touristes que compte Marrakech vont en partie se retrouver. Il y a, en effet, foule sur l’agora. Pour commander notre couscous, nous choisissons un restaurant un peu à l’écart de l’agitation. Lorsque nous rentrons à l’hôtel, cela fait presque trois heures que nous en sommes sortis pour aller diner !
Ce matin, nous sommes les premiers à nous présenter devant l’entrée du Jardin Majorelle. Un groupe de dames hollandaises arrive juste après et attend, comme nous, l’ouverture des caisses. Nous ne sommes donc pas gênés par la foule lorsque les gardiens laissent passer les premiers visiteurs de la journée. À cette heure, le soleil éclaire de façon magistrale l’atelier bleu du peintre Majorelle qu’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé ont acquis en 1980 et restauré. C’est aussi ici que les cendres du célèbre couturier ont été dispersées en 2008 ; dans un coin du parc se trouve son mémorial. Ce magnifique jardin, planté de toutes sortes de cactus, de bougainvillées, de bambou, est le lieu reposant par excellence. À l’ombre des plus grands arbres, de nombreux espaces pour la détente y sont aménagés, autour d’un bassin ou d’une fontaine. Photographiquement, je m’éclate avec cette débauche de jaune, d’orange et bien évidemment de bleu, du fameux bleu Majorelle qui a fait toute la notoriété du peintre. Nous y retrouvons les Hollandaises en train de tricoter dans un coin tranquille, entourées par une profusion de pots de fleurs jaunes, orange ou bleus, tandis qu’un petit groupe d’artistes français croque l’endroit sur leurs toiles. Avant de partir, nous faisions un tour dans la boutique du musée consacrée aux collections du couturier que les couleurs marocaines ont beaucoup inspiré. Nous quittons ce lieu enchanteur quatre heures après y être entrés, complètement détendus et sereins…
Marrakech ressemble à une ville morte. En ce jour d’Aïd el-Kebir, les moutons ont été sacrifiés et les peaux ont été recueillies par les tanneurs qui sont pratiquement les seuls Marocains à circuler dans les rues. Des bourricots, souvent très maigres, ont un mal fou à tirer les charrettes surchargées. D’ailleurs, juste devant nous, un pauvre âne s’écroule sous le poids trop important. Il faut quatre hommes forts pour le dételer et le remettre debout. Quelques minutes plus tard, malgré ses blessures aux pattes, il s’échine de nouveau à tracter son fardeau. Nous profitons du calme des rues pour aller voir des troncs sculptés en bordure d’une avenue, d’habitude beaucoup plus fréquentée. Des arbres morts, au lieu d’être abattus, ont été livrés à des artistes qui en ont fait des œuvres ; pas majeures, certes, mais le résultat d’ensemble est plutôt convainquant. En fin d’après-midi, la vie reprend un peu et nous croisons de plus en plus de familles aux abords de la place Jemaa el-Fna. Les voitures et motos recommencent à circuler, mais les boutiques et bicoque locales restent pratiquement toutes fermées. Après les jus d’orange très largement servis par le même vendeur que l’autre jour, celui dont le stand est décoré du drapeau breton, nous retournons diner dans le restaurant d’hier soir. Cette fois, le service nous semble très long et nous quittons cet établissement à touristes sans trop de regrets, mais le ventre plein.
Avant de nous coucher, il nous reste encore à boucler les bagages pour un départ matinal demain…