Le taxi-brousse VIP démarre exactement à l’heure prévue de Morondava. Quatorze heures plus tard, nous arrivons à notre hôtel de Tananarive pour y passer la nuit. Avant d’aller nous coucher, nous y dinons rapidement : nous avions eu la bonne idée de commander nos repas lors de la réservation.
Après le petit-déjeuner, une superbe et antique 2 CV nous emmène à la gare routière Maki où nous trouvons un taxi-brousse en partance pour la région du lac Itasy et, plus précisément, Ampefy situé sur ses rives. Nous empruntons pour cela la RN 1 réputée être la meilleure de tout Madagascar. Nous le pensons également : pas un nid de poule n’a en effet trouvé sa place sur le bitume. Incroyable !
Par précaution, nous avons réservé une chambre par téléphone depuis Morondava, mais nous aurions pu, sans problème, nous en passer. Au grand dam de Thibault le propriétaire français et de sa femme malgache Joanna, il n’y a pas grand monde en ce moment. Égoïstement, ce n’est pas pour nous déplaire. Nous avons en effet déposé nos valises pour six nuits et apprécions le calme.
Dans le village qui se résume à la rue principale, les gens saluent à notre passage. Nous nous arrêtons auprès de certains et plaisantons avec eux. L’ambiance bon enfant nous séduit immédiatement. Malheureusement, un orage vient interrompre notre promenade et nous oblige à regagner le bungalow. Pour le diner, nous nous installons dans le restaurant de l’hôtel et commandons encore une fois du foie gras et du zébu. Nous en profitons, car dans quelques jours nous n’aurons plus du tout l’occasion d’en manger.
L’orage de la veille a fait quelques dégâts. Un tapis de terre et de cailloux mêlés d’une dizaine de centimètres d’épaisseur recouvre la chaussée au centre du village. Déjà, un groupe d’hommes s’affaire à dégager la couche en la balançant par pelletées dans la cour de la mairie. On doit, paraît-il, y refaire la pelouse ; ça tombe bien ! Nous poussons la promenade jusqu’au pont à l’entrée d’Ampefy. Dans la rivière qu’il enjambe, une nuée de lavandières de tout âge s’active autour des gros tas de linge sale. Dans une gestuelle presque cérémoniale, elles savonnent, battent et rincent les vêtements sans un temps mort. Les fillettes emportent ensuite les affaires propres dans des bassines posées sur leurs têtes pour les étendre au soleil sur les rochers ou sur l’herbe des berges. Nous passons là un long moment à les observer. En fait, tous les regards convergent dans notre direction ; ce sont elles qui nous considèrent en rigolant !…
Sur le trottoir avant le pont, de vieilles dames vendent des avocats disposés bien joliment en petits tas. La saison bat son plein et les arbres plient sous le poids de la multitude impressionnante de leurs fruits. Nous n’en achetons cependant pas, car une femme que nous regardons en gouter un le trouve amer et le recrache aussitôt. Tant pis pour nous, ils font pourtant bien envie… Nous continuons la promenade sur le bord du lac Kavitaha qui lui-même se déverse dans le lac Itasy. Depuis une longue barque étroite, deux hommes lancent à maintes reprises leurs filets tout près d’une zone de frai théoriquement interdite à la pêche. Ils les remontent désespérément vides… Que faut-il en déduire ?…
Ce soir, pas de poisson au menu. Chantal se régale d’une saucisse au cresson tandis que jette mon dévolu sur des brochettes de canard. Nous accommodons tous les deux notre plat d’une écrasée de pommes de terre. Sublime !
