D’après les notes de Chantal
Nous sommes retournés ce matin au cimetière pour voir dans quel état il était. Au milieu des derniers feux qui consument les restes de la cérémonie, des mendiants fouillent les tas de cendres encore fumantes et récupèrent quelques objets de plus ou moins grande valeur comme cette bague qui appartenait à l’un des défunts, quelques pièces de monnaie, des billets de banque intacts trouvés dans une noix de coco qui a miraculeusement échappé aux flammes.
Après avoir filmé ces ultimes scènes, je retourne à la guesthouse terminer le montage vidéo de l’ensemble de la crémation et, avec l’aide d’Alain, la diffuse sur YouTubedès que la connexion internet nous le permet.
Pendant que plusieurs averses viennent gâcher l’après-midi, Alain fait le tri de ses photos (de nouveau, plus de 800, hier !) et regroupe celles qu’il va offrir à la famille sur une clé USB. Tout le monde sera content…
Il a plu une grande partie de la nuit, puis toute la journée. D’après Ketut, les dieux avaient stoppé les averses pour la Crémation. On la croirait presque !
Au warungD’ Pande, pour diner, Alain se régale d’un mujair nyat nyat, poisson d’eau douce servi avec du riz et un sambaltrès parfumé et épicé à souhait. Je me contente d’un mie gorengtout aussi succulent. Nous avons eu le nez creux lorsque nous nous sommes arrêtés ce matin étudier la carte. Ce restaurant, l’ex-Tabia Bun que nous appréciions tant, a été fermé toute l’année dernière et vient juste de rouvrir ses portes. Le nouveau patron nous apprend que celui que nous connaissions est décédé d’ennuis de santé il y a un peu plus d’un an et qu’il était son beau-frère. Complètement emballés par nos plats, nous lui promettons de revenir, encore et encore…
Ce matin, nous ne partons pas très loin ; nous restons dans les environs de Gianyar. À Blahbatuh, nous nous arrêtons dans un temple où des femmes déposent sur les statues et sur le sol de magnifiques offrandes à base de fleurs. Des poules qui trainent dans le coin s’empressent de picorer les grains de riz qui les garnissent.
Dans un puritout proche, un homme charmant qui ne parle que quelques mots d’anglais vient discuter un peu avec nous et nous présente ses parents, propriétaires de cette villégiature traditionnelle magnifiquement entretenue qui se reposent dans la partie religieuse. Alain les prend en photo et la vieille dame, d’une élégance toute naturelle, semble réjouie. Nous quittons ces gens et cet endroit apaisant à regret.
Nous décidons de retourner à Jatiluwih constater si les rizières ont évolué. Nous les trouvons inondées, certaines ayant été repiquées. L’ensemble, vu du belvédère où se massent les touristes, est particulièrement joli sous un ciel qui commence déjà à s’assombrir sérieusement. Alain prend de nombreux clichés du site que nous n’avions encore jamais admiré dans cette parure. Dommage pour le photographe que la bonne lumière ne soit pas de la partie.
Nous constatons également qu’un nouveau pas dans la bêtise vient d’être franchi : des taxis s’aventurent désormais sur les étroits chemins pour permettre à leurs clients, certainement trop fainéants pour marcher ne serait-ce qu’un kilomètre, d’aller siroter un verre dans un des bars récemment aménagés au milieu des champs. Mais que fait donc l’UNESCO qui a classé ce site ?
Pour une fois, le retour sous la pluie parait relativement facile à Alain, la chaussée ayant été en grande partie refaite. Moi aussi j’apprécie, bien à l’abri derrière lui…
À Bali, la tradition du cerf-volant existe depuis des siècles. Destinée à demander de l’aide aux dieux pour rendre la terre fertile et éloigner les épidémies, elle possède une grande teneur religieuse. La dernière journée du festival étant toujours la plus suivie, nous passons l’après-midi de ce dimanche à Padang Galak, au milieu d’une foule masculine passionnée. Des milliers de visages sont tournés vers le ciel et apprécient l’évolution de dizaines d’engins à la voilure colorée. Ils volent par catégorie que nous estimons à quatre, l’une d’entre elles étant vraiment à part avec ses objets volants presque non identifiés qui représentent des têtes de monstres, des maisons ou bien encore un gamelan ! Nous arrivons malheureusement trop tard pour les voir voltiger au vent. Nous les admirons seulement au sol. Par contre, nous assistons à l’envol du plus grand cerf-volant jamais construit à Bali. D’une envergure de 11 mètres, sa queue atteint la longueur incroyable de 250 mètres. Des dizaines de personnes tirent sur la corde en courant pour qu’il puisse décoller. Sous les vivats d’une foule enthousiaste, il s’élève lentement, trainant derrière lui sa toile caudale démesurée qui prend enfin le vent et lui permet de gagner rapidement de la hauteur. Son atterrissage parfait fait hurler de joie le speaker déchainé. Tout en photographiant au sein du public en délire, Alain surveille de près les gros filins que manipulent les participants pour diriger leurs planeurs. Certains lui passent au ras des oreilles. Pour ma part, voyant des tireurs courir dans ma direction en s’égosillant, je déguerpis au plus vite pour me réfugier à l’écart de l’agitation. Mais, nous ne sommes nulle part en sécurité ; la preuve avec ces deux engins dont les fils s’emmêlent et qui tombent au milieu des gens. Certainement habitués à ce genre de situation critique, ceux-ci les évitent relativement facilement. En ce qui me concerne, dès que j’en aperçois un qui se met à flotter dangereusement, je ne suis pas très rassurée.
