Nous sommes debout de bonne heure pour boucler les sacs à temps et manger une soupe avant qu’un tuk-tuk vienne nous chercher à 8 h 30 devant la guesthouse.
Une nouvelle fois, le bus qu’on nous a « vendu » dans l’agence n’a rien d’un VIP. Mais ne crions pas trop fort : les sièges sont corrects et les amortisseurs n’ont pas encore rendu l’âme. Par contre, pour compenser une climatisation absente, le chauffeur laissera la porte avant grande ouverte durant la totalité du trajet. Après celui, enchanteur, qui nous a amenés à Luang Prabang, celui qui nous emmène à Vang Vieng nous parait d’une rare fadeur. Personne ne se cause. Pour couronner le tout, trois Laotiennes vomissent à n’en plus finir. L’assistant du conducteur, heureusement qu’il est là celui-là, n’arrête pas de faire la navette entre leurs sièges et la porte ouverte par laquelle il balance les sacs plastiques qu’elles remplissent à une cadence infernale ! À peu près à mi-parcours, un repas nous est servi dans un restaurant situé près d’un col avec une vue superbe sur les vallées environnantes. Les Laotiennes y retrouvent quelques couleurs.
Le bus nous débarque à 16 heures à la gare routière de Vang Vieng où nous posons les sacs seulement pour la première fois, tant la réputation sulfureuse dont elle souffrait ne nous incitait vraiment pas à nous y arrêter. En 2011, plus de 20 jeunes touristes y ont perdu la vie. Après un nettoyage en règle par les autorités, il y a trois ans, avec la fermeture d’une vingtaine de bars, la chasse aux dealers et aux fonctionnaires corrompus entre autres, elle semble vouloir repartir de l’avant, sans les excès alcooliques et narcotiques qui avaient fini par la ronger. Considéré comme le joyau d’émeraude de l’Asie, ce petit paradis aux paysages somptueux, sorte de mini-baie d’Along terrestre, attire désormais une clientèle plus bobo et beaucoup moins destroy que la précédente. Voilà pourquoi, aujourd’hui, nous n’hésitons plus à y faire halte.
Réservée sur internet, notre chambre au rez-de-chaussée se révèle sinistre avec sa couleur glauque et sa fenêtre presque aveugle. Sympa, le responsable nous en attribue une autre, bien plus claire et située à l’étage. Nous le remercions avant de vite filer vers la rivière coincée au pied des pics karstiques qu’éclabousse la jolie lumière de fin d’après-midi. Je prends quelques photos du cours d’eau et des dizaines de kayaks qui le descendent et décide d’aller un peu plus en amont, vers un petit pont qui semble intéressant. Nous n’avons fait que quelques pas lorsqu’une voix dans notre dos prononce nos deux prénoms. Nasséra et Nabil marchent quelques mètres derrière nous ! Passée la joie des retrouvailles durant laquelle nous découvrons que nous logeons dans le même hôtel, nous prenons ensemble la direction du fameux pont qui enjambe la Nam Song. Très photogénique dans son habit de bois et de bambou, mais étroit et branlant, il constitue un excellent point de repère pour les visiteurs et relie la partie la plus animée de la ville à celle plus calme au pied des falaises. À cette heure de la journée, les voyageurs de tout poil et de tout âge se regroupent sur lesterrasses alignées les unes contre les autres, au ras de l’eau, de chaque côté de la rivière, pour y savourer un Lao-Lao, le fameux mojitolocal, ou une Beerlao, bienvenue après le bain de poussière quotidien, tout en admirant le panorama presque irréel des falaises se découpant sur le ciel rougeoyant. En un mot : ça vaut le déplacement, même si quelques sonos trop fortes viennent ôter un peu de féérie au lieu. Pour ma part, moi qui aime pourtant la musique, j’aurai souhaité un peu moins de vacarme, mais le bruit ne fait-il pas partie de la culture asiatique en général ?
