Dans notre cantine indienne, archibondée ce soir, une directrice et un directeur de collèges sri lankais s’installent à notre table. Leurs élèves qui mangent juste derrière nous sont venus à Penang disputer un tournoi international de hockey sur gazon. Quand les jeunes garçons quittent leurs places après avoir dévoré à une vitesse impressionnante leur assiette de riz au poulet, les filles restées sagement dehors les remplacent aussitôt et se restaurent à leur tour. On avait oublié cela : on ne mélange pas les torchons et les serviettes ! Cela n’empêche nullement la bonne humeur de régner à notre table. Nous racontons alors à nos interlocuteurs notre récente visite dans leur beau pays. Ils ne sont absolument pas surpris d’entendre que, comme nous, de nombreux voyageurs indépendants ne se rendent plus sur les sites historiques devenus vraiment trop chers pour les budgets serrés ; ils le savaient déjà. Lorsque nous nous séparons, nous souhaitons un gros good luckaux jeunes joueuses pour leur match de demain. Les sourires illuminent immédiatement leurs beaux visages…
Après la soupe aux nouilles du petit déjeuner, Chantal va acheter les billets de bus, pour notre départ dans trois jours vers Krabi en Thaïlande, chez le vieil Indien qui tient une petite agence de voyages tout près de l’hôtel et qui nous connait un peu pour nous avoir déjà vendu plusieurs trajets ces dernières années. Lorsqu’elle arrive toute fière avec les sésames à la main, je lui apprends que j’ai reçu à l’instant un mail des « Mimi », Michel et Michèle, nos amis malouins qui viennent couler les mois d’hiver sous le soleil asiatique. Ils nous donnent rendez-vous, en Thaïlande, pour célébrer les fêtes ensemble. Ni une, ni deux, elle retourne annuler les tickets aussi vite qu’elle était allée les acheter ! En contrepartie de ce changement d’avis pourtant rapide, le vieil agent de voyage l’oblige à choisir une destination, en bus, même autre, à prix équivalent si nous ne voulons pas perdre d’argent. Car il garde le pognon, le bougre. Un peu dur, l’Indien ! Nous nous arrangerons plus tard avec lui. Nous sommes très heureux de retrouver ceux que nous avons croisé quelques jours à Kuala Lumpur en février et qui nous ont accueillis les bras grands ouverts lors de notre passage en France cet été. Et puis, fêter Noël avec des personnes de connaissance nous changera de notre réveillon de l’an dernier, à Kandi au Sri Lanka, où nous n’étions que tous les deux, un peu tristes de ne pas pouvoir partager ce moment avec nos enfants. Cette foi-ci, nous penserons bien évidemment beaucoup à eux et à toute notre famille, mais l’ambiance devrait être plus joyeuse… Il n’y aura aucun souci pour cela avec la présence de Michel, toujours très drôle…
Du coup, nous décidons de rester une douzaine de jours supplémentaires à Penang, ce qui ne nous gêne absolument pas, tant la ville et notre guesthouse nous plaisent bien.
Au hasard de nos promenades, nous découvrons encore de nouvelles peintures murales. Nous avons l’impression incroyable qu’elles naissent en une nuit ! Nous ne sommes pas très loin de la vérité, car en ayant séjourné un mois et demi ici, nous en avons vu apparaitre quatre nouvelles, gigantesques. George Town va bientôt devenir la capitale mondiale du Street Art, si elle ne l’est pas déjà.
La Malaisie, par contre, ne sera jamais championne du monde pour la réalisation des trottoirs. Je le répète encore aujourd’hui, la vie d’un piéton est une épreuve à haut risque. Ce qu’une personne française considèrerait comme un lieu de passage sécurisé pour marcheurs n’existe pas ici, ou si peu. Des stands de cuisine ambulants, la terrasse des bars et des restaurants, des garages à motos, des ateliers de mécaniciens ou de tailleurs, des présentoirs de vêtements, des dépotoirs : on trouve absolument de tout sur ces trottoirs qui ne devraient être utilisés que par les piétons, mais qui servent, en plus, de file à contresens pour les deux-roues, motorisés ou pas. Mais dans ce pays où l’on démarre son moteur pour effectuer seulement une dizaine de mètres (ne riez pas ! nous l’avons vu), marcher est une hérésie réservée aux étrangers. Rien, absolument rien, n’est conçu pour ceux qui souhaitent se dégourdir les jambes. Essayez aussi d’imaginer le stress des touristes fraichement débarqués qui doivent traverser des artères sans vrais trottoirs et sans passages cloutés, au milieu d’une circulation où les conducteurs de tous les véhicules, même des vélos, ne font aucun effort pour leur laisser la priorité, bien au contraire. Ils préfèrent accélérer franchement, au risque de vous rouler sur les orteils plutôt que s’engager derrière vous, là pourtant où il y a beaucoup plus de place. Incroyable ! Nous pouvons d’ailleurs compter sur les doigts d’une seule main les fois où un chauffeur a ralenti pour que nous puissions traverser en relative sécurité. Heureusement, malgré toutes nos balades en ville, je suis encore en mesure d’écrire ces lignes…
