Le serveur nous apporte le petit déjeuner à 7 heures précises et une demi-heure après, nous trainons nos bagages à roulettes sur les trottoirs de Marrakech en direction de la gare routière de la compagnie Supratours. Le bus, neuf et confortable, part exactement à l’heure prévue. Trois heures plus tard, nous sommes en train de ranger nos affaires dans la chambre claire du deuxième étage de notre hôtel. Bien équipée, celle-ci propose la télé avec les chaines françaises, genre de luxe plutôt rare pour nous. Aussi l’allumons-nous durant une petite heure, le temps du déballage des sacs et du décrassage des frimousses. Depuis nos fenêtres, nous avons vue sur deux épiceries où se pressent les chalands. Leurs boutiques ne désemplissent pas.
Une fois dans la rue rectiligne de cette médina qui, fait unique au Maroc, a été dessinée avant sa construction et qui vient d’être mise sur la liste des sites classés de l’UNESCO, nous trainons nos guêtres parmi la foule locale. Hormis quelques audacieux, les touristes ne s’aventurent pas jusque là, préférant s’entasser dans les magasins qui leur sont destinés et sur les terrasses plus proches de l’océan. Habillés de blanc et de bleu, ces vieux quartiers ont pourtant un charme fou ! Tout en prenant la direction du port de pêche, nous flânons jusqu’à la porte qui débouche sur une grande esplanade en bordure de mer. Depuis des années, j’ai une furieuse envie de voir les barques bleues amarrées sous le fort et j’y suis presque. Parce que la fête de l’Aïd el-Kebir n’est pas encore terminée, les bateaux ne sont pas sortis aujourd’hui et sont tous sont entassés dans un désordre bien organisé dans l’un des bassins. Mon rêve s’est enfin réalisé ! En plus, j’ai la chance inouïe de découvrir le port un jour où tous les gros chalutiers sont à quai. J’adresse un grand merci à ma bonne étoile…
Vue d’ici, la citadelle ressemble un peu à Saint-Malo avec ses remparts, son fort et ses goélands, mais elle nous rappelle également certaines cités grecques avec leurs maisons blanches aux volets bleus. Les marchands de jus d’orange rassemblés devant la muraille nous signifient que nous sommes bien au Maroc ! Nous poursuivons la balade sur la promenade du bord de mer et ne résistons pas à la tentation d’aller nous allonger sur le sable. À vrai dire, je ne pensais pas trouver une plage aussi propre. À ma grande surprise, pas un déchet ne traine. Heureusement d’ailleurs, car le vent qui souffle assez fort aurait eu tôt fait d’éparpiller les ordures. Lassés des rafales qui se rafraichissent avec la fin de journée, nous reprenons la direction de la médina, lorsque j’entends la personne que nous sommes en train de croiser prononcer mon prénom. Incroyable, Thierry, un ancien client du bar que nous avions à Rennes se tient devant nous, tout aussi étonné de nous trouver ici que nous le sommes de le revoir. Pour fêter l’événement, nous allons boire une bière sur la terrasse d’un café, pas très local celui-là, du front de mer et discuter ensemble pendant un bon moment. Comme je le répète souvent, le monde est vraiment petit. Nous devrions noter sur un carnet toutes les rencontres fortuites que nous avons eues avec des personnes de notre connaissance. Il commence à y en avoir beaucoup… Nous nous quittons en nous donnant rendez-vous au même endroit, à la même heure, dans deux jours.
Seuls les restaurants pour touristes fortunés sont ouverts ; tous les autres sont fermés qu’ils soient locaux ou bien pour petits budgets. Nous nous rabattons sur un jeune marchand de chawarmas, complètement débordé par l’afflux des clients. Quand il fermera boutique ce soir, en voilà un qui ne regrettera pas son ouverture ! Par contre, il ne nous verra plus, car le sandwich est vraiment trop infâme.
