À 6 heures précises, la porte métallique se lève et le service peut commencer. Nous prenons une dernière fois le petit-déjeuner au Crousti Pain. Nous le regretterons celui-là ! Un vélo-pousse que nous avons négocié en attendant l’ouverture nous emmène, sitôt la dégustation terminée, d’abord à l’hôtel récupérer nos sacs, puis jusqu’à la gare routière où le taxi-brousse doit démarrer à 7 h 30. En fait, il partira à 9 h 30. Auparavant, il aura fallu changer le pot d’échappement et recoller un peu mieux le pare-brise fissuré de partout. En attendant, pendant qu’un pauvre gars s’acharne à tout remettre en place allongé sous le véhicule, deux autres montent sur le toit et commencent à charger. Des pneus de camion d’abord, puis de volumineux sacs de riz, une commode, des paniers en osier fermés à l’aide d’une ficelle, des colis, les bagages des passagers s’entassent et abaissent sérieusement le châssis. Et l’autre qui n’en finit pas de rafistoler son pot ! D’un coup, j’imagine le pire et ai peur pour lui. Dix longues minutes plus tard, il s’extirpe comme il peut et, avec l’air satisfait de celui qui a bien accompli sa tâche, prend un seau d’eau et commence à se laver.
Les voyageurs prennent enfin place et nous quittons Antsirabe. Nous roulons depuis une bonne heure quand nous nous arrêtons dans un village. C’est l’heure de manger, nous dit-on ! Déjà ?! Nous nous abstenons, mais nous sommes les seuls. Tous les autres commandent quelque chose. Après avoir ingurgité leur assiettée, le chauffeur et son assistant s’approchent du taxi-brousse, examinent le train avant, sortent le cric et dévissent la roue gauche. Tandis que le premier s’éloigne, le second continue le démontage. En fait, il faut changer la plaquette de frein. Ben voyons ! Le conducteur revient un quart d’heure plus tard avec une pièce neuve. Le remontage ne pose pas de problème et tout le monde reprend sa place. Il est midi passé et nous n’avons effectué que 80 kilomètres. Il ne nous en reste plus que 400 ! À ce rythme, nous serons peut-être arrivés demain dans la matinée ! D’autant plus que durant plus d’une heure, nous roulons à 30 km/h sur une route truffée de trous. J’en profite pour tenter d’apercevoir le paysage désolé à travers le pare-brise cassé. Heureusement, je peux le contempler par la fenêtre ouverte de ma portière. Le relief pelé, magnifique dans sa nudité, étend ses tons rouges à perte de vue, mais dans ce désert plus nous descendons, plus la température monte. Avec la belle route retrouvée, la vitesse augmente et l’aération de la cabine aussi. Tout le monde s’en réjouit et respire mieux. Lors d’un court arrêt dans l’après-midi durant lequel nous distribuons quelques bonbons à d’adorables gamins, le chauffeur laisse le volant à son assistant. Avec lui, la ventilation du taxi ne peut être plus efficace. Je jette un œil inquiet sur le compteur. Je n’aurai pas dû ! Il roule comme un malade et coupe tous ses virages ! Pour une fois, je croise réellement les doigts ! Mais pas trop longtemps, car j’ai une peur bleue que le pare-brise n’explose pour de bon. Nous sommes aux premières loges. Alors je préfère avoir les mains libres pour éventuellement nous protéger ! Vivement que cela se termine ! À cette allure-là, on devrait arriver, chose impensable il y a trois heures encore, avant la tombée de la nuit. Mais, grosse erreur de ma part : j’ai tout bêtement oublié tous les arrêts dans les villages qui précèdent Morondava. Et durant les cent derniers kilomètres, ils ne cessent de s’enchainer avec leurs petites maisons en terre sans meubles à l’intérieur. Dans l’un d’eux, une moto que ne maitrisent plus la jeune pilote et son ami assis derrière elle termine sa course folle dans le fossé juste devant nous. Dans la nuit noire, le chauffeur nous dépose, sains et saufs, à la gare routière de Morondava. Nous sommes les derniers à bord, tout le monde est déjà descendu avant…
Des policiers postés dans une rue de bars et restaurants pour locaux nous indiquent le chemin de notre hôtel. Dix minutes plus tard, nous prenons vite une douche sous le faible débit d’eau tiède avant d’aller nous désaltérer d’une bonne THBdans un établissement sans prétention tout proche. Fréquenté essentiellement par des Malgaches, le bar peut aussi servir quelques plats. Je choisis un poisson grillé avec des légumes sautés et Chantal des brochettes de zébu avec des… frites !
Bien contents de terminer de six bières, oops, de si belle manière cette journée si stressante…
Après un bon petit-déjeuner avalé dans le couloir devant les chambres, nous profitons de notre première matinée à Morondava pour faire un tour au marché. Alignées le long du trottoir, les vendeuses de fruits proposent des mangues appétissantes à souhait. Nous en achetons quatre belles pour seulement 1 000 ariarys, soit 0,25 €. À ce prix, pourquoi s’en priver ? Nous prenons aussi quantité de portraits que nous nous empressons de montrer aux intéressés en leur offrant un bonbon. Le succès est foudroyant, tout le monde nous réclame. L’ambiance géniale qui règne à ce moment-là sur le marché me donne la chair de poule. Après avoir épuisé notre stock de confiseries, nous les abandonnons à leur travail.
