Nous quittons le Grand Hotel à 5 h 15. Il fait déjà grand jour lorsque nous présentons devant l’hôtel Mania où un taxi-brousse doit venir nous chercher à partir de 5 h 30. À 6 heures, le gardien de nuit qui termine de balayer la cour et à qui nous avons demandé plusieurs fois à quelle heure arrive habituellement le taxi en arrête un qui passait par là, parle quelques instants avec lui et nous fait signe. Le chauffeur met les bagages à l’arrière tandis que nous prenons place dans le véhicule vide, puis démarre… pour s’immobiliser cinq minutes plus tard durant deux heures ! Nos montres indiquent 8 heures lorsque nous repassons devant notre hôtel ! Nous ne savons pas encore à ce moment-là que nous allons de nouveau nous arrêter une heure près d’une autre gare routière juste avant la sortie de la ville. Il est en réalité 9 heures quand nous quittons enfin Ambositra. Dire qu’on nous a fait lever à 4 h 30 et que du coup nous avons toujours le ventre vide. Nous n’avons en effet pas pris de petit-déjeuner pour être prêts plus rapidement. J’ai juste acheté quelques cacahuètes à une marchande lors du premier arrêt. Cent cinquante kilomètres plus loin, nous pénétrons dans Fianarantsoa à 13 heures. Heureusement que le chauffeur qui a très bien conduit nous avait, encore une fois, placés sur les deux sièges près du sien. Au moins, nous n’avons pas souffert de l’entassement derrière nous. Contents d’être arrivés, nous fendons comme nous le pouvons la foule des rabatteurs et des chauffeurs de taxi qui nous tombent littéralement dessus et parvenons à notre hôtel complètement essoufflés à cause de la très longue montée depuis la gare routière. Le plan que j’ai consulté juste avant ne le mentionnait pas !
Après nous être douchés et installés dans notre nouvelle chambre, nous prenons la direction de l’atelier de Pierrot Men, LE photographe malgache dont tout le monde nous parle depuis que nous sommes arrivés. Le hasard a voulu que le magazine Réponses Photode ce mois-ci lui consacre tout un article à l’occasion de son exposition au musée du quai Branly à Paris. J’ai ainsi pu découvrir un peu de son œuvre, l’artiste et son parcours. Je pénètre donc avec une certaine excitation dans son antre tenu par sa famille lorsqu’il n’est pas là comme, malheureusement, aujourd’hui. J’apprendrai plus tard que nous nous sommes poursuivis durant une bonne partie de notre séjour, mais sans jamais nous croiser, même si nous avons occupé le même hôtel ou mangé dans la même gargote à deux ou trois reprises. Cela restera mon plus gros regret, d’autant plus que, d’après les personnes qui le côtoient et qui nous en ont parlé, il a su garder une incroyable gentillesse et une grande humilité malgré un succès planétaire. Deux choses plutôt rares de nos jours dans le milieu de la photo. Nous trainons dans la galerie, toute simple, parmi les tirages de ses instantanés de vie les plus célèbres. En fait, nous en reconnaissons plusieurs sans savoir qu’elles étaient de lui. Nous tombons immédiatement sous le charme et repartons, une heure plus tard, avec quelques-unes de ses cartes postales en souvenir…
Après avoir réservé deux places pour la semaine prochaine dans le train qui se rend à Manakara, nous croisons deux jeunes étudiants, une fille Prisca et un garçon Odilon, avec qui nous restons discuter un bon bout de temps en français. Ils souhaitent en effet parfaire leur aisance dans notre langue, un peu oubliée par les Betsileos, ethnie qui occupe la région. Ils en auront besoin plus tard lorsqu’ils exerceront leur métier dans la justice. Après les avoir quittés, nous prenons tranquillement le chemin de l’hôtel.
