Hier soir, le tuk-tuk est passé nous prendre devant notre hôtel… en avance ! Nous étions en pleine conversation sur FaceTime avec Alexis. Dans la précipitation, Chantal qui n’avait pas terminé sa bière a oublié de ramasser nos coupelles à cacahuètes que nous avions achetées à Krabi ! Elles étaient pourtant bien pratiques pour éviter les chamailles au moment de l’apéro, à savoir qui en avait mangé le plus !
Dans les fameux bus sans sièges, nous avons réussi à dormir un peu, allongés assez confortablement sur nos matelas de mousse. De l’autre côté du couloir, Rémi, un jeune Lyonnais en balade qui arrive de Russie et de Chine, a partagé sa couchette avec un Laotien qui aurait bien aimé dormir ailleurs, visiblement gêné par la promiscuité avec un étranger. Cela nous fait bien rigoler !
Nous patientons trois heures à Paksé avant que le bus pour Don Khong et Don Dêt soit plein. En chemin, le chauffeur ne rechigne pourtant pas à embarquer quelques passagers en plus. Des chaises en plastique doivent être installées dans le couloir pour que tout le monde soit assis. Par contre, question sécurité, on est à mille lieues de la norme ! La clientèle de Don Khône et de Don Dêt nous répugne, vraiment. De jeunes Australiens qui s’y rendent et qui s’envoient une bouteille de whisky au fond du car ordonnent au chauffeur de s’arrêter pour qu’ils puissent sortir fumer une clope. Ils embêtent tout le monde en demandant à ceux qui sont tassés dans le couloir de s’écarter pour les laisser passer. Incroyable ! Nous devons patienter une dizaine de minutes avant que ces messieurs, irrespectueux au possible, décident de remonter. Nous n’étions plus qu’à quelques kilomètres de notre destination… Nous descendons à six personnes à l’embranchement de la route de Don Khong et continuons en taxi collectif jusqu’au village de Muang Khong où nous retrouvons avec un réel plaisir Tep, le patron sympa de notre guesthouse. Il nous donne la même grande chambre que d’habitude. Ici aussi, nous nous sentons un peu chez nous. Nous allons y rester presque deux semaines, le temps de la validité de notre visa. Nous en avons déjà utilisé près des deux tiers entre Luang Prabang, Vang Vieng et Vientiane ; on ne bougera plus d’ici avant notre passage en Thaïlande.
À l’heure de l’apéro, moment où le soleil se couche sur un panorama exceptionnel, je me paie un lao-lao mojito, la spécialité du restaurant perché au-dessus du Mékong. Son prix très raisonnable et sa succulence me convainquent immédiatement de m’en offrir un tous les soirs. En observant l’œil très intéressé de Chantal, je pense qu’elle m’accompagnera sans aucune hésitation !
Est-ce la fatigue d’une nuit de bus ? Ou bien le lao-lao ? À peine allongés, nous nous endormons tous les deux…
Couché tôt, je me lève aux premières lueurs pour assister au lever de soleil, souvent grandiose ici. J’apprécie tout particulièrement les instants qui précèdent l’apparition de l’astre. Ce matin ne déroge pas à la règle. Quelques barques se rendant au marché fendent la surface sans rides du fleuve qui reflète parfaitement la teinte orangée du ciel. Au loin, émergeant de la brume, un vol d’une cinquantaine de hérons en formation impeccable passe devant le disque rougeoyant. Magique ! Pour compléter le tableau, trois jeunes moines en toge safran demandent l’aumône à une vieille dame qui leur distribue religieusement quelques poignées de riz. J’adore la quiétude de ces instants…
Depuis que nous y sommes venus, il y a 14 mois, les prix ont grimpé au Laos ; la faute en partie à un change devenu très défavorable avec l’effondrement de l’euro, mais aussi aux tarifs qui ont augmenté. De ce fait, un voyage au Laos est désormais « presque » onéreux, plus cher qu’en Thaïlande par exemple où les coûts ont su rester stables dans leur ensemble. Nous devrons en tenir compte pour des séjours futurs.
Chantal me rejoint pour prendre ses œufs brouillés à la tomate et sa baguette du petit-déjeuner. Tep se souvient de nos préférences. Il me sert un énorme bol de soupe aux nouilles et au poulet que je parsème aussitôt de piment séché. En général, juste après l’avoir terminé, nous partons faire une promenade à pied à travers le village ou le long du fleuve. Nous y croisons immanquablement Monsieur Phoumi toujours à la recherche de clients pour remplir son nouveau bateau. Nous allons aussi saluer le vieux monsieur qui nous a logé la première fois que nous sommes venus à Don Khong, il y a 10 ans. Nous le sentons très ému et, ne souhaitant pas rajouter à son embarras, lui donnons rendez-vous pour une prochaine visite.
