Ce matin, Octave ne rigole pas. Il tousse et a la voix rauque. Virginie prend rendez-vous chez la pédiatre pour 11 h 30. Pour une fois, ils ne nous accompagneront pas sur le quai, mais nous laisseront devant la gare. Les adieux sont bouleversants tant notre petit-fils a pris de l’importance dans notre vie. Chacun à notre tour, il nous enserre le cou avec ses petits bras et dépose de gros baisers sur nos joues. Des larmes coulent sur celles de Chantal et j’ai beaucoup de mal à refouler les miennes.
À 12 h 30, le TGV Ouigo part exactement à l’heure prévue et nous arrête à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle 2 heures et 20 minutes plus tard. S’il n’augmente pas, à 20 euros par personne, dont 5 pour le gros sac, le rapport qualité-prix de ce trajet risque de durer très longtemps ; on ne s’en plaindra pas !
Le Boeing 787 de la compagnie Oman Air atterrit sans encombre à Muscat après 7 heures de vol. Il est 6 h 45 locales et nous devons patienter toute la journée, sans pouvoir en sortir, dans la zone de transit jusqu’à l’embarquement prévu le soir. Il y règne une température frigorifique et, après une nuit sans sommeil, nous avons beaucoup de mal à supporter cette fraicheur alors que dehors le thermomètre doit approcher les 40° ! À 21 heures, à peine installés dans l’avion, nous devons aussitôt ressortir, procéder à un nouvel embarquement et monter dans un bus qui nous dépose quelques centaines de mètres plus loin devant un Airbus A330garé à deux pas du précédent. Nous prenons notre envol vers Kuala Lumpur avec plus de trois heures de retard sur l’horaire prévu et, évidemment, ratons là-bas la correspondance pour Bali. Dès la sortie de l’appareil, une hôtesse nous invite à nous rendre au Sama- Sama Hotel, établissement 5 étoiles, situé aux abords de l’aéroport, mais sans nos
bagages enregistrés jusqu’à Bali. Nous profitons de la gratuité du séjour pour nous empiffrer au buffet du restaurant. Nous garderons d’ailleurs un souvenir ému de nos trois repas ! Après une bonne douche et le lessivage de nos sous-vêtements que nous n’avons pas quittés depuis deux jours (!), je descends à la piscine drapé d’un beau peignoir trouvé dans l’armoire de la chambre. Chantal m’y rejoint deux heures plus tard et me convainc de piquer une tête, ce que je n’avais osé faire sans maillot de bain adéquat. En espérant que personne ne prête trop attention à moi, je me glisse discrètement, en slip tout frais lavé, dans l’eau limpide et rafraîchissante du superbe bassin qui n’attendait que moi. En sous-vêtement dans la piscine du palace qui abritait il y a 24 heures encore toute l’équipe Ferrari venue participer au Grand Prix de F1 de Malaisie disputé sur le circuit de Sepang situé à moins d’un kilomètre, je biche comme un fou ! Nous n’en repartons qu’à la nuit tombante.
Après un conséquent petit-déjeuner, nous nous dirigeons vers la salle d’embarquement et nous envolons pour Denpasar avec juste 24 heures de retard.
Lorsque le tapis de réception des bagages s’arrête, nous n’avons pas récupéré les nôtres. Il faut se rendre à l’évidence : ils sont égarés ! Deux jeunes Gallois qui ont passé la journée d’hier au Sama-Sama Hotelsont dans la même situation. Ensemble, nous allons au guichet des réclamations remplir les papiers nécessaires pour une éventuelle livraison ce soir dans nos lieux de résidence. Mais je ne sais pas pourquoi, j’ai un sérieux doute !
Dès la sortie des douanes, je reconnais la voix de Ketut qui m’appelle. Wayan, son fils, l’accompagne ; ils commençaient vraiment à se demander si nous allions enfin arriver, eux qui, hier, s’étaient déjà déplacés pour rien !
Mon scepticisme a été confirmé : nous avons dû attendre les sacs jusqu’au lendemain soir, jeudi, soit plus de 30 heures après l’atterrissage ! Si celui de Chantal parait intact, le mien semble avoir été fouillé : le cadenas qui le maintenait fermé a disparu et un cordon de plastique enserre désormais fermement la poignée. J’ai un mal fou à le sectionner. Mais rien ne manque et je retrouve avec un plaisir non feint mes huit disques durs de photos, le bloc d’alimentation de mon MacBook Pro, ma paire de lunettes de secours, l’argent liquide et la seconde carte bleue. Entretemps, nous avons fait marcher l’assurance de la Visa Premier pour l’achat d’un ticheurte pour moi et d’une robe pour Chantal. Nous en avions plus que marre de fermenter dans les vêtements enfilés dimanche matin ! Dommage seulement que je n’ai pas eu le temps de me payer un bermuda ; je n’en ai pas trouvé à me plaire avant l’arrivée des valises ! Tant pis !…
Comme à son habitude, Mako nous loue une moto à bon prix. Ainsi motorisés, nous pouvons aller prendre un peu de soleil sur la plage de Sanur. Nous y faisons la connaissance de Célia et Fouad, un couple lyonnais de jeunes mariés en voyage de noces. Nous passons un bon bout de temps à discuter avec eux et lorsque nous nous séparons en fin de journée, nous nous donnons rendez-vous ici même dans les cinq prochains jours. Après, ils rentrent en France, pour le boulot… Tout le monde n’a pas notre chance. Pour fêter ça, nous allons au Mangga Madu déguster nos plats de thon favoris : le tuna bakar et le tuna base kalas, toujours aussi bons et aussi bien servis. Je crois qu’on ne s’en régalera jamais !
