Le taxi nous dépose en début de matinée près de l’hôtel traditionnel que nous lui avons indiqué. Mais après une rapide visite des chambres, je ne suis guère convaincu par l’établissement d’autant plus que nous devrons changer de lieu en cours de séjour ; alors, autant le faire tout de suite. En cherchant dans une rue voisine du quartier, je tombe par hasard sur une construction nouvelle, mais de style traditionnel, avec les pièces donnant sur un patio intérieur arboré agrémenté d’une fontaine. Le glouglou de l’eau enchante immédiatement mes tympans. La chambre que le jeune patron sympa me présente est située à l’étage et jouit d’une grande clarté malgré ses carreaux de couleur qui font penser à des vitraux. Après une petite négociation de prix, nous allons donc dormir dans celle que Sophie Jovillard, la journaliste de TV5, occupait lorsqu’elle est venue il y a deux mois à Shiraz tourner son émission Échappées belles : de Persépolis à Ispahan, documentaire que nous avons eu l’occasion de visionner à Bali juste avant de venir. Dommage qu’elle soit déjà repartie, j’aurai adoré la rencontrer !…
À l’entrée de la mosquée Shah-e Cheragh, le gardien constatant mon matériel photo peu discret nous oblige à prendre un guide avec nous et invite Chantal à revêtir un tchador qui l’empêtre drôlement dans ses gestes. Pas très facile à mettre ce truc et, en plus, pas seyant pour un sou ; mais quand il le faut ! Souriante au départ, la jeune fille qui nous sert de cerbère perd vite patience lorsqu’elle doit interrompre sans arrêt ses explications dans un anglais très approximatif pour attendre que je termine l’une de mes innombrables séries de photos. En plus, à son grand désarroi, je n’hésite pas à courir dans tous les sens pour chercher les meilleurs angles ou la plus belle lumière et elle a l’obligation de me suivre partout ! Beaucoup moins gracieuse qu’au début, mais toujours polie, elle invente un petit stratagème assez grossier pour nous confier à l’une de ses consœurs qui accompagne un jeune couple de Français, Simon et Sarah, qui, eux, shootent beaucoup plus rapidement que moi. Sympa, elle nous fait monter sur une terrasse d’où la vue sur la mosquée est magnifique. Je me dépêche tout de même pour ne pas trop embêter les autres. La visite terminée, nous accompagnons Simon et Sarah jusqu’à leur hôtel et profitons du thé offert par leur hôte. Nous échangeons une tonne de souvenirs et d’impressions avec ces deux voyageurs invétérés très ouverts avant de regagner notre auberge où le diner que nous avons réservé ce matin doit être prêt. Un bon dizine comprendrait pas qu’on le laisse refroidir et un falafelne pardonnerait pas que sa salade d’accompagnement flétrisse ! Nous arrivons juste à temps pour nous régaler…
À 8 heures le lendemain, nous pénétrons dans la très jolie mosquée Nasir-al Molk située à quelques pas de l’hôtel. Le soleil brille de mille feux et diffuse sa lumière à travers les vitraux de la salle de prière. Nous nous retrouvons à plusieurs photographes pour immortaliser cet instant. J’ai à peine terminé mes prises de vue que deux jeunes Chinoises viennent littéralement squatter le lieu et s’approprier la lumière polychrome des carreaux teintés en se tirant mutuellement le portrait pendant des plombes. Leur incroyable sans-gêne va durer plus d’une heure et en irriter plus d’un ! Je me félicite d’être arrivé avant elles ! Heureusement pour tout le monde, le spectacle se trouve aussi ailleurs avec les superbes mosaïques qui recouvrent les murs et les stalactites des iwans. Nous retrouvons là Simon et Sarah venus comme nous se régaler devant les belles arabesques qui déclinent un surprenant camaïeu de rose.
La visite nous ayant aiguisé un peu plus l’appétit, nous retournons à l’hôtel prendre notre petit-déjeuner. Fromage sec, fromage blanc, œuf dur, pastèque, pain local, excellentes confitures de carotte ou de cerise au miel accompagnent les nombreux verres d’un thé agréablement parfumé. Trop bon !
Sous un soleil ardent, nous rejoignons la citadelle Karim Khan qui possède une tour assez penchée qui en fait tout son charme. Tandis que je prends mes photos, Chantal discute patiemment avec un homme qui cherche visiblement à placer les rares mots d’anglais qu’il connait. Nous sommes en train de nous engager dans une partie ancienne de la ville lorsqu’une femme nous aborde. En apprenant que nous sommes Français, elle nous invite chez elle si gentiment qu’on ne peut refuser la proposition de peur de la décevoir. Dès le seuil franchi, elle ôte son foulard et nous présente sa famille. Il y a là Khosrow, son jeune frère de 48 ans et oncle de Léna, sa fille qui parle un peu l’anglais. Assis à même le sol au milieu du salon, Hossein, son fils, fume tranquillement le narguilé en discutant avec un ami. Elle nous prépare le thé, du pain et de gros morceaux de pastèque. Cédant à l’insistance de sa nièce, Khosrow se lève et se met à chanter d’une voix profonde avant de se laisser aller à quelques pas de danse. La bonne ambiance aidant, Hossein et son ami reviennent de la cuisine avec des marmites qui leur servent de tambours. Le rythme avec lequel ils les frappent augmente alors au fur et à mesure que les minutes passent. Nous battons tous des mains pour les encourager. Une fois le spectacle terminé, la conversation reprend et Léna nous avoue aspirer à se rendre un jour en France. Nous regrettons de ne pouvoir l’emmener avec nous et lui souhaitons de réaliser son rêve.