Un peu partout, les maisons en bois sont progressivement abandonnées au profit de constructions plus modernes où le béton et la brique règnent en maître. Nous qui rêvons d’une habitation traditionnelle sur pilotis sommes ahuris de constater que les gens d’ici préfèrent de beaucoup occuper un bâtiment encore en chantier, qui ne sera d’ailleurs peut-être jamais terminé, plutôt que de continuer à vivre dans ce qui représente pour eux le passé ou la pauvreté. Les maisons les plus grandes et les mieux conservées, c’est-à-dire celles dont le bois n’a pas été trop attaqué par les termites, ne semblent entretenues que pour une hypothétique vente à un Laotien souhaitant investir dans le tourisme. Mais la plupart sont laissées à l’abandon ou, mieux, démontées. Lors d’une balade en vélo dans les hameaux plus au nord, nous en trouvons heureusement quelques-unes, traditionnelles, tout juste terminées ou en construction. Nous nous en réjouissons, tout n’est donc pas perdu. Depuis deux ou trois ans, Don Khong n’est plus tout à fait la plus grande des 4 000 iles disséminées au milieu du Mékong : un pont la relie désormais au reste du pays et un autre à l’ilot voisin qui accueille de nombreux jardins. Nous la parcourons à chaque visite au moins une fois en vélo. La boucle dépasse les 40 kilomètres, mais la route mal entretenue devient plus difficile et encore plus poussiéreuse au fil des années. Le village de Muang Saen, à l’est, a l’air d’avoir fait une croix sur le tourisme et se laisse aller. Il en est même lugubre, les rues et la place du marché étant envahies par les bouteilles plastiques, les sacs et les déchets jetés là par une population peu encline à faire les efforts nécessaires pour garder une nature propre. La saleté nous frappe. Nous avons d’ailleurs l’impression d’un net recul par rapport aux années précédentes. Dommage ! Durant cette balade dans la crasse et la chaleur, Chantal préfère rentrer par le chemin le plus court qui passe par le centre. Pour ma part, je termine tranquillement mon tour, plus long de quelques kilomètres. J’arrive pourtant un bon quart d’heure avant elle. Épuisée, elle a dû mettre pied à terre et pousser son vélo sur la route défoncée jusqu’à Muang Khong ; elle n’avait plus la force de pédaler. Il lui faudra deux jours entiers pour récupérer, la pauvre !
Voir la vidéo : une journée de vélo à Don Khong
Cela ne l’empêche pourtant pas de se lever tôt le matin suivant pour m’accompagner au petit marché local qui se tient tous les jours aux aurores et se termine dès 7 heures. Après avoir assisté au lever du soleil sur le
fleuve, majestueux ici, nous nous dépêchons de gagner l’endroit où les habitants du coin viennent s’approvisionner. Les vendeuses, plus ou moins âgées, ont joliment arrangé légumes appétissants, poissons frais pêchés, mais aussi grenouilles ou serpents vivants sur des bâches posées à même le sol. Une ambiance sereine règne malgré le marchandage âpre que commerçants et clients n’oublient pas de se livrer. Les billets de 1 000 et 2 000 kips (0,10 et 0,20 euro) passent rapidement de mains en mains. Les gens acceptent assez facilement qu’on les prenne en photo et nous ne manquons pas de leur montrer le résultat sur nos appareils : sourires ou rires garantis ! À 7 heures, les marchandes commencent à plier bagage et à 7 h 30 le marché est déjà terminé. Il est alors l’heure pour nous de retourner à l’hôtel manger une bonne soupe aux nouilles en observant les pêcheurs jeter un filet rond plombé depuis leurs barques qu’ils laissent dériver au fil de l’eau ; spectacle on ne peut plus reposant !
Pour diner, nous retrouvons Rémi, le jeune Lyonnais rencontré dans le bus de nuit entre Vientiane et Paksé, qui en a terminé avec sa balade sur le plateau des Bolovens. Monsieur Phoumi qui a cherché plus tard que d’habitude des passagers pour son tour en bateau de demain nous rejoint un moment. Un peu grisé par les deux bières que des clients lui ont offertes, le « capitaine » nous fait bien rire en nous mimant la « colonelle », sa femme, qui vient de le sommer par téléphone de rentrer le plus vite possible. Il ne lui reste plus qu’à traverser le fleuve dans la nuit noire sur sa petite barque non éclairée en évitant les rochers et les pêcheurs qui travaillent encore autour des ilots. Fastoche !…
Comme à chaque passage ici, nous nous rendons pour une journée sur Don Khone. Monsieur Phoumi se fait un plaisir de nous l’organiser. En fait, comme tout patron, il a du personnel et demande à son pilote de prendre soin de nous et de nous récupérer là-bas à 15 heures pour être de retour à Don Khong avant le coucher du soleil. À force de me voir arpenter le village avec le Nikonpendu à l’épaule, il connait ma passion pour la photo et se réjouit de me faire plaisir en nous faisant arriver au moment où la lumière est la plus belle.