Pour les premières balades en moto, nous ne nous aventurons jamais trop loin et restons dans les environs immédiats d’Ubud, la météo menaçante ne nous incitant pas de toute manière à l’exploration. De gros nuages gris s’amoncellent en effet régulièrement au-dessus de nos têtes et lâchent, trop systématiquement à notre goût, des tonnes d’eau qui rendent la route assez dangereuse en certains endroits. Un glissement de terrain, sans conséquence tragique, a d’ailleurs lieu dans Ubud même, au niveau du pont. Un bulldozer dépêché en catastrophe s’évertue à dégager la chaussée malgré une circulation impatiente qui le gêne carrément dans son intervention. On ne change pas du jour au lendemain le comportement des conducteurs balinais !
Après avoir retrouvé Fouad et Célia à Sanur et passé avec eux l’après-midi, nous nous arrêtons diner au retour dans une famille habituée à nous voir débarquer chez elle au milieu des locaux amusés et manger un lawar, épicé certes, mais succulent ! À constater leurs mines enjouées, la visite de ce soir semble leur faire le plus grand plaisir. Le jeune garçon échange d’ailleurs quelques mots avec nous.
Bruno est un copain de Rennes dont le fils Alex vient d’arriver passer quelques semaines à Bali. Nous faisons sa connaissance et celle de son amie Lucy à leur hôtel, planté au milieu d’une rizière… en plein centre d’Ubud ! Celle-ci n’a pas disparu, mais pour combien de temps encore ? Nous discutons autour de la piscine avant d’aller prendre un verre et diner dans un restaurant local de notre connaissance. Apparemment, nos deux nouveaux copains apprécient et nous donnent rendez-vous demain matin pour une balade en moto du côté des rizières du centre de l’ile.
Contrairement aux jours derniers, le soleil semble aujourd’hui vouloir être de la partie. Nous prenons donc, soulagés, la direction de Jatiluwih par les petites routes, infiniment plus agréables que les axes principaux. Pilote adroit, Alex suit facilement, Lucy assise derrière lui. Pour ne pas déroger à notre (contestable !) habitude, nous pénétrons sur le site par une entrée non officielle ! Pour les budgets serrés comme le nôtre, c’est toujours ça de gagné ; on aura ainsi l’impression de se faire offrir nos Bintangce soir. Et ça, c’est jubilatoire !
En attendant, nous en profitons pour nous balader seuls sur l’un des nombreux sentiers qui sillonnent le site, mais plus nous approchons du village de Jatiluwih, plus nous croisons de touristes venus eux aussi s’en mettre plein les mirettes. Les Français forment le gros du bataillon, tandis que la colonie chinoise affiche un net recul en cette saison. De toute manière, à cause de l’éruption attendue de l’Agung et d’après les dires des professionnels locaux, une majorité de voyageurs a annulé son séjour ici ; ce qui n’est pas forcément pour nous déplaire. Encore sous le charme de cette vallée emblématique, nous continuons la promenade vers Batukau et son vieux temple englouti par la végétation. Le ton sombre des hauts meruet des pavillons à la toiture en chaume noir tranche avec le camaïeu des verts de la jungle, vestige de la véritable forêt pluviale qui recouvrait Bali. Tous les quatre ceints de nos sarong, nous évoluons paisiblement au milieu des statues moussues dans une quiétude à peine troublée par la
présence éparse des rares touristes. Pour terminer la journée de façon plaisante et reposante, nous offrons une noix de coco à Lucy et Alex dans l’un de nos endroits préférés près d’Ubud. Confortablement calés dans d’immenses fauteuils en osier, nous tirons sur le nectar désaltérant à l’aide d’une paille plantée dans l’écorce du fruit. Délicieux ! En plus, comme il l’avait déjà fait avec nous, le calme de la vallée verdoyante qui s’étale à nos pieds séduit définitivement nos jeunes invités.
Nous sommes en train de pénétrer dans Ubud lorsque j’entends un grand cri derrière nous : le pied coincé sous la moto couchée, Lucy hurle de douleur. À cause d’un ralentissement du trafic, Alex a freiné trop fort de l’avant pour éviter de me toucher et sa roue a ripé sur la chaussée salie à cet endroit par une fine couche de terre mouillée échappée des travaux de nettoyage du glissement de terrain d’avant-hier. Vraiment pas de chance ! Une dame française qui passait là et plusieurs Balinais accourus à sa rescousse l’aident à se relever et la font asseoir sur les marches d’un restaurant. Alex remet sa moto debout, la gare le long du trottoir, puis oublie ses genoux et son bras écorchés pour ramasser, éparpillés sur la route, le casque et les lunettes cassées de sa copine. La souffrance se lit sur le visage tuméfié de Lucy et sa pâleur nous effraie un peu tous. Tandis qu’un Balinais manipule son pied endolori, un autre fait venir une ambulance qui dépose la blessée… à peine 30 mètres plus loin dans une clinique privée qu’on n’avait même pas remarquée ! Le médecin qui l’ausculte la rassure très vite en affirmant qu’elle n’avait rien de cassé ; nous voilà tous soulagés. Après avoir nettoyé ses plaies et celles de son ami, le docteur propose sagement que l’ambulance emmène Lucy jusqu’à son hôtel, Alex, lui, ramenant tranquillement la moto qui a perdu un clignotant dans l’histoire. Quant à nous, après nous être assurés qu’ils ne manquaient de rien, nous regagnons la guesthouse, bien tristes de terminer ainsi une journée pourtant commencée sous les meilleurs auspices…