Après la soupe de ce matin, nous partons à la recherche de nouvelles murales. La ville de George Town en est truffée. Le Street Art règne en maître, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Nous adorons en effet ces peintures figuratives, communément gigantesques et toujours très belles. Il existe au demeurant un dépliant qui recense les œuvres, mais qui doit être souvent mis à jour tant la production évolue. Depuis que nous venons ici, nous constatons que le phénomène prend indubitablement de plus en plus d’ampleur. Et c’est peut-être un bien : le climat chaud et humide efface en quelques années les plus anciennes ce qui permet de renouveler ce patrimoine culturel. D’ailleurs, perchée sur un élévateur, une artiste européenne est en train d’en réaliser une nouvelle, gigantesque, sur le mur d’un hôtel. Ce soir, en rentrant de diner (chose incroyable, sous une bruine bretonne version tiède), nous restons admirer la manière avec laquelle un peintre exécute sa toile, bien à l’abri sous les arcades du trottoir. Il fait nuit et l’éclairage public orangé et assez faiblard ne lui rend certainement pas la tâche facile. Pourtant son tableau prend forme rapidement et nous devons reconnaître que le stand de nourriture chinoise en clair-obscur qu’il est en train de peindre à grands coups de pinceau est impressionnant de beauté avec ses taches de couleurs figurant les personnages et les phares des voitures. Si nous avions été riches…
Un matin, nous partons de bonne heure pour effectuer à pied le chemin vers l’ambassade de Thaïlande. Nous voulons en effet obtenir nos visas de deux mois pour un futur passage dans l’ancien Royaume de Siam. Pour cela, nous avons dû refaire hier des photos d’identité chez un photographe de la ville qui possédait, pour une fois, un semblant de studio. Dans la fraicheur matinale toute relative, nous avalons rapidement les quatre kilomètres qui séparent l’hôtel de la résidence et arrivons une demi-heure avant l’ouverture des bureaux. Des gens de tous horizons font déjà la queue. Nous y prenons tranquillement notre place et patientons en admirant un Malais déployer du matériel informatique dans le coffre de son véhicule, un fond bleu pour les photos d’identité et proposer quelques instants plus tard ses services aux personnes qui auraient besoin d’une photocopie, d’un portrait, d’un billet. Car le bougre vend aussi des tickets de bus pour la Thaïlande ! Comme au Vietnam, je me prends le chou avec un Russe qui double toute la file d’attente lorsque le portail s’ouvre. Décidément, j’ai vraiment beaucoup de mal avec ces gens qui mettent la pagaille partout où ils se trouvent. Ils n’ont pas été élus, dans le monde entier, « Touristes les plus détestés » pour rien… Nous récupèrerons nos passeports visés demain. Pour l’instant, il faut refaire le chemin inverse. Nous nous asseyons, 45 minutes plus tard, devant un bon bol de soupe dans le food court où les gens commencent à nous reconnaître. Il était temps, car nos ventres criaient famine.
Le lendemain à 13 heures, avec la chaleur qui règne, nous décidons de prendre le bus pour retourner à l’Ambassade. À la station, nous attendons, attendons, attendons… Après deux très longues heures, le bus no 10 arrive enfin et nous dépose à 15 h 15 devant les grilles. Il allait être temps, car les bureaux ferment à 16 heures. Seulement 5 minutes plus tard, nous repartons, mais à pied cette fois, les passeports en poche. On n’est plus prêts de reprendre ce fameux no 10…
Le marathon de Penang, apparemment bien coté, se déroule la nuit prochaine avec un départ à 2 heures à cause de la chaleur. En nous baladant en ville, nous croisons les athlètes kenyans sur un trottoir. La plupart d’entre eux mesurent 1,70 mètre tout au plus et pèsent aux alentours de 55 kilos. Je fais presque grand et gros à côté d’eux, c’est dire ! Dans le bus qui nous ramène de la plage le lendemain en fin d’après-midi, nous faisons la connaissance de Lanson, un patron d’entreprise Chinois de 52 ans, qui a terminé ce matin 110e sur plusieurs milliers de concurrents et qui sillonne le monde en courant un peu partout. La semaine prochaine, il participera à celui organisé dans sa propre ville. Il en est déjà tout excité. Le soir, dans un restaurant indien, où nous mangeons quelquefois un tandoori toujours bien servi et moins cher qu’ailleurs, nous rencontrons Yves, un Breton d’Étables-sur-Mer venu faire quelques emplettes par ici et en Thaïlande pour son commerce, qui est en train de se faire avoir sur le prix (au moins doublé) de son plat. Vexé, en bon Breton, il plante là son assiette pleine et déserte immédiatement la cantine, non sans avoir vociféré quelques propos peu amènes envers le personnel… Y z’avaient qu’à pas l’embêter, na !