À peine sortis de chez eux, une vieille femme que nous croisons sur le trottoir nous offre un des pains. Elle ne nous laisse pas le choix et nous le met directement dans les mains. Pas question de refuser ! Ces gens sont vraiment incroyables. Nous entrons dans le complexe Half Khan au moment du déjeuner. L’immeuble accueille un restaurant différent à chaque étage. Au sous-sol se situe le plus luxueux, le plus design et le plus fréquenté par la bourgeoisie locale. Elle s’y retrouve par familles entières autour de plats mijotés qui nous chatouillent les papilles rien qu’à les regarder. Un groupe de musiciens y joue des morceaux traditionnels durant tout le repas. Au rez-de-chaussée, un self de standing propose des mets locaux qui séduisent de nombreux adeptes. Le restaurant du premier étage brasse une clientèle plus cosmopolite, mais plus clairsemée, avec sa cuisine internationale, tandis que le second attire les jeunes avec son fast-food à l’enseigne iranienne. Quant au barbecue situé sur le toit de l’immeuble, il ne fonctionne que le soir. La déco d’acier de ce temple de la restauration ajoute aussi à la spécificité du lieu.
Nous arrivons à l’extrémité nord de la ville au moment où le soleil atteint son zénith. Heureusement quelques arbres situés près de la Porte Quran nous permettent de nous reposer à l’ombre. Nous y faisons la connaissance d’une jeune maman handicapée qui nous demande timidement l’autorisation de se prendre en photo en notre compagnie. J’en profite pour tirer, malheureusement maladroitement, le portrait de sa petite famille avant de discuter un moment avec eux. Sur le chemin du retour, pour éviter un tant soit peu le soleil cuisant, nous nous réfugions sous les voutes de brique dubazaare-Vakil. Célèbre pour ses tapis, ses tissus nomades et ses épices, il est considéré comme l’un des plus beaux du pays. Par contre, nous ne garderons pas un souvenir impérissable de notre passage dans le restaurant recommandé par Simon et Sarah ce matin : très, très peu de choix et portions pour anorexique servie par le tenancier européen qui a, en plus, oublié de nous amener la bouteille d’eau commandée ! Pour assouvir ma faim et calmer ma colère, je dois m’arrêter dans une cantine, celle de Hossein, jeune patron adorable, boire un grand verre de jus de carotte et engloutir une grosse part de pâtisserie au miel !
Le taxi nous conduit à Persépolis en une heure. Niché au pied d’une montagne, le site historique le plus visité du pays et classé au patrimoine mondial de l’UNESCO abritait la capitale de l’empire achéménide perse. Les ruines majestueuses de ses nombreux temples, palais, portes colossales attirent une foule de curieux, souvent iraniens. Nous arrivons au guichet de l’entrée à 16 heures et la grosse chaleur est passée. En haut de l’escalier monumental, les hautes colonnes de pierre se dressent fièrement dans le ciel limpide. Nous restons ébahis devant la colossale porte des Nations flanquée des célèbres sculptures représentant des taureaux ailés à tête humaine. Plus loin, nous tombons sur les non moins fameux bas-reliefs figurant des Perses à la barbe bouclée que l’on retrouve dans tous les livres d’histoire. Prenant mon courage à deux mains, je m’attaque ensuite à la colline la plus proche pour atteindre par un sentier rocailleux assez raide un premier tombeau royal creusé dans la falaise, puis un second situé à quelques centaines de mètres de celui-ci. Une demi-heure plus tard, en nage, je retrouve Chantal restée sagement m’attendre à l’ombre des rares arbres du lieu et me dirige directement vers une fontaine mise à disposition des visiteurs. Nous apprécions ces points d’eau réfrigérée disséminés partout en Iran, dans les rues, près des mosquées ou dans les endroits touristiques. Tout le monde vient s’y désaltérer. En ce qui nous concerne, nous y avons recours plusieurs fois par jour. Après trois heures passées sur le site archéologique désormais baigné dans la lumière dorée de fin de journée, nous regagnons Shiraz non sans nous être arrêtés devant la nécropole royale de Naqsh-e Rostam. Le diziqui nous attend à notre arrivée à l’hôtel clôture de fort belle manière cette journée mémorable.
Pour changer, nous achetons notre diner du lendemain chez un papy qui nous sert deux grands pots d’une soupe très épaisse à base de haricots et de pois chiches et deux autres de riz très sucré aromatisé à la cannelle et à l’huile. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, nous nous régalons tous les deux de ce menu plutôt local !