Entre Shiraz et Yazd, le bus nous fait traverser une région complètement désertique, qu’elle soit plate ou bien montagneuse. L’aridité ne laisse aucune place à la fertilité, hormis à l’approche des villes où de grosses lances à eau arrosent les champs de blé dont la couleur verte tranche radicalement avec les tons ocre plus ou moins soutenus du paysage lunaire environnant. Seule la circulation sur la quatre-voies apporte un peu d’animation à ce haut-plateau central perché à plus de 1 200 mètres d’altitude.
L’hôtel que le patron de notre guesthouse de Shiraz nous a réservé avant de partir ne nous emballe guère. Tristounet, pour ne pas dire lugubre, nous décidons d’y rester qu’une seule nuit, juste par politesse. Aussitôt les sacs déposés, nous nous enfonçons dans le labyrinthe des étroites ruelles bordées de maisons en pisé. De nombreuses allées couvertes nous protègent de la chaleur, ici à son paroxysme. Mais bien que la température atteigne allègrement les 45° sous abri, l’atmosphère très sèche la rend nettement supportable. Nous ne suons pratiquement pas, contrairement à l’Asie où l’humidité ambiante nous met en nage au moindre effort et nous épuise rapidement. Le crâne protégé par une bonne couche de crème solaire, je me réjouis d’avoir l’appli Maps.mesur nos iPad. Grâce à elle, nous nous retrouvons assez facilement dans cet écheveau de venelles. Au terme d’une première visite sommaire, devant un temple, nous tombons sur un jeune couple de Polonais rencontré à Shiraz. En discutant, Mirosław nous conseille un restaurant proche de notre logement. Au moment du diner, nous les y retrouvons tous les deux en compagnie d’un Malais très sympa et de sa copine allemande. Les plats sont bons, la vue sur la Mosquée du Vendredi depuis le rooftopimprenable. La soirée passe vite entre anecdotes et rigolades.
Dès le lendemain matin, nous déménageons dans la maison traditionnelle transformée en hôtel que nous avons dégotée la veille après le diner. J’ai très bien négocié le prix et la chambre confortable et bien aménagée est beaucoup plus gaie que l’autre. Nous sommes tous les deux très contents d’avoir osé changer. Lorsque nous avons réglé notre dû tout à l’heure, le patron semblait tout surpris de nous voir déjà partir. Il est vrai que je lui avais promis de rester au moins quatre nuits au moment de la réservation. Mais l’ambiance sinistre et le prix bien plus élevé par rapport à celui de notre nouvelle résidence ne nous font absolument pas regretter notre choix. J’ai beau chercher, je ne me rappelle pas avoir agi ainsi depuis que nous voyageons !
En cette matinée, nous approfondissons un peu plus notre connaissance de la ville. À l’inverse d’hier, nous pénétrons cette fois dans l’enceinte des mosquées, dont la fameuse Masjed-e Jameh à l’architecture caractéristique du XIVesiècle avec son portail étroit et élevé surmonté des plus hauts minarets d’Iran qui culminent à 52 mètres au-dessus du sol. Non loin de là, un boulanger que je suis en train de prendre en photo devant son four nous donne gentiment une grande galette de pain toute chaude. Nous continuons la promenade dans la vieille ville jusqu’au complexe Amir Chakhmagh et la fameuse façade à trois rangées d’arcades de sa mosquée. Sur l’esplanade, des jets d’eau égaient le bassin où se reflètent les 3 statues dorées disposées en son milieu et les minarets du temple ; on ne peut faire plus photogénique. Tout près, dans la zurkhaneh(ou maison de la force) installée dans une citerne désaffectée et surmontée de cinq tours du vent, nous assistons à un entrainement de Varzesh-e Pahlavani, sport national iranien. Après un échauffement de plusieurs minutes, les pahlevansmanient, en position allongée, deux boucliers, le Sang, d’une trentaine de kilos chacun sans les faire toucher le sol. Impressionnant ! Suivent les pompes effectuées les jambes écartées. Le tambour et le chant du Morshedrythment les mouvements. Puis arrive ce que j’attends depuis le début : l’exercice des massues, les mil, dont le poids varie suivant l’âge de 2 à 50 kilos. Chaque lutteur en manie deux et pose la partie la plus lourde sur ses biceps avant de les faire tourner autour de ses épaules dans une chorégraphie bien rodée. La faible lumière et la vitesse d’exécution rendent la prise de vues plutôt difficile, mais je ne peux m’empêcher de tenter le coup (lors du tri, j’en mettrai plus des 4/5e à la poubelle).
Puis viennent les toupies qui consistent à tourner sur soi-même, les bras à l’horizontale, à la façon des derviches tourneurs turcs. L’exercice débute avec le participant le plus jeune pour finir par le plus âgé. La séance physique se termine par le maniement au-dessus de la tête d’un arc métallique, le kabbadeh,d’une dizaine de kilos dont la corde serait remplacée par une grosse chaine. L’entrainement s’achève avec une prière menée par le Morshed. Une fois l’arène désertée de ses lutteurs, les quelques visiteurs présents quittent le gymnase un peu groggy par le spectacle autant que peuvent l’être les sportifs après un effort violent. Dans la salle vide, seule l’odeur de la sueur persiste…
Le soir, sur le même restaurant rooftopque la veille, nous retrouvons Amandine et Nicolas, deux jeunes Parisiens rencontrés dans le bus entre Shiraz et Yazd. Nous les quittons peu après 22 heures en nous régalant de la vue sur la Mosquée Jameh, éclairée dans la nuit noire par une surprenante couleur bleue.