Une fois Nabil et Nasséra rentrés parce qu’ils avaient déjà mangé, nous choisissons pour diner un immense restaurant qui diffuse sans interruption des épisodes de Friends et commandons deux plats, très bien servis. Nous reviendrons demain.
Le matin suivant, le responsable de l’hôtel nous apporte sur la grande table de la terrasse un petit-déjeuner très correct, compris dans le prix de la chambre. Il nous fallait au moins ça pour affronter la journée d’aujourd’hui qui risque d’être longue. Sitôt le café avalé, je pars à la recherche d’une moto. Même si son tarif est moins élevé qu’à Luang Prabang, il l’est tout de même beaucoup plus qu’en Thaïlande. Mais nous voulons découvrir la région, aussi nous est-elle indispensable.
Après l’avoir traversé, sans Chantal qui a préféré descendre de la machine et le franchir à pied, je profite du calme et de la belle lumière matinale pour prendre en photo le célèbre pont de bambou, encore plus joli qu’hier soir. Nous filons ensuite au milieu des falaises jusqu’au piton Pha Ngeun que j’escalade seul. Devant la difficulté, Chantal a préféré faire demi-tour et elle a eu raison : elle n’aurait de toute évidence pas pu passer certains endroits vraiment raides. Une fois là-haut, un panorama presque à 360° s’offre à moi comme récompense à mes efforts. Je récupère pendant une bonne vingtaine de minutes avant d’entamer le chemin du retour. J’ai toujours préféré les montées aux descentes et j’en ai très vite la confirmation. Pourtant équipé de chaussures de sport aux semelles antidérapantes, mon talon glisse sur une roche polie. Je m’affale lourdement sur le côté. J’ai terriblement mal à la fesse droite et mon Nikonque je portais en bandoulière a pris un petit coup ; un de plus, sans conséquence pour cette fois, pour ce compagnon fidèle qui me suit partout. Je lui en fais vraiment voir de toutes les couleurs à celui-là. Mais celui qui va certainement offrir une tout autre teinte d’ici quelques jours est mon postérieur, bien meurtri par la maudite roche acérée sur laquelle je suis tombé. Mais j’aurais pu me faire beaucoup plus mal ailleurs, à des passages encore plus pentus et plus dangereux. Je m’estime donc heureux d’avoir chuté ici. Je termine la descente à ma main, sans prendre de risques inutiles, et retrouve Chantal au pied de la grimpette, assise à l’ombre, en train de lire tranquillement sur son iPad. En lui racontant mon aventure, je lui confirme que son choix de faire demi-tour à la première difficulté avait été plus que judicieux…
Nous poursuivons la balade en moto sur une piste assez belle, mais très poussiéreuse au milieu des magnifiques pitons karstiques qui se dressent partout autour de nous. Nous nous arrêtons très souvent prendre en photo ces montagnes recouvertes de végétation. D’autres fois, ce sont des enfants se rendant à l’école qui nous font stopper, ou un pont de bois que traversent à la queue leu leu des élèves en vélo, ou bien encore un très gros troupeau de vaches qui bloque le passage. Au bout d’une vingtaine de kilomètres, la piste se termine juste après un village et laisse la place à un sentier étroit qui s’enfonce dans la végétation. Nous préférons sagement faire demi-tour. Au désespoir de Chantal, je m’arrête encore plus souvent en chemin tant la lumière de l’après-midi embellit de façon incroyable le paysage que je trouvais pourtant magnifique à l’aller.
Avec toutes ces pauses, il fait déjà nuit lorsque nous nous douchons à l’hôtel avant d’aller diner dans le même restaurant qu’hier. Mais, d’abord, nous prenons tout de même le temps de boire un pot à la terrasse d’une supérette pour fêter le 1955e jour de notre périple, ce chiffre désignant l’année de naissance de Chantal. On célébrera le 1956e, le mien, à Vientiane, car nous partons demain matin en bus pour la capitale.
Que les semaines et les mois passent vite en voyage !