Nous profitons du marché du lendemain pour détailler les étals qui s’agglutinent le long des trottoirs et dans la zone réservée au foirail. Comme prévu, les avocats dominent, souvent accompagnés de légumes parmi lesquels trônent les carottes, les pommes de terre et les tomates longues. Les cacahuètes, les choux-fleurs et les pois gourmands arrivent juste derrière. Pour les fruits, les bananes et les mandarines se disputent la première place avec les ananas. Par contre, les mangues, bien que présentes, n’occupent pas le devant des étalages. Cela change de Morondava où leur nombre dépassait allègrement celui des avocats ici. Nous avons bien fait de nous en faire une orgie là-bas. Comme toujours, nous profitons de l’occasion pour mitrailler les produits et les gens. Mais, en cette matinée, nous en prenons tous les deux moins de photos qu’à l’accoutumée : les personnes coopèrent moins facilement et se détournent souvent des objectifs. Dans ces cas-là, nous n’insistons jamais. Une demoiselle accepte cependant avec un grand sourire : je viens de lui offrir mon chapeau de paille betsileoet de le lui poser sur la tête ! Tandis que Chantal s’aventure près des vêtements et des chaussures, je vais trainer du côté de la volaille, mais là encore j’essuie beaucoup de refus lorsque je pointe mon objectif. Même devant les poulets ! Décidément, ce n’est pas le jour !
Le lendemain, Thibault, le patron de l’hôtel, nous dépose gentiment avec son 4×4 à l’embranchement d’une piste et nous explique comment nous rendre à la cascade Lily puis en revenir par un chemin différent. Armée de son bâton de marche, Chantal attaque la randonnée d’un pas cadencé. Je la suis tout en m’arrêtant parfois le temps d’une photo. Il faut avouer que le paysage en vaut la peine. Même pelées et noircies par les feux d’entretien, elles magnétisent le regard. Dans une pinède, deux hommes s’affairent autour de plusieurs arbres calcinés. On va bientôt pouvoir livrer le charbon de bois dans les foyers de la région. Dans les villages, les enfants qui se précipitent vers nous les mains tendues ne connaissent que « Donne-moi l’argent », la phrase qu’on abhorre. Les bonbons vont en priorité à ceux qui nous lancent un « bonjour vazahas ! » sans arrière-pensée. Après quelques kilomètres et l’aide d’un monsieur qui nous accompagne un bout de chemin, nous parvenons au petit pont de bois qui enjambe la fameuse rivière. Nous devons nous acquitter d’un modique droit d’entrée pour atteindre les chutes. En cette période sèche, elles impressionnent peut-être moins qu’en saison humide, mais nous les trouvons malgré tout jolies. Des guides, plus ou moins officiels, plutôt moins en ce qui concerne ceux qui viennent nous proposer leurs services, nous apprennent qu’il en existe d’autres, à moins d’une heure de marche. Nous attaquons la balade, mais au bout de simplement quelques hectomètres, Chantal préfère renoncer devant la difficulté et l’étroitesse du sentier dans certains passages délicats dominant le cours d’eau. Je continue seul et me rends très vite compte qu’elle a eu raison de rebrousser chemin. Je prends d’ailleurs moi-même la même option lorsque, au bout d’une demi-heure de marche, je me retrouve à devoir traverser la rivière. Je n’ai pas franchement envie de me déchausser pour un résultat qui me semble de plus en plus aléatoire. En effet, rien à l’horizon ne m’indique la présence des fameuses chutes. Je fais donc demi-tour et retrouve Chantal qui prend quelques clichés des vendeuses de fruits installées au niveau du petit pont.
Nous venons d’entamer le trajet du retour lorsqu’un monsieur d’un certain âge nous invite à le suivre. Il ne parle pas le français, mais nous communiquons par gestes. Il nous fait découvrir de belles vues sur les environs et passer par des hameaux très reculés. Nous y croisons des paysans souriants et sympathiques que nous prenons évidemment en photo. Tout le monde rigole. Le vieil homme nous laisse en haut d’une colline en nous indiquant le chemin à suivre pour regagner Ampefy. Nous venons de faire un détour de plusieurs kilomètres, mais ne le regrettons pas. Des nuages menaçants commencent à s’accumuler au-dessus de nos têtes et nous font accélérer le pas. Avec le ciel pur de ce matin, nous n’avions pas prévu ce cas-là, grands dadais que nous sommes ! Dans la dernière descente, nous croisons quantité de jeunes femmes avec une bassine pleine de linge sur la tête. Elles ont dû le lessiver, comme toutes les autres lavandières, dans le lac Kavitaha. Les pauvres doivent encore se coltiner plusieurs montées pénibles. Nous imaginons qu’elles se rendent dans les hameaux que le monsieur nous a fait découvrir tout à l’heure. Cela ne les empêche pourtant pas de rigoler comme des éperdues à notre passage.