Nous nous levons pour une fois relativement tard et prenons notre petit-déjeuner au buffet de l’hôtel. Pain, fromage, yaourt, œuf, confiture, pastèque, dattes, thé et jus de fruit ne résistent pas longtemps à notre appétit. Installés sur un takht, sorte d’estrade recouverte d’un tapis sur laquelle on s’assoit en tailleur pour manger, nous passons le reste de la matinée et le début d’après-midi à bosser sur nos photos. J’en ai plus d’un millier en attente de tri et de référencement, c’est-à-dire une journée entière de boulot ininterrompu. Nous ne retournons nous perdre dans le dédale de la vieille ville qu’à 17 heures, moment où la chaleur commence à décliner, à savoir descendre sous les 40° ! Près de la prison d’Alexandre, je demande à une jeune femme la permission de la photographier. Elle accepte dans un franc sourire. Son portrait fera partie de mon best ofen Iran. Plus loin, je m’arrête quelques instants taper dans la balle avec des gamins avant de m’extasier devant la fameuse prison et la mosquée qui la jouxte. Pour jouir un peu plus de leur spectacle, nous nous assoyons un moment sur un banc d’une placette ombragée tout proche.
Dans notre restaurant habituel, nous faisons cette fois la connaissance de deux Hollandais qui viennent de traverser toute l’Afrique et l’Arabie avec leur véhicule.
Aujourd’hui, je me lève avec le soleil pour aller faire quelques photos en ville. J’en reviens deux heures plus tard et vais prendre mon petit-déjeuner avec Chantal qui en a profité pour faire une petite grasse matinée. Et comme hier, nous ne partons nous balader qu’en fin d’après-midi.
Je remercie une nouvelle fois l’application Maps.mequi nous fait emprunter des rues par lesquelles nous ne serions jamais passés autrement. Nous découvrons ainsi des quartiers peu fréquentés, mais d’une réelle beauté. Nous faisons demi-tour devant le Temple du Feu zoroastrien où une flamme sacrée brule depuis plus de 1500 ans. Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons acheter deux pots de soupe épaisse. Dans une boulangerie, je choisis deux pains odorants que le patron tient absolument à nous offrir. Nous acceptons de bonne grâce. Voilà notre diner de ce soir réglé !
Nous en avons désormais pris l’habitude : après le petit-déjeuner, bien calés dans les coussins du takht, nous travaillons tous les deux sur nos photos. Chantal qui en a bien moins que moi peut bouquiner une fois son boulot terminé. Je l’envie ! Je ne finirai le mien qu’au moment de partir du côté de Bagh-e Dolat Abad, la maison qui possède la plus haute tour des vents d’Iran. Située au bout d’une longue allée de pins, elle propose une jolie architecture intérieure, très photogénique. Une fois la prise de vue terminée, nous entamons le chemin du retour qui nous fait passer par un quartier de la vieille ville où d’innombrables maisons en adobe tombent en ruines. Heureusement, l’UNESCO veille et participe au financement de leur reconstruction.
Pour le diner, nous nous retrouvons une nouvelle fois sur le rooftop. Ce soir, nous y faisons la connaissance de trois jeunes Espagnols qui parlent un peu le français. Nous y aurons donc rencontré quelqu’un à chaque fois que nous y sommes venus ! Incroyable ! En plus, les serveurs qui nous aiment bien prennent soin de nous comme d’un roi : seau de glaçons avec le coca, assiette bien remplie, pain à volonté… et selfiesen notre compagnie ! Nous leur promettons de repasser demain si le bus de nuit vers Ispahan ne part pas trop tôt. En attendant, la jolie caissière nous fait une nouvelle fois cadeau de quelques dizaines de milliers de rials sur notre note… On ne les changera pas !
Pour notre dernier jour à Yazd, nous restons une bonne partie de l’après-midi dans notre chambre climatisée. En effet, on nous a autorisés à la garder gratuitement jusqu’au moment de notre départ ce soir… à minuit au lieu de devoir la quitter à midi comme cela se fait partout ailleurs dans le monde. Les Iraniens sont décidément les gens les plus sympas qu’on ait jamais rencontrés.
À 23 heures, un taxi vient nous prendre à l’hôtel pour nous emmener à la gare routière. Le chauffeur, gringalet comme moi, s’empare de nos deux sacs et monte sans fléchir un seul instant la volée d’une vingtaine de marches qui mènent à la station. Plus
de 40 kilos sans forcer vraiment ; cette image risque de me hanter un moment !
Yazd, malgré la chaleur, restera notre étape iranienne préférée :
petite agglomération, vieille ville en pisé, dédale de ruelles, jolies mosquées, population adorable, bonne nourriture et prix d’hébergement imbattable, du moins pour le second hôtel. Nous en garderons très longtemps un excellent souvenir.