Après un petit-déjeuner qui nous laisse sur notre faim, nous flânons dans les allées d’un marché de la ville intermédiaire tout près de chez nous. J’y achète un chapeau de paille tressée betsileoaux couleurs vertes et fuchsia. Sa forme arrondie hésite entre le bonnet, le chapeau melon et le casque colonial. À défaut d’être joli, même si je l’aime bien, il me protégera de l’ardent soleil de ce matin. Nous gagnons ensuite la ville haute. Je m’arrête prendre des photos des belles façades colorées, mais dois souvent attendre que des personnes passent devant pour animer les clichés. J’ai retenu les leçons d’hier chez Pierrot Men, même si j’étais déjà un adepte de ces situations. Steve McCurry que j’avais eu l’immense privilège de rencontrer à Rennes lors d’une de ses expos m’avait convaincu de parfois patienter quelques secondes de plus pour obtenir un bon cliché. Chantal lui en veut toujours ! Je pense en avoir réalisé quelques-unes de pas trop mal, mais pour cela il faudra attendre le verdict de l’ordinateur ce soir. Nous croisons également un vieil homme très élégant malgré ses vêtements usés, d’une politesse et d’un savoir-vivre inouïs, retraité de l’armée française, ayant exercé son métier en partie en Alsace et parlant aussi bien français que nous. Il voudrait nous emmener chez lui prendre un café, mais, pour une fois, nous déclinons l’offre. Nous n’avons tout simplement pas le temps, la bonne lumière m’incitant plutôt à me dépêcher. Il semble réellement déçu, mais avoue comprendre mon empressement. Vraiment la classe, ce monsieur !
La route s’élève. Nous arrivons une fois de plus le souffle court et en nage dans la vieille ville. La cathédrale d’Ambozontany, fermée, en marque l’entrée. Perché tel un village provençal, le quartier abrite de belles maisons adossées à la colline et souvent nichées au fond d’une venelle pavée. Malheureusement, chaque année, plusieurs d’entre elles disparaissent à cause de l’intensité des pluies et d’une trop grande vétusté. Cette partie de Fianarantsoa figure d’ailleurs au rang des 100 sites les plus menacés au monde. Au milieu des habitations, quelques églises et édifices religieux confèrent au lieu une atmosphère paisible qui tranche avec celle du reste de la ville. Un petit marché se tient dans la rue principale et nous attire sans que nous nous en rendions vraiment compte. Nous prenons tous les deux pas mal de photos que nous nous empressons de montrer aux intéressés. Quand nous en ressortons, beaucoup nous font des signes de la main. Plus loin, des lavandières plutôt jeunes frottent et rincent consciencieusement le linge au lavoir public. Ne souhaitant pas les déranger, nous préférons poursuivre jusqu’à la croquignolette église protestante FJKM Ambalavao Fahazavana encadrée par de superbes arbres du voyageur. Derrière la bâtisse principale, nous entendons des enfants chanter ; peut-être ceux d’une école, ai-je cru comprendre. À quelques pas de là, une ruelle mène à l’ancien lieu de repos des gouverneurs, un jardin avec ses bancs abrités sous le feuillage des arbres et son panorama sur les montagnes en face. En continuant, nous arrivons sur une sorte de terrasse, joli point de vue qui laisse entrevoir la ville basse et la campagne environnante. De là, nous redescendons tranquillement. Près de la cathédrale, de nombreux gamins se précipitent vers nous et avec une mine faussement désolée récitent une succession de mots censés nous émouvoir. Je dois me fâcher lorsque les plus hardis tentent maladroitement de glisser une main dans nos affaires. Ces pickpockets en herbe rôdent toujours dans les endroits touristiques. Pas de chance pour eux, nous étions sur nos gardes !
Plus tard dans la journée, alors que Chantal est partie à la gare routière réserver deux places dans un taxi-brousse pour le lendemain, je retourne seul dans le marché où j’ai acheté mon chapeau ce matin. La lumière de fin d’après-midi éclaire de jolie manière la façade des maisons et le visage des gens. Une fois de plus, j’y prends une quantité phénoménale de photos. Lorsque je rentre à l’hôtel pour trier mes clichés, j’ai à peine commencé qu’une coupure d’électricité vient interrompre mon travail, la batterie du Mac ayant besoin d’être rechargée. En fait, la panne durera deux heures, beaucoup plus longtemps que celle d’hier soir qui nous avait à peine perturbés. Nous soupons donc à la lumière crue d’une lampe électrique de secours, Jean-Luc ne parvenant soi-disant pas à démarrer son groupe électrogène à cause d’un mal de dos soudain. Nous aurions sincèrement préféré diner aux chandelles, mais, apparemment, il n’y en avait pas. Pas de pot ! Heureusement, les bananes flambées du dessert nous font oublier ce petit problème. Nous sommes en train de quitter la table lorsque tout revient en ordre. Je vais donc pouvoir bosser un peu… beaucoup ! J’ai en effet pas mal de boulot sur la planche ! Mais avant de m’y mettre, je dois d’abord boucler mon sac pour un départ tôt demain matin…
Bonne nuit quand même !