Nous arrivons juste avant l’orage et savourons encore plus que d’habitude nos THBde l’apéro avec Inès, une Bretonne de l’équipe locale d’Agrisud !
Comme à Manakara il y a quelques jours, nous sommes à Ampefy pour visiter quelques-uns des projets que cette ONG a mis en place dans la région afin de tirer durablement les familles choisies de la précarité. En ce début de matinée, Inès vient nous rejoindre à notre hôtel. Le chauffeur du 4×4 nous conduit d’abord au bureau de l’organisation à Analavory faire la connaissance du responsable de la région avant de nous déposer chez un pépiniériste. Antonio qui fait lui aussi partie de l’équipe nous y rejoint en moto. Radieux et fier des résultats de son travail, le maitre exploitant nous fait entrer dans son grand jardin arboré impeccablement tenu et nous montre alors ses trésors qui émergent de la foultitude des sachets de terre alignés par petites parcelles. On y trouve des pins, des mandariniers, des citronniers, des manguiers, des caféiers, des corossoliers, des eucalyptus, des acacias qui seront ensuite vendus aux producteurs locaux. Son salarié, sa femme et ses enfants obtiennent 50 000 pieds par an. S’il donne les directives pour la journée, lui-même travaille comme chef de chantier sur un site près de la ville. Appliquée pour la future rédaction de son rapport, Inès pose plein de questions intéressantes. Antonio joue les traducteurs du malgache au français et inversement. Nous poussons la visite autour de champs labourés qui attendent les semis de haricots et une petite plantation de pins. Avec cette orgie d’explications et d’anecdotes, nous n’avons pas vu la matinée passer. Il est déjà temps de regagner l’hôtel devant lequel le chauffeur nous dépose aux alentours de 13 heures. Nous nous donnons rendez-vous pour le lendemain. Malgré la grosse chaleur et le ciel de plus en plus noir, l’orage qui gronde au loin omet pour une fois de déverser ses trombes d’eau sur nous. Ce soir nous dinons avec Inès à qui je remets les photos de la journée. Dans son empressement à venir nous rejoindre ce matin, la pauvre avait oublié de recharger la batterie de son appareil. Elle nous apprend qu’elle ne pourra pas être avec nous demain. La pertinence de ses questions va nous manquer…
Le chauffeur passe nous chercher à l’heure prévue et nous emmène à Maromena, mais nous attendons une heure durant Antonio qui a certainement dû être retenu quelque part. On en profite pour prendre les habitants du hameau qui le veulent bien en photo. À 9 heures, la moto rouge se range enfin près de notre véhicule. Nous grimpons la colline toute proche en compagnie du maitre exploitant qui gère sa plantation de pins pour en tirer du bois de construction, mais aussi du charbon de bois ou de la résine. Antonio arrive tout essoufflé derrière nous et découvre le panorama depuis ce point de vue pour la première fois. Nous redescendons près d’un petit lac dont les rives accueillent des épis de maïs plutôt clairsemés et de jardinets. L’association des locaux qui gère le plan d’eau finance l’achat d’alevins en décembre pour la pêche du printemps. Le poisson est alors vendu sur le marché et l’argent recueilli sert à réintroduire une population pour la saison suivante.
Cette fois, c’est au tour du chauffeur qui doit nous emmener à la sortie d’Analavory où se déroule le marché hebdomadaire de se faire attendre. Le soleil cogne fort sur le bord de la route. Heureusement, j’ai pensé à prendre mon chapeau de paille ; mon crâne dégarni me remercie !