Après une heure et demie de navigation tranquille sur le fleuve, nous atteignons Don Khone à 10 heures et nous dirigeons directement vers la plage à l’autre extrémité de l’ile. Une légère déception nous y attend : le niveau de l’eau a baissé d’au moins cinq mètres par rapport à notre dernière visite. Par contre, nous trouvons le paysage encore plus joli avec ses rochers impressionnants formant une crique profonde d’où les barques emmènent tous ceux qui souhaitent aller à la rencontre des dauphins d’eau douce. Pour notre part, nous préférons aller les voir de l’autre côté de la frontière toute proche, dans la région de Kratie au Cambodge. Après avoir pris quelques photos de ce bel endroit, nous tentons de gagner les chutes par l’ancien chemin que nous empruntions auparavant. Mais l’aménagement récent du site a condamné le sentier qui longeait le Mékong. Désormais, il faut payer pour avoir accès aux meilleurs points de vue. Il y a trois ans, la somme demandée était anecdotique. Aujourd’hui, le billet coute trop cher pour nous deux, d’autant plus que nous les avons déjà vues au moins deux fois. Nous préférons passer notre chemin et regagner le village. Après avoir traversé et photographié le joli pont en pierre qui relie Don Khone à Don Det, nous tombons sur Gloria, la femme syrienne qu’on a connue à Vientiane et revue à Don Khong. Elle se repose ici quelques jours avant de remonter vers Luang Prabang et passer en Chine. Elle reste avec nous jusqu’à notre départ.
Nous embarquons avec un quart d’heure de retard et trente minutes plus tard, nous sommes échoués, un peu en vrac, sur la berge d’un ilot. On ne comprend pas. Notre pilote enlève son jean et retrousse les manches : il doit réparer la direction dont le câble, ou plus exactement la corde, qui la relie au moteur vient de rompre ! Il a besoin d’une bonne demi-heure à démêler le nœud occasionné par la casse et à la changer. Son long calcul, puis son hésitation à n’en plus finir pour la remettre dans le bon sens autour du volant m’amusent. Nous repartons tout de même, mais le soleil a bien baissé. Je m’inquiète pour l’heure d’arrivée, car à l’inverse de ce matin, nous remontons le fleuve et la durée du trajet s’en trouve rallongée d’au moins 30 minutes. Après notre infortune de tout à l’heure, la chance nous sourit à nouveau. En fait, nous longeons les berges au meilleur moment : celui où les riverains descendent dans les jardins pour un dernier arrosage et celui où les mères de famille lavent le linge dans le fleuve tout en ayant l’œil sur leurs enfants qui jouent dans l’eau tout en faisant leur toilette. Plus tôt, nous n’aurions pas eu droit à ce spectacle. Nous garderons donc un souvenir ému de cette croisière de la Saint-Valentin. Vite ! Deux lao-laopour fêter cette belle journée. Merci Monsieur Phoumi !
Ce soir, on mange avec Rémi et Marie-Claude, une Parisienne qui voyage dès qu’elle le peut. Le temps passe très rapidement…
Je n’en crois pas mes yeux qui fixent le chiffre 1 038 sur l’écran de mon ordi.
1 038 ! Il faut que je trie les 1 038 photos que je viens de décharger ! Il aurait pu y en avoir un peu plus, mais les batteries de mon appareil ont malheureusement flanché juste avant l’arrivée hier soir. De toute manière, il ne me restait plus que 7 clichés à prendre avant que la carte soit pleine. J’ai tout de même comme excuse de ne pas avoir travaillé sur mes photos depuis que nous sommes arrivés ici. Mais 1 038 ! J’ai deux jours de boulot pour les trier et les cataloguer toutes.
Le lendemain, j’ai terminé et j’en ai jeté plus de la moitié…
Rémi et Marie-Claude partis, nous faisons la connaissance de Sauveur et Carla, en voyage pour environ 4 mois. Sauveur dirigeait, entre autres, un cabinet d’informatique à Los Angeles et a travaillé sur les effets spéciaux de grands films américains. Nous trouvons vite un terrain d’entente autour de Macintosh et d’Apple qu’il connait très bien pour avoir fréquenté à maintes reprises les bureaux mythiques de Silicon Valley. La conversation pourrait continuer des heures. Décidément, les rencontres se succèdent à un rythme soutenu au Laos. Et ce, depuis notre première visite, il y a 10 ans. Nous le classons d’ailleurs au premier rang, sans aucune hésitation, pour l’excellence des voyageurs croisés.
Le séjour se termine. Demain, nous prenons le bus pour un trajet qui risque d’être très long vers le sud de la Thaïlande.
Pour l’instant, nous dégustons notre dernier lao-lao !…