Nous poursuivons la balade sur la plage. Une animation a lieu et des équipes de gamins jouent au foot sur le sable sur fond sonore abrutissant. Au loin, un alignement d’embarcations de pêcheurs m’attire, mais la lumière et la chaleur de midi nous font rebrousser chemin. Nous y irons une prochaine fois. Un peu avant l’hôtel, un tuk-tuk s’arrête à notre hauteur et le jeune conducteur nous propose ses services. Nous nous mettons rapidement d’accord sur le coût d’une visite à la fameuse allée des baobabs : il viendra nous chercher à 14 heures. Je gagne presque la moitié sur le prix d’un taxi que m’avait donné le réceptionniste hier soir à notre arrivée.
Hermann, 19 ans, nous attend devant l’hôtel à l’heure prévue. Nous nous installons à l’arrière de son petit véhicule plus confortablement que nous le pensions et partons pour le restant de la journée en direction des fameux baobabs. Notre jeune chauffeur parle très peu le français et baragouine quelques mots d’anglais, mais cela suffit pour que l’on puisse se comprendre. Nous quittons la route goudronnée au bout d’une douzaine de kilomètres pour nous engager sur une piste en terre ravagée par les trous. Il nous en reste quatorze dans un paysage de savane pour atteindre le site des célèbres baobabs amoureux. Évidemment, en chemin, nous ne cessons de demander à Hermann d’arrêter lorsque nous tombons sur ces arbres géants qui semblent avoir poussé à l’envers avec les racines à la place de la ramure. En fait, nous apprécions le fait d’avoir choisi un tuk-tuk et non un taxi ; nous pouvons très rapidement stopper et en descendre. En plus, cela permet à Hermann de changer tranquillement de morceaux de musique sur le lecteur placé sous son siège. Au bout d’une étroite piste de sable mou, nous débouchons devant les deux arbres enlacés qui font la joie de tous les amoureux. En cet après-midi, nous avons la chance d’être les seuls, ce dont nous profitons pour sacrifier au rite de la photo devant cette fantaisie de la nature.
Une demi-heure plus tard, nous reprenons la piste en direction de la fameuse Allée des Baobabs qui m’a tant fait rêver sur les magazines. Nous nous arrêtons pourtant encore plusieurs fois avant d’y arriver, dont une pour observer un jeune garçon accompagnant son maigre troupeau de zébus et une autre pour jouir de la magnifique vue sur la savane. Nous demandons à notre conducteur rigolo de nous attendre plus loin ; nous souhaitons en effet marcher tranquillement pour profiter au mieux de la belle lumière qui tombe maintenant sur les arbres de la célèbre route. Contrairement à tout à l’heure lorsque nous y sommes rapidement passés, les visiteurs sont arrivés. Ce n’est certes pas la foule, mais les fadas du selfie ont pris possession des lieux et gênent tous les autres, comme nous. En fait, nous faisons partie de la minorité. Ces filles, italiennes en l’occurrence ce soir, sont plus intéressées par leur propre personne que par la beauté de l’endroit. Impensable et même inconcevable pour moi. Tandis que Chantal reste dans les pourtours immédiats de la route, je m’enfonce dans la brousse à la recherche de cadrages plus insolites. La lumière de fin de journée éclaire de façon magistrale les arbres si typiques. Je prends mon temps pour savourer l’instant et continue de m’éloigner. Chaque baobab se distingue de ses voisins, soit par ses formes plus ou moins rondes, soit par ses branches plus ou moins feuillues à cette saison. Je photographie à tour de bras avant de retrouver Chantal au milieu de très jeunes danseurs. Hermann a poussé la sono et tous les gamins du petit village se déhanchent de manière rigolote devant le tuk-tuk. Chantal en profite pour les filmer et leur distribuer des bonbons.