Nous arrivons bien en retard sur les prévisions chez les deux pépiniéristes les plus importants du coin. En fait, il s’agit de deux frères jumeaux, Michel et Maurice, qui gèrent chacun de leur côté cette magnifique exploitation. On nous avait gardé le meilleur pour la fin ! Les jeunes plants d’arbres fruitiers s’y épanouissent le long d’un petit canal d’irrigation. L’entretien du domaine ne laisse planer aucun doute sur la santé des boutures. Michel qui s’excuse de l’absence de Maurice parti au marché nous fait découvrir un peu plus loin sa propre exploitation : litchis, pêchers et orangers. Ces derniers sont criblés de fruits déjà gros qui, si nous avons bien compris, ne seront cueillis qu’en mars. Chaque arbre en produira une centaine de kilos ! Vu le nombre, les trois employés qui travaillent ici en permanence avec les membres de la famille ne s’ennuieront vraiment pas durant la récolte. Nous quittons Michel à regret et nous partons visiter une rizipisciculture toute proche. Là aussi, à cause de notre arrivée trop tardive, l’exploitant a dû s’absenter. Antonio nous en explique tout de même le fonctionnement.
Le choix de l’emplacement prime sur tout le reste. La rizière doit se situer relativement près de l’habitation du responsable pour la surveillance, hors des zones d’inondation ou de sécheresse pour éviter les pertes et enfin avoir un sol fertile. L’empoissonnement peut s’effectuer à partir du huitième jour après le repiquage, une fois les brins bien enracinés et l’eau devenue moins boueuse. L’élevage se termine normalement à la fin du cycle rizicole, mais peut être prolongé de quelques mois après les moissons, jusqu’aux premiers froids, si l’eau ne manque pas. Les carpes et les tilapias dont la croissance dépend pour beaucoup de la température se regroupent alors dans l’étang-refuge, tranchée de 1 à 2 mètres de largeur et 60 à 80 centimètres de profondeur creusée avant la mise en eau. Chantal et moi découvrons pour la première fois ce genre de culture et j’avoue être assez impressionné par la taille des reproducteurs regroupés dans un bassin à part peu profond et dont le dos affleure à la surface. Antonio précise que la production de céréales d’une telle parcelle dépasse souvent celle d’une rizière classique grâce à l’action bénéfique des déjections des poissons. Aujourd’hui, nous avons appris quelque chose…
De retour à l’hôtel, nous offrons un pot à l’excellent chauffeur dont nous avons oublié le nom et à Antonio pour ses explications et ses traductions. Nous passons l’après-midi à mettre de l’ordre dans nos photos. Pour clore cette journée particulière en beauté, Thibault et Joanna nous invitent à partager leur table et nous offrent le diner…
C’était notre dernier jour en Itasy.
Le matin suivant, un taxi-brousse s’arrête à 9 heures devant l’hôtel pour nous remmener à Tananarive. À 13 heures, nous poussons la porte de notre chambre dans le même hôtel que les deux autres fois.
Nous dinons en compagnie d’Adrien et de sa femme espagnole Raquel au Sakamanga, restaurant réputé de la capitale. Nous faisons enfin connaissance avec celui qui a organisé toutes nos visites des sites Agrisud et que j’ai eu plusieurs fois au téléphone. Nous trouvons là un jeune homme motivé et bien impliqué dans son rôle de responsable de tous les projets malgaches. Il ne pouvait en être autrement. La soirée passe à une vitesse folle entre les ultimes tranches de foie gras et pavés de zébu au poivre vert. Nous en profitons, car nous n’en mangerons plus avant très longtemps !…
Un dernier taxi nous emmène le lendemain matin à l’aéroport.
Nous avons tous les deux la gorge nouée et les yeux embués lorsque le Boeing 787d’Ethiopian Airlinesdécolle vers Addis-Abeba…
Madagascar nous a marqués à jamais…