Par une belle matinée ensoleillée, nous allons visiter le Temple Birman et le Wat Chayamang Kalaram. La rénovation de ce dernier, que nous avions laissé sous des bâches l’année passée, est désormais entièrement terminée. Il a fière allure avec ses sculptures extérieures maintenant recouvertes de mosaïques étincelantes et ses pavillons repeints. Quant au Temple Birman, juste en face, il a lui aussi été rafraichi et brille à nouveau de mille feux. Ravis de notre balade, nous revenons tranquillement vers le centre-ville et profitons de passer devant pour nous arrêter dans un bâtiment à plusieurs étages, entièrement dédié à l’aquariophilie. Un espace a cependant été réservé aux animaux de compagnie : serpents de toutes espèces, araignées de toutes tailles, bestioles improbables dont on ne soupçonnait même pas l’existence quelques instants plus tôt ! Un vrai plaisir pour les yeux, mais nous préférons les savoir ici que dans les maisons…
Une autre fois, sitôt la soupe wan tan mee avalée, nous prenons le bus pour Ayer Itam et son fameux temple Kek Lok Si. Construit à flanc de colline, le plus grand édifice religieux de Malaisie étage ses nombreux bâtiments en terrasses. Avec son toit surmonté de plusieurs flèches, l’immense statue de Kuan Yin qui le domine permet de le repérer aisément de loin. Terminé en 1890 après une vingtaine d’années de travaux, il impressionne d’emblée par sa grandiose façade en pagode, mélange d’architecture chinoise et thaïe. À l’intérieur, après avoir suivi l’inévitable chemin couvert bordé de boutiques et stands en tous genres, on débouche sur une cour avec une fontaine-pagode. Par une nouvelle volée d’escaliers, on débarque dans la caverne d’Ali Baba des visiteurs asiatiques qui l’est beaucoup moins pour les autres. On y trouve, en effet, quantité de ticheurtes, de bouddhas en plastique aux couleurs criardes, de bracelets en pierre, de bimbeloterie bon marché qui le font malheureusement ressembler à un temple de pacotille. Dommage, car les bâtiments sont jolis. Nous avons eu la chance d’arriver, sans le vouloir, juste au moment de l’ouverture des portes. Nous avons ainsi pu monter tranquillement et prendre des photos sans être trop dérangés. Par contre, lorsque nous entamons la descente, une foule de jeunes écoliers en promenade de classe, de visiteurs étrangers, mais asiatiques pour la majorité, se bouscule devant les autels et les statues sacrées. L’effervescence, pour ne pas dire la grosse pagaille, règne désormais dans l’enceinte religieuse. Il est donc temps pour nous de repartir. Une fois revenus au village, nous ne pouvons pas résister à l’appel d’un grand verre de jus frais de canne à sucre pressé devant nous ; trop bon !
Le dernier samedi soir du mois, le Khoo Kongsi est illuminé et ouvert gratuitement au public. Nous profitons de l’aubaine pour aller y faire un tour. Le mot kongsi désigne une maison utilisée comme lieu de réunion par un clan chinois et qui sert également de temple. Penang en possède plusieurs, mais celui des Khoo est le plus réputé et, de loin, le plus beau. L’UNESCO a d’ailleurs choisi de l’inscrire à son patrimoine. Ce soir, on ne peut pas pénétrer à l’intérieur du pavillon, mais l’ayant déjà visité à plusieurs reprises, cela ne nous gêne pas trop. C’est, par contre, la première fois que nous le voyons éclairé. Sous son habit de lumière, il est magnifique. Sur la scène qui lui fait face, des danses traditionnelles se déroulent. Après avoir assisté à beaucoup d’autres ailleurs en Asie, celles-ci ne nous enthousiasment guère. Heureusement, le spectacle se termine par un concert de gros tambours sur lesquels de jeunes garçons, torse nu et visage maquillé, frappent avec vigueur et harmonie. Rien que pour eux, nous ne regrettons pas notre déplacement. Avant de partir, Chantal se fait prendre en photo avec le joueur de cymbales, le plus grassouillet des musiciens avec qui j’avais lié connaissance en arrivant.
Le temps passe vite en fait, malgré les journées où Chantal va faire un tour seule en ville et où je reste à la chambre travailler. Pour me dégourdir tout de même un peu les jambes, nous partons à la recherche de murales que nous aurions pu oublier. Nous en trouvons des superbes sur les façades d’un ancien entrepôt de bus transformé en bar branché qui vient d’ouvrir ses portes à une clientèle jeune et aisée pouvant s’offrir des consommations aux prix parisiens. Nous discutons un long moment avec le monsieur qui a réhabilité le lieu ; intéressant bonhomme qui a une furieuse envie de connaitre encore plus le monde… Nous découvrons d’autres peintures sur une palissade qu’on s’était déjà efforcés de dégoter, en vain. Cette fois, à l’aide d’un bon plan qui les répertorie, nous tombons enfin sur le visage en noir et blanc qu’on s’était échiné à rechercher… dans un mauvais quartier ! Pour notre excuse, la carte qu’on suivait alors était succincte et très mal détaillée. Celle d’aujourd’hui semble pratiquement à jour, puisque nous en dénichons une nouvelle, très grande, représentée sur de nombreuses affiches et réalisée il y a seulement trois mois. Ravis de notre quête, nous arrivons à l’hôtel au moment où les premières gouttes de l’averse quasi quotidienne se mettent à frapper lourdement le sol.