La chambre que nous occupons a été louée, avant notre arrivée, pour ce soir. Aussi, devons-nous la quitter avant midi. Nous avons choisi d’aller passer quelques jours sur une autre ile des Banda : Pulau Ai, à une heure de trajet, comme Pulau Hatta, de Bandaneira. Pour cela, nous prenons le bateau public, beaucoup moins cher que le bateau-taxi. Par contre, nous patientons deux bonnes heures avant de monter acrobatiquement à bord. L’attente nous a permis d’observer l’effervescence qui règne dans ce petit port où arrivent pratiquement toutes les marchandises dont l’archipel a besoin. Les embarcations plus ou moins frêles des inter-iles déposent, là également, leur cargaison de passagers venus se ravitailler. À côté, les pêcheurs déchargent leurs prises de la nuit et les emmènent dans des seaux sur les étals tout proches. Le temps s’écoule bien vite et le capitaine qui s’est occupé de nos sacs auparavant nous avertit du départ imminent. Chantal choisit un banc à l’abri du soleil tandis que j’opte pour une place sur le toit de la cabine en compagnie d’un jeune homme avec qui je discute la majeure partie de la traversée…
Nous trouvons immédiatement la guesthouse où Abba nous a réservé une chambre juste avant de partir. Nous n’en tirons aucun mérite, car il doit y en avoir que trois sur toute l’ile. Nous avons cependant la bonne idée de discuter les prix puisque nous allons y rester quatre nuits. Ayem fait un effort, nous aussi. Après quelques minutes, nous nous serrons la main : affaire conclue. Il n’a pas trop eu le choix ; en fait, nous sommes ses seuls clients. Mais, gentiment malgré le tarif négocié, il nous donne sa meilleure chambre, celle de l’étage avec balcon et transats juste en face la mer. Que rêver de mieux ? Peut-être d’une salle de bains moins rudimentaire ? D’une connexion wifi ? De l’électricité à d’autres moments qu’entre 18 heures et 21 heures ? N’en demandons pas trop ! Apprécions seulement le fait de nous retrouver sur une ile minuscule perdue au bout du monde. Je pense d’ailleurs que certains nous envient rien qu’en lisant cette introduction. Tant pis pour le confort basique !
Nous, on sait faire honneur au chef !
Après avoir passé nos maillots, nous partons nous allonger sur le sable juste à quelques pas de notre hébergement. Mais avant cela, je ne peux résister à la tentation de piquer une tête avec masque et tuba dans l’eau limpide qui n’attend que moi. Malgré ma présence, les poissons multicolores se dérobent à peine et je peux les observer tranquillement chercher quelque nourriture au milieu des coraux de toutes formes. Magique ! L’après-midi passe à une vitesse folle. Le soleil va bientôt disparaitre lorsque nous rentrons nous préparer pour le diner. Ici, en terre musulmane, on oublie rapidement la bière apéritive. Il n’y en a pas, tout simplement. À la place, nous trinquons avec une infusion froide de cannelle, ma foi, bien désaltérante. On s’en ressert même une rasade, tellement c’est bon ! Ayem dépose sur la table du balcon le diner : potage de légumes comme celui de ma grand-mère, beignets de poisson, aubergines farcies aux amandes. À part le riz servi trop copieusement, nous ne laissons rien. Il rapporte la soupière et les plats vides ! Nous, on sait faire honneur au chef. Il nous apprendra plus tard qu’il travaillait comme cuisinier dans une société à l’étranger. Il a de bons restes ! Comme il n’y a rien de spécial à faire sur l’ile, que la nuit tombe très vite à partir de 18 heures et qu’internet relève de l’utopie, nous bouquinons dans les transats en attendant la coupure de l’électricité à 21 heures. À 21 h 15, nous dormons tous les deux !
Baleines en vue !…
Couché tôt, le soleil se lève de bonne heure : à 6 heures. Heureusement que nous nous sommes vite assoupis hier soir, car la mosquée du village fait office de réveil à 4 h 30 ! Dommage qu’il faille attendre 7 h 30 pour que le petit-déjeuner soit servi ! Omelette, bananes et pain brioché grillé accompagnent le café. Nous profitons de la fraicheur toute relative du matin pour aller sur la plage. Les gamins tout nus des pêcheurs s’approchent doucement et jouent au Frisbee avec nous. Je leur apprends aussi quelques petits tours de magie. Ils en rigolent d’étonnement et de plaisir. Pour éviter la chaleur, nous retournons nous allonger sur les transats du balcon. C’est la marée haute et la mer vient lécher le pied de la guesthouse. Depuis notre poste d’observation, nous devinons au loin les jets d’eau qui trahissent la présence de baleines. Dommage qu’elles ne s’approchent pas plus près ! Après mon snorkeling de l’après-midi, nous allons faire un tour dans le village où des maisons colorées égaient la rue principale. Assises sur le pas de leur porte, des femmes décortiquent les noix de muscade avant de les mettre à sécher au soleil. Partout, les gens saluent notre passage avec un franc sourire. Je m’arrête prendre quelques photos d’un pêcheur en train de ravauder ses filets et les lui montre. Il est plié de rire…
Pour ce soir, Ayem nous a préparé un poisson grillé sur un barbecue de fortune accompagné de légumes crus mélangés à de la noix de coco râpée et des épices. Auparavant, il nous avait servi une soupière d’un potage différent, mais aussi bon que celui d’hier. Décidément, on mange bien ici…
Au retour de notre rituelle matinée de plage, nous faisons la connaissance de nos nouveaux voisins tout juste arrivés de Hatta, l’ile où j’avais effectué mon premier snorkeling l’autre jour. Il s’agit de Peter et de Paul, deux copains australiens en retraite qui ont laissé leurs femmes à la maison. Paul était professeur de sport en faculté, tandis que Pierre a exercé la profession de diplomate pour son Ministère des Affaires Étrangères dans plusieurs pays, dont l’Indonésie ! Il parle donc bien la langue locale ce qui va nous faciliter la tâche en certaines occasions. Avec des voisins aussi calmes qu’eux, la quiétude de l’endroit ne devrait pas être perturbée. Tandis qu’ils s’installent tranquillement, nous repartons sur la plage sur le coup des 15 heures. À cette heure, avec un soleil déjà déclinant et une clarté de l’eau quasi parfaite, un snorkeling réjouit les yeux tant la lumière valorise la vie sous-marine. Les coraux, tout comme les poissons, prennent alors de superbes teintes et leur relief s’en trouve encore plus rehaussé. Un vrai régal visuel !