Une jeune fille nous sert un copieux petit déjeuner sur la terrasse qui offre une jolie vue sur la ville, surtout sous le soleil de ce matin. Le vent, moins fort, nous incite à retourner au port refaire quelques photos. La lumière y est encore plus belle qu’hier soir ; un vrai plaisir. Puis nous continuons la visite de la vieille citadelle en nous laissant guider par notre instinct, c’est-à-dire en évitant soigneusement le coin des touristes. Le quartier de la porte El-Menzah commence en effet à trop ressembler à la rue principale du Mont Saint-Michel avec ses successions de boutiques de souvenirs made in China, ses cafés, ses riads et ses restaurants au confort européen qui se copient tous. Nous préférons, de loin, nous aventurer au fond des ruelles, des impasses. Nous parvenons ainsi à nouer quelques contacts avec les locaux. Mais il faut aussi savoir jusqu’où ne pas aller trop loin. Dans un coin qui semble assez pauvre, voire un peu louche, je surprends deux Marocains en train de s’échanger des barrettes de haschich, d’autres qui ne tiennent plus sur leurs jambes tellement ils sont ivres et des jeunes qui paraissent bien énervés par notre présence ; drôle de zone où nous ne trainons pas un instant de plus. Revenus dans des lieux plus sûrs, nous trouvons le restaurant chaudement recommandé par notre guide. L’endroit, mélange de traditionnel et de vintage des sixties, est sympa, tenu par une fille espagnole sympa, la forme des assiettes sympa aussi, l’addition, par contre, un peu moins. Dommage qu’une fois rentrés à l’hôtel, nous ayons dû terminer tout ce qu’il nous restait du collier de figues pour assouvir notre faim. Il nous aurait au moins fallu deux autres plats pour satisfaire notre appétit. Pas de chance ! Pour une fois qu’on ne dinait pas dans un restaurant local !
Après une matinée de travail sur mes photos, je rejoins Chantal allongée sur un transat de la terrasse. Nous décidons d’aller à la plage. Le vent ne soufflant plus du tout, nous profitons du généreux soleil, paresseusement vautrés sur nos serviettes. Nous retrouvons Thierry, à l’heure et à l’endroit prévus, et, comme l’autre soir, discutons plaisamment de choses et d’autres en savourant notre bière apéritive jusqu’à la disparition de l’astre derrière l’horizon. Après l’arnaque d’hier, nous choisissons un restaurant plein de Marocains. Ce n’est pas terrible, mais l’addition et le ventre rebondi nous font oublier ce léger désagrément. Pour pallier toute mésaventure, nous achetons un nouveau collier de figues à l’épicier près de l’hôtel. On ne sait jamais ! Et pour être sûrs de ne pas mourir de faim tout de suite, nous ne résistons pas à l’envie de dévorer quelques fruits.
Le lendemain matin, Chantal part réserver les places de bus pour notre retour à Marrakech dans trois jours. En chemin, lorgnant les bracelets en argent à 50 euros dans une bijouterie, elle craque pour un autre, en métal argenté, à moins de 3 euros, dans une quincaillerie ; elle espère juste qu’il ne jaunira pas. Dans la journée, une brume légère tombe sur la ville, certainement due à la marée montante. Je décide aussitôt de prendre mon appareil et d’aller faire quelques photos. Sans atteindre des sommets, le résultat ne sera pas si mal que cela.
L’après-midi suivant, nous nous rendons de nouveau à la plage. Je marche les pieds dans l’eau pendant plusieurs kilomètres. En chemin, je croise une caravane de trois chameaux qui promène des touristes dans les dunes du bord de mer en laissant des chapelets de crottes derrière elle. Durant nos séjours à Agadir et à Essaouira, nous ne nous serons pas baignés une seule fois. L’océan nous a, en effet, surpris par sa température plus froide qu’en Bretagne. Comme quoi ! Le soir, en nous baladant dans le dédale des ruelles de la médina, nous tombons sur un restaurant qui nous fait tout de suite envie. Pour nous faire patienter, le vieux patron (il est, nous l’apprendrons plus tard, de la même année que moi, mais fait, évidemment, beaucoup plus âgé !) nous amène une assiette d’olives vertes et noires, du pain et de la tomate sèche confite en guise d’apéritif. La soupe harira, le tajine de sardines aux tomates, olives et citron, le gâteau maison au chocolat pour Chantal et le yaourt maison aux amandes grillées pour moi : tout est divinement bien cuisiné. Pour la première fois, nous quittons heureux et rassasiés un restaurant d’Essaouira, d’autant plus que l’addition est restée très raisonnable.