Au cours d’une promenade digestive d’après-diner, nous tombons sur une troupe de théâtre qui interprète sa pièce dans une rue, il est vrai assez peu fréquentée, mais où les véhicules peuvent tout de même circuler entre la scène et les spectateurs. Qu’à cela ne tienne, dans leurs beaux habits et sous leurs maquillages élaborés, les acteurs jouent, comme si de rien n’était. Tandis que Chantal déniche deux tabourets, j’en profite pour prendre d’innombrables photos, comme je l’avais déjà fait lors d’un précédent séjour à la même époque, il y a deux ans. Auprès d’un spectateur chinois à qui je demande le pourquoi de cette représentation, je crois comprendre qu’il s’agit de l’anniversaire du kongsiqui se trouve juste derrière nous. Nous restons là une bonne heure, en ne pigeant rien au texte, mais amusés par le jeu souvent drôle des acteurs d’origine chinoise. En prêtant attention aux personnes qui assistent à la pièce, nous constatons que nous sommes les seuls étrangers. Par contre, nous sommes tous les deux énormément surpris, pour ne pas dire outrés, par le nombre de touristes, jeunes pour la plupart, qui passent devant la scène pourtant haute en couleur sans même lever un œil de leur téléphone mobile qu’ils ne cessent de consulter et de tapoter ; désolant ! À quoi servent donc les voyages, sinon à s’enrichir des cultures visitées ?… Tout fout le camp !…
Le ciel, d’un bleu pur, va accompagner nos journées durant une semaine entière ; cela ne nous était pas encore arrivé. Nous partons faire un tour du côté du palace centenaire de la ville, ouvert aux étrangers qui veulent simplement le visiter. C’est un fait indéniable : il est bien plus luxueux que notre petite piaule ! Le calme qui règne dans le parc et autour de la piscine nous incite à nous asseoir un instant à l’ombre d’un arbre gigantesque dont le feuillage surplombe en partie la mer, malheureusement pas très propre à cet endroit.
Pour confirmer ces propos, un gros varan arrive peu après en nageant au milieu des sacs plastiques et s’installe tranquillement sur les rochers, à quelques mètres de nous. Quittant à regret ce havre de paix et de fraicheur, nous poursuivons la promenade en bordure de la grande bleue. Que dis-je ? nous partons crapahuter sur le sentier qui passe entre des immeubles en construction, par-dessus des égouts éventrés (j’ai même failli tomber dans l’un d’eux, la mauvaise planche qui l’enjambait ayant cédé sous mon poids ; inutile de préciser que Chantal a emprunté un autre chemin !) ou sur les rochers amenés ici pour protéger de la houle les buildings qui ont pratiquement les pieds dans l’eau vaseuse. Ne prenant vraiment aucun plaisir à notre balade, nous préférons abréger le calvaire et nous enfoncer dans des quartiers que nous ne fréquentons pas souvent.
Nous profitons aussi du grand ciel bleu pour retourner à la plage de Ferringhi. Rusés comme nous le sommes (!), nous trouvons enfin le moyen de nous installer sur les transats d’un hôtel de luxe, à l’écart du bruit des scooters et autres bateaux qui tirent inlassablement les parachutes ascensionnels. Contrairement aux fois précédentes où nous étions dégoulinants de sueur au bout de quelques minutes, nous savourons pleinement notre journée bien à l’abri sous le feuillage dense des palmiers et confortablement assis à écouter de la musique ou à remplir des grilles de sudoku. Comme toujours avant de reprendre le chemin vers George Town, nous cédons au plaisir du ventre en dégustant un bon cornet de glace du Mc Donald du coin (si, si, je vous jure !). Nous passerons à Ferringhi deux autres jours durant la semaine.
Profitant d’un beau soleil matinal, nous retournons une seconde fois au Temple Birman et au Wat Chayamang Kalaram, son voisin, qui brille désormais de mille feux sous ses nouvelles mosaïques. À cette heure où la ville est encore endormie, les bus et les taxis arrivent en masse avec leurs cargaisons de vacanciers étrangers. Nous n’avions pas prévu cela. Nous flânons donc tranquillement dans les enceintes de ces deux édifices en attendant que le flux se tarisse. À vrai dire, nous ne patientons pas longtemps : les visites sont très succinctes et très rapides. Décidément, nous ne nous sentons pas encore tout à fait prêts pour ce genre de voyage où la qualité fait le plus souvent place aux nombres de sites entraperçus et de kilomètres parcourus. En fait, et nous en sommes parfaitement conscients, nous avons une chance inouïe : celle d’avoir le temps…
Le séjour sur l’île de Penang tire désormais à sa fin. Nous devons passer en Thaïlande, le pays voisin, rejoindre les « Mimi » qui doivent déjà avoir quitté le bruit et la frénésie de Bangkok pour le calme plus relatif et la douceur du sable de Hua Hin. Même si nous n’avons pas loué de moto et vagabondé dans l’île comme toutes les autres fois, nous ne nous sommes pas ennuyés un seul instant, tant la variété des centres d’intérêt de la ville n’engendre pas la monotonie. Notre plaisir de parcourir les anciens quartiers chinois est encore intact et celui de retrouver « notre » guesthouse, toujours présent.
Nous repasserons par George Town un de ces jours, c’est certain…