Ayem sert le diner sur la grande table du balcon. Peter et Paul se joignent à nous et la conversation s’engage très vite, passionnée, passionnante. Nous avons terminé tous les plats sans à peine nous en apercevoir. Une fois de plus, la soupe a dominé les autres mets pourtant très bons. Peter apprenant que nous sommes bretons nous révèle qu’il a un faible pour la musique celtique qu’il a découverte lors d’un concert à… Pékin ! Je lui donne quelques références de chez nous qu’il note soigneusement sur un carnet. Paul préfère parler de la Coupe du monde de rugby qui se déroule en ce moment… Nous nous retirons dans nos chambres respectives juste avant la coupure d’électricité. Sur ces iles, la température de la nuit ne descend que de 2° par rapport à celle de la journée. Les volets bien ajourés des fenêtres sans carreaux laissent passer l’air du large. Même sans drap, la chaleur nous gêne malgré tout un peu. Nous nous réveillons à plusieurs reprises en sueur : un seau d’eau à peine froide sur la tête et c’est reparti pour deux ou trois heures d’un profond sommeil bercé par le rythme lancinant des vagues !
Un joli pinisi vient mouiller juste devant la guesthouse…
L’omelette à la tomate et au piment du petit-déjeuner fait l’unanimité. La confiture de muscade n’est pas en reste. Tout le monde se régale. Au large, mais assez loin, on distingue le dos de quelques gros cétacés, peut-être des cachalots, qui trainent dans les parages. Par contre, le midi, après avoir aperçu depuis notre balcon deux poissons Napoléon tout près du rivage, une énorme baleine nous fait l’honneur d’expulser son jet d’eau à quelques dizaines de mètres de la plage. Malheureusement pour nous, il n’y en aura qu’un ; elle se promenait apparemment seule. Mais quel spectacle ! Un joli voilier à deux mâts, certainement un pinisi de Sulawesi, vient mouiller juste devant la guesthouse. Quelques instants plus tard, un canot à moteur dépose à terre une dizaine de touristes qui se retrouvent à prendre le café et quelques gourmandises sur notre terrasse. Lorsqu’ils repartent, nous nous héritons de tous les biscuits et beignets de banane restants. Ils en ont tellement laissé qu’on n’a plus du tout faim après s’en être bâfrés !
Le gros poisson grillé que nous partageons avec Peter et Paul, mais aussi avec un Italien pas sympa du tout et son amie est précédé d’un goûteux potage de légumes. Comme tous les autres soirs, nous ne laissons rien. Nos deux copains australiens ont la mine soucieuse. Ils savent que nous partons demain, l’un d’entre eux occupera notre chambre, mais ils se demandent déjà comment ils pourront cohabiter avec les deux autres locataires arrivés dans la journée. Il est vrai que lorsque je les ai vus entrer j’ai vite enjoint à Chantal de fermer la nôtre à double tour. C’est drôle, mais sans nous concerter, Peter et Paul en ont fait autant ! C’est fou ce que certaines personnes peuvent laisser comme mauvaise impression…
À 6 heures, nous nous retrouvons tous les quatre autour de la table du petit-déjeuner. Nous partons en effet à 7 heures par le bateau public qui relie tous les matins Pulau Ai à Bandaneira. Nos « copains » italiens arrivent trop tard. Boudeurs et ne souhaitant pas se joindre à nous, ils préfèrent battre en retraite et se retirer dans leur chambre. Victoire pour les Australiens qui s’inquiètent néanmoins de l’ambiance lors des prochains repas quand nous ne serons plus là !… Nous avons nous aussi quelques doutes sur la chose !
Le regard sombre, Ayem s’approche de nous. Un décès est survenu durant la nuit. La tradition veut que les bateaux publics ne quittent pas l’ile pendant la journée qui suit pour que tous les habitants participent aux funérailles et soutiennent la famille du défunt. Du coup, nous voilà piégés. Ayem nous propose de trouver quelqu’un qui accepte de nous emmener à Bandaneira. Lui-même a d’ailleurs besoin d’aller s’y ravitailler. Au bout d’une heure, il a déniché et loué une embarcation auprès d’un pêcheur. Nous allons donc partager le coût de la traversée avec les six autres personnes qui doivent impérativement se rendre là-bas. Décidément, venir se perdre par ici n’est pas forcément si facile !
© Alain Diveu