Après cette journée riche en couleurs, nous rentrons à Ubud en slalomant au milieu d’une circulation très dense…
Une cruelle désillusion nous attend aujourd’hui : les belles rizières de Sidemen et de toute la région Est n’existent plus. Elles ont fait place aux cultures maraichères et au maïs ce qui, à nos yeux, fait perdre beaucoup de charme au paysage. Lors de notre passage en avril dernier, le riz occupait encore la totalité des surfaces arables. Un guide à qui nous demandons des éclaircissements nous explique que les légumes sont désormais devenus plus rentables que la céréale la plus répandue en Asie. Comment pourrait-on en vouloir à ces pauvres paysans qui ne découvrent qu’aujourd’hui le pouvoir de l’argent ? Mais si les rizières venaient à disparaitre de l’ile, qu’adviendrait-il du tourisme balinais qui vante tant ses magnifiques terrasses ? Une autre explication nous est donnée de retour à la guesthouse : l’eau d’irrigation manquerait, avec pour conséquence l’abandon de la culture du riz pour celle des légumes, moins gourmande en eau. Nous aimerions le croire, mais avec toute la pluie que nous avons eue depuis notre arrivée, nous restons perplexes. Espérons tout de même !…
Sur cette déception, nous continuons le périple vers Amlapura et Ujung, son petit port. Derrière des dizaines de bateaux traditionnels à balanciers, les prahus, remontés en haut de la plage, des pêcheurs ramaillent leurs filets sous des abris précaires qui les protègent du soleil.
Sur le chemin du retour, nous tombons complètement par hasard sur une cérémonie qui se déroule face à la mer au temple de Goa Lawah. Après avoir revêtu nos sarongs, nous nous glissons parmi les fidèles et assistons à la mise à l’eau d’offrandes et d’une urne de cendres. Nous participons en fait à la fin d’une longue, très longue, cérémonie de crémation qui a débuté plusieurs jours auparavant…
En ce début de matinée, le soleil joue à cache-cache avec de petits nuages blancs. C’est décidé, nous partons à la plage. Le ciel bleu de Sanur nous fait un peu peur, mais le vent assez fort atténue la chaleur et il fait bon sur le sable. Nous demeurons là le reste de la journée et rentrons sur Ubud en début de soirée.
Le lendemain, rien d’exceptionnel : nous restons à Ubud et effectuons paresseusement une balade sur le marché touristique, noir de monde. Si ce n’était un artisanat différent, on s’imaginerait presque dans la rue principale de Saint-Malo durant le week-end pascal. Le français semble d’ailleurs la langue la plus parlée tellement nos compatriotes ont investi les lieux depuis quelques jours.
Près de Klungkung, nous tombons sur le village de Tihingan, spécialisé dans la fabrique de gongs et degamelan. Dans l’une d’entre elles où un ouvrier est en train d’accorder, à l’oreille, l’une des touches en ponçant le métal avec une antique meuleuse rouillée, une vieille dame qui parait être la propriétaire du lieu vient s’entretenir avec nous dans un anglais rudimentaire. Elle nous explique des choses que nous ne comprenons pas, mais qu’elle semble, vu son sourire édenté, très heureuse de nous apprendre !
Nous poursuivons notre chemin au milieu des rizières et des cultures maraîchères et achevons cette jolie promenade par une visite du village de Taro, seul endroit de Bali où l’on élève les vaches albinos. Jouant un rôle essentiel dans certaines cérémonies, on les fait défiler à l’occasion des plus importantes. Autrefois sacrifié, mais désormais protégé, le cheptel s’agrandit d’année en année.
Pour le retour vers Ubud, Alain emprunte une petite route pourtant indiquée Payangan. Mais, rapidement, celle-ci se transforme en chemin de plus en plus étroit, puis, au bout de quelques hectomètres, en sentier herbu de moins en moins carrossable qui se termine en cul-de-sac dans un champ. C’était prévisible pratiquement dès le départ. Pour effectuer un difficile demi-tour, je laisse Alain seul sur la moto et commence même la remontée à pied. Je suis plus rassurée ainsi.