Le soleil décline très vite désormais et les Italiennes ont quitté les lieux alors que la campagne devient magique à cette heure. Je ne comprendrai jamais ce genre de personnes. Pendant que les rares touristes restants se regroupent tous au même endroit, je m’éloigne de nouveau dans le bush, mais de l’autre côté cette fois, pour profiter des arbres se découpant sur le ciel du soir. Je m’érafle les mollets en voulant à tout prix trouver le cadrage idéal. J’en déniche quelques-uns avant le coucher du soleil. Et après aussi ! Il commence à faire sombre quand je me rends compte de mon isolement. L’appareil en bandoulière, je cours d’une traite jusqu’à la route où je tombe sur Hermann qui me cherchait partout en compagnie de Chantal. Lorsque nous quittons cet endroit fabuleux qu’on appelle aussi « le jardin aux baobabs de Madagascar », il fait nuit et Hermann ne parvient pas à éviter tous les trous qui se présentent dans la lumière faiblarde de son phare. Nous nous faisons bien secouer jusqu’à la route goudronnée, mais nous sommes tellement sous le charme de ce que nous avons vu cet après-midi que nous nous en apercevons à peine. En fait, nous ne savions pas trop ce que nous allions trouver. Un site hyper touristique ? Un endroit galvaudé ? Heureusement, il n’en est rien. Des familles locales souriantes et paisibles tiennent le bar et les quelques stands de souvenirs regroupés le long de la piste avant l’entrée. Ça nous change des lieux aujourd’hui complètement saccagés de Bali ! Hermann nous dépose à la porte de l’hôtel et descend nous faire la bise en guise d’au revoir. Nous garderons, c’est sûr, longtemps le souvenir de notre sympathique conducteur !
Il ne reste plus qu’à trier nos photos : 270 pour Chantal et 580 pour moi. Bonne nuit !
Nous passons les jours suivants à trainer dans la ville au gré de nos envies. Nous nous retrouvons ainsi sur les quais du petit port de commerce où des goélettes attendent d’être chargées. De jeunes hommes au corps luisant de sueur s’affairent au débarquement des volumineux sacs de charbon de bois entassés dans les soutes d’une autre d’entre elles. Nous poursuivons la promenade vers le marché aux poissons à l’extrémité de la presqu’île. Avant d’y arriver, nous traversons le « village touristique » où la plupart des hôtels sont regroupés. Aucun ne convient à notre budget. Dommage pour quelques-uns d’entre eux ! Le marché nous déçoit un peu, surtout après celui de Manakara beaucoup plus typique. Nous marchons tout de même jusqu’à la mer au milieu des boutres et des barques échouées dans la vase. À cause de l’odeur et de la saleté, nous ne trainons pas trop longtemps dans les parages et préférons retourner en ville. Nous croisons Hermann qui, tout content de nous revoir, arrête son tuk-tuk avec ses passagers le long du trottoir pour venir nous faire la bise. Nous profitons de passer tout près de l’agence de transport Cotissepour réserver nos places pour Tananarive. Pour une fois, nous optons pour les deux sièges derrière le chauffeur dans ce taxi-brousse VIP. Ils nous semblent en effet meilleurs que ceux de devant. Et là, nous aurons 14 heures de trajet, alors autant bien choisir !
Un après-midi, après avoir rapidement fait le tour du marché couvert dont les relents pestilentiels nous ont fait fuir, nous allons nous promener du côté de la plage et des nombreuses barques alignées sur le sable. Des enfants, encore une fois adorables et très sales, nous accompagnent un moment. D’autres exécutent des sauts périlleux devant mon objectif. Des pêcheurs s’affairent autour d’une embarcation : ils remplacent l’une des planches cassées du bordage en taillant une nouvelle à la machette… et à l’estime ! Plus loin, une famille s’est regroupée près de leur bateau et mange des brochettes que les ados font griller sur un petit tas de charbon de bois. Les barques arborent pour la plupart des couleurs chatoyantes, mais qui peuvent parfois s’écailler ou ne plus laisser que quelques traces. J’en joue graphiquement sur mes prises de vue. Chantal qui me suit comme mon ombre en réussit de belles. Je tire aussi le portait de garçons bien musclés qui ramaillent des filets. La jolie lumière dorée du début de soirée ajoute une touche encore plus séduisante à ces scènes du quotidien. Nous regagnons le village des pêcheurs au crépuscule. Les cabanes très rudimentaires, sans aucun meuble à l’intérieur, sont regroupées sur le sable en haut de la plage. Elles ne servent qu’à s’abriter du soleil et pour la nuit. En cette fin de journée, les jeunes mamans dont certaines portent sur le visage le masonjoany, cette poudre de bois de Santal aux multiples vertus, se retrouvent et allaitent leurs petits en papotant. À notre passage, elles nous lancent de jolis sourires. Dans ce moment intime, ni Chantal ni moi n’osons les prendre en photo, mais leur renvoyons leurs saluts d’un petit geste de la main. À voir leurs têtes, elles semblent contentes.
Nous aurons diné tous les soirs dans le même restaurant situé tout près de l’hôtel. En ce dernier jour, nous ne dérogeons pas à la règle. Nous demandons tout d’abord chacun une grande THBque le serveur nous amène invariablement avec des arachides grillées pour l’occasion. Une fois les pistaches, comme on appelle ici les cacahuètes, et les bières terminées, nous passons tous les deux commande pour le poisson du jour accompagné de ses légumes. Trop bon ! Nous achevons le repas par d’excellentes bananes flambées.
Ne regrettant absolument pas les kilomètres difficiles pour atteindre cette région, malgré tout un peu isolée, nous terminons notre séjour à Morondava sur une très agréable note… Mais, vite, dépêchons-nous de boucler les bagages : demain, lever à 4 heures !