Chassés de la plage le lendemain par un vent trop violent, en route vers le fort, nous nous régalons des figures acrobatiques que les kitesurfers effectuent, à pleine vitesse, juste devant nous. Sur le port, nous assistons, intrigués, à une bataille de goélands qui se disputent quelques sardines. Chantal remarque que les plus jeunes lâchent toujours leur pitance sans lutte lorsque les adultes rappliquent pour s’en emparer. Un autre de ces voraces s’y reprend à plusieurs fois pour avaler, entier, un poisson de la taille d’un maquereau. Amusés, nous profitons d’être à l’abri du vent pour les regarder défendre avec acharnement leurs prises. Mais il nous faut vite les quitter si nous voulons arriver avant la clôture d’un tout petit bouiboui et pouvoir y manger un tajine de poulet. Il était temps, il ne reste pratiquement rien dans les gamelles. Ici, on ferme quand on a tout vendu. Chaque jour, le menu change ; ainsi, tout est toujours très frais et nos intestins ne craignent rien. Comme nous sommes ses derniers clients, il vide tout son plat de légumes dans nos assiettes : nous voilà encore régalés pour quelques dirhams. Pour terminer ce diner local, nous achetons chacun un gros yaourt chez un marchand de laitages près de l’hôtel.
En ce dimanche, nous allons à la messe dans une église proche de la plage et que nous avons repérée lors de nos promenades. Une église catholique en terre musulmane : cela nous intrigue et nous voulons voir. Une personne, nous apercevant pénétrer dans la nef, vient nous accueillir et nous invite, un peu trop chaudement à mon gout, à nous joindre aux autres. Nous sommes désolés pour elle, mais nous préférons rester à l’écart et nous asseoir au dernier rang. Le curé français à la queue de cheval demande à quelqu’un de l’assistance s’il peut lire, de façon distincte et à l’intonation juste, mais pas trop forte, le chapitre X de… Nous ne saurons jamais si la personne choisie a bien articulé son texte, car nous quittons sur-le-champ cet endroit et ces gens si bizarres. Pour l’heure, nous nous rendons à la plage qui, grâce à la marée basse, accueille un nombre incroyable de vrais terrains de football, avec de vrais buts et de vrais poteaux de corner fichés dans le sable dur. Des matches qui ont l’air tout à fait officiels avec la présence d’arbitres s’y déroulent. Les joueurs, de tous âges, tapent plutôt bien la balle, mais je m’amuse de leurs tenues : la plupart d’entre eux portent des chaussures à crampons !
Pour notre dernière soirée à Essaouira, nous retournons manger un tajine de sardine dans le restaurant de l’autre jour. Et, comme la première fois, nous en ressortons très satisfaits…
Sitôt le petit déjeuner avalé, nous nous mettons tous les deux à faire nos bagages, de manière un peu confuse pour Chantal, très méthodique en ce qui me concerne. Trop certainement puisqu’il me faut pratiquement une heure pour tout y faire rentrer ! Puis, une fois les sacs bouclés, nous les descendons à Zacharia le réceptionniste qui les range dans un local derrière son bureau. Nous nous apprêtons à faire un dernier tour dans la médina lorsque nous apercevons, pile en face de l’hôtel, une ruelle que nous n’avions encore jamais remarquée. Mais nous avons des excuses : l’épicier, fermé aujourd’hui, y dresse d’habitude l’un de ses étals. Nous l’empruntons donc et découvrons tout un quartier coloré et vraiment typique. Je retourne vite chercher mon appareil photo. Tout le reste de la matinée, nous tournons et virons de venelles en impasses, de placettes en courettes. Essaouira, l’authentique, se trouve là avec ses habitants accueillants, ses artisans, ses échoppes, ses petites cantines locales qu’on dégote seulement maintenant. Par contre, nous savourons vraiment la chance d’être tombés, même trop tard, sur cet endroit que peu de touristes doivent connaitre. Et dire qu’on allait louper ça !… Un dernier tour à la plage, puis sur le port et il est déjà l’heure de se rendre à la gare routière prendre le bus pour Marrakech.
L’image que nous garderons d’Essaouira sera certainement celle des barques bleues amarrées sous le fort, mais celles des goélands et des chats, omniprésents, resteront ancrées pendant surement longtemps elles aussi.
De toute manière, nous avons beaucoup apprécié notre séjour ici, dans l’ancienne Mogador…