Aujourd’hui, direction le Sud. Mais en cours de route, mon drôle de mari change d’idée et stoppe finalement la moto devant le Tanah Lot. Nos montres indiquent 10 h 30 et ce n’est vraiment pas l’heure à laquelle nous apprécions ce lieu hautement touristique. Nous préférons de loin le calme d’une aurore ou la photogénie d’un coucher de soleil. Mais, comme nous passions tout près, il aurait été dommage de ne pas nous y arrêter. Les visiteurs, asiatiques pour la plupart, ont déjà investi le site, la bonne surprise étant qu’avec la marée haute tout le monde reste sur le bord de la falaise. À notre grand étonnement, la vision sur le temple et les énormes rouleaux qui viennent s’écraser sur les rochers est quasi parfaite. Nous nous en régalons un long moment avant de partir pour Canggu et sa plage de sable noir.
Juste avant d’arriver là-bas, nous évitons le péage d’accès au rivage en nous faufilant derrière une moto de Balinais qui, eux, n’ont rien à régler. Dans beaucoup d’endroits désormais, il est devenu impossible de s’approcher de la mer sans devoir payer. On a ainsi vu une jeune Allemande se faire plumer de 50 000 roupiahsau lieu des 5 000 qu’indique le ticket normal. Le vilain gardien s’est bien gardé de lui en délivrer un. Pour ce manque de loyauté, de plus en plus fréquent envers les visiteurs, nous n’avons plus du tout de scrupules à resquiller quand nous le pouvons. Comme déjà au Tanah Lot tout à l’heure en arrivant par un endroit différent que l’entrée principale… La mentalité balinaise, tout du moins dans les lieux fréquentés, est en train d’évoluer très rapidement.
Une fois allongés sur notre serviette, à l’écart des transats, nous savourons ce moment de détente. Comme à Sanur l’autre jour, le vent qui souffle fort atténue l’ardeur du soleil qui brille dans un ciel sans nuage. Les rouleaux se fracassent aujourd’hui trop vite pour que les jeunes, pourtant présents en nombre, puissent les surfer. Dommage pour le plaisir des yeux.
Avec le ciel bleu de ce matin, nous décidons de nous rendre à Lovina, tout au Nord, qui n’a plus reçu notre visite depuis 2002. À 9 heures, nous quittons Ubud pour atteindre Kintanami qui domine le lac du Mont Batur et redescendre vers Singaraja par un très joli itinéraire de montagne qui serpente au milieu de la verdure. Les vues sur les monts environnants, la côte et la mer nous surprennent à chaque sortie de virage. Alain se fait un plaisir énorme en pilotant la moto sur une chaussée nouvellement bitumée. Chose encore plus impensable, nous effectuons les 40 kilomètres de descente seuls, aucun véhicule ne venant troubler notre tranquillité jusqu’à la route côtière. Nous en profitons donc pour rouler sereinement en nous arrêtant parfois prendre une photo ou observer une vieille femme retourner les clous de girofle en train de sécher au soleil et qui embaument tout notre parcours.
Nous pensions trouver le village de Lovina défiguré comme peuvent l’être ceux du Sud de l’ile. En fait, il n’a pas trop changé, hormis quelques hôtels qui sont apparus ou se sont agrandis. Nous retrouvons même l’un de nos hébergements et notre restaurant favori, le Kakatua, où nous avions nos habitudes et qui semble avoir gardé une certaine notoriété. Mais ses prix ne correspondent plus à notre budget actuel. Dommage !
Au lieu de nous empiffrer, nous allons nous étendre sur le sable noir brûlant et piquer une tête dans l’eau limpide et tiède de la plage désertée. Ceci est notre seconde surprise : en pleine saison touristique, la seule station balnéaire de la côte Nord parait sans vie. En cette heure du déjeuner, les restaurants sont vides à l’exception d’une pizzéria qui accueille six jeunes touristes disséminés sur sa grande terrasse et qui ne savent pas manger autre chose que ce qu’ils connaissent. Si Bali en général se métamorphose rapidement, les voyageurs, eux aussi, changent vite avec des besoins et des souhaits totalement différents de ceux de leurs prédécesseurs. On appelle cela l’évolution… Et nous en sommes désolés.
Après le détour matinal plus à l’Est, nous rentrons par le centre de l’ile et Bedugul avant de redescendre sur Ubud par une route secondaire que nous apprécions bien, beaucoup moins fréquentée que la principale et bien plus jolie. Nous avons encore effectué 190 kilomètres aujourd’hui. Mako, notre loueur de moto, va râler (mais gentiment, comme à son habitude !).