La route de Tafraoute jusque Tiznit traverse, comme quasiment partout dans le sud marocain, une belle région montagneuse avec, comme clou du spectacle, le passage du col Kerdous qui ne plafonne pourtant qu’à 1 100 mètres d’altitude. Mais auparavant, on traverse des plateaux rocailleux plantés d’arganiers, arbres dont on tire la très fameuse huile d’argan connue aussi bien pour ses vertus gastronomiques que cosmétiques. Pour en avoir gouté à Tafraoute, elle rappelle un peu le gout de la noisette; personnellement, j’adore, surtout en y trempant un morceau de pain à la façon berbère.
En se rapprochant de la côte atlantique, les grandes plaines désertiques remplacent peu à peu les montagnes pelées. Comme partout dans cette région, on trouve des plantations d’arganiers. Après Tiznit, la route qui devient une belle quatre-voies longe la côte jusque Agadir. Nous n’avons pas compté les stations essence le long de cette route, mais il y en a certainement plusieurs dizaines. On aimerait bien savoir pourquoi. Le trafic est beaucoup plus dense, les ronds-points omniprésents et le paysage semi-urbain assez laid. Après toutes les jolies choses que nous avons pu voir durant une douzaine de jours, cela nous fait plutôt drôle. Et pour la première fois, j’ai hâte d’arriver à destination.
Agadir se pointe enfin, au bout d’une interminable succession de feux et de ronds-points. Pour aller où nous le souhaitons, nous sommes obligés de demander notre chemin à un policier, puis à une autre personne, et encore à une autre… tant la ville est étendue. Dubitatifs, on regrette déjà presque d’être venus dans cette ville qui, totalement détruite en 1960 par un terrible tremblement de terre, a tout misé sur le tourisme de masse. Après un ou deux demi-tours, on arrive enfin devant l’hôtel qu’on a choisi sur le guide. Le réceptionniste est vraiment charmant et la chambre plutôt correcte. Nous nous y installons pour deux nuits; la journée de demain étant consacrée à la plage.
Pour le diner, nous nous rendons dans un restaurant indiqué sur le guide. Il n’y a personne et l’ambiance lugubre nous fait fuir aussitôt pour aller voir ailleurs. Quelques rues plus loin, il y a foule devant une bicoque locale; c’est là que nous décidons de tenter notre chance. Pour ne pas nous tromper, nous commandons la même chose que la table d’à côté. Ce sera une harira, soupe à base de pois chiches, des dattes et des chebakia, rubans de pâte frite recouverts de miel.
Comme hier soir, nous décidons de faire confiance à notre flair pour le petit déjeuner. En passant devant une petite épicerie, je remarque que le monsieur est en train de confectionner un sandwich. Nous nous installons sur une table de sa toute petite terrasse. Quelques instants plus tard, devant chacun d’entre nous, trônent un énorme verre de jus d’orange, un pot de thé à la menthe, un yaourt crémeux à souhait et un beau sandwich à la Vache qui rit. Nous sommes repus lorsque nous prenons la direction de la plage. À ce niveau du récit, j’aimerai préciser que les jus d’orange marocains sont, de loin, les meilleurs que nous ayons bus lors de nos différents voyages et que les yaourts font aussi partie, avec peut-être les grecs, des plus sublimes que nous ayons mangés. Bref, on ne s’en prive pas, car, en Asie, nous ne sommes pas prêts d’en retrouver.
La plage d’Agadir, à mes yeux étonnamment réputée tant elle me parait sans charme, déroule un long ruban de sable qui semble ne jamais vouloir se terminer. En début de corniche, avec ses hauts murs et son portail bien gardé, le Club Med ressemble à une forteresse impénétrable. Devant les grands hôtels des parages, les transats et les parasols qui vont avec envahissent le sable sec. Nous trouvons bizarre le peu de touristes rencontrés depuis que nous sommes arrivés au Maroc. Hormis à Marrakech, nous nous attendions franchement à en croiser beaucoup plus. On ne compte plus le nombre de fois où nous étions les seuls dans les guesthouses. Tandis que nous sommes allongés sur nos serviettes, un rasta routard franco-marocain qui visite le pays de son défunt père pour la première fois depuis son enfance vient nous tenir compagnie un petit moment. Nous lui gardons ses affaires lorsqu’il va se baigner. Je serai volontiers allé avec lui, mais je me suis ouvert un orteil hier à Tafraoute en butant contre un bout de métal qui trainait par terre. Chantal a consciencieusement soigné mon doigt abimé et, aujourd’hui, une jolie poupée protège la plaie du sable, mais m’empêche d’aller dans l’eau pour me rafraichir. Heureusement, la bise marine qui agite mollement les drapeaux tempère l’atmosphère chaude du début d’après-midi. Après cette journée de farniente à la plage, nous avons tous les deux repris un peu de couleurs.
Nous retournons dans le même restaurant qu’hier soir pour diner, comme nous prenons, le lendemain matin, le petit déjeuner, un peu tardif, dans la même épicerie. Il est 10 heures lorsque nous saluons le réceptionniste sympa de l’hôtel et démarrons la voiture, certainement en pleine forme puisqu’elle s’est reposée toute la journée d’hier !
La sortie d’Agadir me rase tout autant que son arrivée, la quatre-voies ne semblant jamais vouloir s’extirper des zones urbaines qui se succèdent sans interruption durant des kilomètres et des kilomètres. Le trafic dense et le peu de panneaux de signalisation rendent la conduite encore plus insupportable. Exploit: nous arrivons finalement à l’embranchement vers Taroudant en n’ayant demandé qu’une seule fois notre route !
Les plantations d’orangers et d’arganiers alternent et agrémentent un tant soit peu la campagne désertique en bordure de route. Nous arrivons à Taroudant en peu de temps et trouvons notre guesthouse facilement. Une jeune fille timide nous ouvre la porte et nous installe dans une chambre qui donne juste en face d’une mosquée: réveil matinal en perspective, donc !
Pour l’instant, nous partons à la découverte de la ville fortifiée en empruntant une longue rue poussiéreuse et écrasée de soleil. Comme à Marrakech, des calèches font office de taxi, et malgré les sollicitations des cochers, nous préférons nous y rendre à pied. Par Bab Targhount, l’une des quatre portes principales percées dans les murs de l’enceinte, nous entrons dans la vieille ville. Dès les premiers mètres, un jeune marchand de fruits affable nous offre, à chacun, une banane en guise de bienvenue dans sa ville. Plus loin, un marchand de figues qui promène son étal dans les rues, au gré de la fréquentation, renouvelle le geste. En remerciement, nous lui achetons un collier d’un kilo de figues sèches. Trop bonnes, nous en avalons jusqu’à plus faim ! Chantal craquera pourtant une fois encore devant un morceau de nougat tendu par un jeune homme…
Après notre balade traditionnelle dans les souks, au milieu des bijoutiers, des antiquaires, des marchands de tapis, des forgerons, des fabricants de meubles, des boutiques de vêtements, de chaussures, de babouches, de tajines, d’épices, d’olives, nous éprouvons le besoin de nous asseoir un peu. Pour cela, nous allons prendre un thé à la menthe sur la terrasse d’un café animé, juste en face la place principale. Vers 18 heures, la foule envahit les rues. Hommes en djellaba, femmes portant le haïk, ce voile traditionnel rabattu sur le visage, en plus du litham qui en recouvre le bas, groupes de jeunes hommes en jeans et chemises à la mode, tous se promènent tranquillement. Beaucoup d’hommes d’âge mûr arrivent en vélo et les rangent sur le trottoir, entassés les uns sur les autres, avant de discuter entre amis sur la terrasse d’un café autour d’un thé à la menthe. Nous n’y avions pas fait attention, mais, en observant bien autour de nous, nous constatons que Chantal est la seule femme assise autour d’une table; heureusement, personne ne semble contrit.
Dans une épicerie, nous achetons deux petits pains plats et quatre portions de Vache qui rit. Ce sera notre repas du soir: les figues, dont le nombre vient encore de diminuer, y étant certainement pour quelque chose !
Le jour n’est pas encore tout-à-fait levé lorsque nous montons sur la terrasse pour le petit déjeuner. Comme prévu, tôt ce matin, le muezzin a fait office de réveil. Du coup, comme nous souhaitions partir de bonne heure, nous en avons profité pour nous lever et boucler les bagages. Saïd, le jeune patron qui a du s’absenter pour emmener son autre client à l’aéroport, nous a bien préparé la table. Tout y est : jus d’orange, thé à la menthe, pain, œuf, confiture, miel et yaourt. Nous sommes en train de quitter l’hôtel lorsqu’il revient et nous souhaite bonne suite de voyage.
Un épais brouillard accompagne notre première heure de route pour se lever dès les premières pentes de la montée vers Tizi-n-Test. Nous évoluons d’abord dans un décor de forêt qui ressemble par certains côtés à des paysages provençaux. Une fois la pinède derrière nous, la végétation se fait plus rare. Des ânes, pourtant harnachés, se tiennent bizarrement regroupés, en plein milieu de rien. Des troupeaux de chèvres et de moutons cherchent, tant bien que mal, quelques brindilles à grignoter au milieu des cailloux, sous les yeux de leur berger berbère qui s’abrite du soleil et du vent derrière un rocher. Quelques biquettes, certainement les plus intrépides et les plus gourmandes, sont parvenues à grimper dans un arganier et se maintiennent en équilibre sur les branches pour se gaver des fruits inaccessibles depuis le sol. La scène devient franchement hallucinante lorsque, comme ici, une dizaine de chèvres et de cabris se disputent la cueillette du même arbre. La route sinueuse, en très bon état depuis la plaine, continue de grimper. Mais, dans les derniers kilomètres d’ascension, de gros engins sont en action. Nous devons même stopper un long moment pour laisser le temps à un bulldozer-marteau-piqueur, dangereusement perché sur un bloc de pierre lui-même en équilibre, d’arracher d’énormes morceaux de rochers qui dévalent alors la pente en ne passant qu’à une vingtaine de mètres de la voiture; frissons garantis. Quelques centaines de mètres auparavant, profitant d’une source qui jaillissait près d’un petit parking, j’avais nettoyé la voiture. J’étais tout content de pouvoir la rendre à peu près propre ce soir à l’agence de location. Malheureusement, ma joie aura été de très courte durée: un énorme nuage de poussière soulevé par la chute des rochers dans le ravin, puis un autre provoqué par le déblaiement de la route ont anéanti en quelques secondes ma demi-heure de nettoyage. Chantal est morte de rire: il n’y a pourtant pas de quoi !… Nous franchissons le col sur une route chaotique et dans un paysage devenu complètement minéral. En voyant la mine pas très rassurée de Chantal, je suis à mon tour mort de rire: il n’y a pourtant pas de quoi, rétorque-t-elle… On s’amuse bien tous deux !
Dans la région d’Asni, nous cherchons en vain des plantations mises en place par l’ONG Agrisud de notre ami Yvonnick. Ainsi, par hasard, nous tombons dans une ferme qu’on croyait abandonnée. À notre grande surprise, au moins dix personnes en sortent et viennent à notre rencontre. Pour une fois, nous avons du mal à nous faire comprendre; seule une jeune fille parle quelques mots de français. Au bout de quelques minutes, le téléphone arabe ayant certainement bien fonctionné, d’autres personnes arrivent mais aucune ne peut nous renseigner. Dommage, nous aurions aimé visiter, comme nous l’avons déjà fait en Asie, un de ces projets dont notre ami peut être très fier…
Le retour vers Marrakech, se passe sans problème. L’arrivée dans la ville nous surprend même un peu. Contrairement à Agadir où les kilomètres qui précèdent l’entrée dans le centre paraissent interminables, nous nous retrouvons au pied de la Koutoubia, l’un des pôles touristiques, sans vraiment nous en être rendus compte. Par contre, la trafic dense de cet après-midi nous incite à rendre notre chère Hyundai i10 sitôt les bagages déposés à l’hôtel. J’avais un peu peur que l’agence remarque la trace blanche laissée cet après-midi par un chauffard de camionnette qui avait forcé inconsidérément le passage devant moi et tapé dans mon rétroviseur, mais, surpris par l’état de propreté de la voiture, la poussière s’étant en partie envolée avec la vitesse, le contrôleur n’y voit que du feu !
Pour fêter la fin de ce périple qui s’est déroulé sans fait notoire, sinon l’éraflure de tantôt, nous achetons deux bières au supermarché Carrefour d’à côté et les dégustons tranquillement assis dans la cour de l’hôtel. Une fois la nuit tombée, nous allons nous régaler de frites, d’olives, de brochettes de bœuf pour moi et de poulet pour Chantal dans un resto populaire du coin…