Le bus dans lequel nous prenons place sent le neuf. Les sièges confortables des capsules s’abaissent et se relèvent sans difficulté, les toilettes ressemblent à s’y méprendre à celles d’un Airbus dernière génération et la clim ne congèle personne. En résumé, le véhicule qui nous emmène jusqu’à Ninh Binh surclasse de loin tous les bus dans lesquels nous avons pris place depuis que nous voyageons. Ça fait bien plaisir ! Et, en cours de trajet, aucun problème de changement de roue, de démontage du moteur ou de chargement de bagages. Tant est si bien que le chauffeur nous largue à 4 h du matin sur le bord de la route à l’entrée de Ninh Binh. Nous nous retrouvons ainsi dans la nuit noire et la fraicheur avec une jeune Rennaise de 22 ans. Ce n’était pas franchement prévu comme cela. Tout près, un taxi attend, sûr de notre décision. Et il a raison le bougre ! Nous n’allons tout de même pas poireauter là jusqu’au lever du jour, dans un carrefour perdu au milieu de nulle part ! Résignés, nous montons tous les trois dans sa voiture et fonçons sur Tam Coc à une petite dizaine de kilomètres.
Il nous dépose devant l’hôtel que nous avons réservé simplement à partir de ce soir. Le réceptionniste que nous venons de tirer de son sommeil nous propose la chambre à 5 euros pour le restant de la nuit. À ce tarif-là, on accepte, on dit bonne continuation à la jeune fille dont j’ai oublié le prénom et on monte au sixième se coucher. Nous nous réveillons juste à temps pour profiter du petit-déjeuner. Cela aurait été franchement dommage de rater son buffet varié. Depuis les fenêtres du restaurant situé au septième et dernier étage, Tam Coc et la baie d’Halong terrestre s’offrent à nos yeux.
Repus, nous allons faire un tour dans le village avec des vélos mis à la disposition des clients de l’hôtel. Devant l’embarcadère d’où partent les bateaux vers les pains rocheux, nous assistons au défilé incessant des groupes presque disciplinés qui arrivent de Hanoi pour la journée. Pour l’avoir effectuée il y a presque 20 ans, je dois avouer que la balade vaut le détour. Dans un superbe paysage d’estampe chinoise, la rivière serpente le plus langoureusement du monde au milieu des rizières dominées par de drôles de pitons recouverts de végétation. Féérique et d’une sérénité incroyable ! Même la file ininterrompue des embarcations dont les rameuses manient les avirons avec les pieds ne parvient pas à troubler cette quiétude ! Nous longeons un bon moment la rivière en nous arrêtant souvent prendre des photos. Un temple, comme posé dans ce décor majestueux, s’offre ainsi à notre visite. De nombreux cimetières ponctuent aussi notre parcours. Les tombes étant pour la plupart situées près du cours d’eau, les morts d’ici doivent aimer avoir les pieds mouillés !
En revenant vers le village, nous croisons le chemin qui mène vers Hang Mua, site connu pour sa grotte, mais aussi et surtout pour le panorama qu’on découvre depuis le sommet de son piton rocheux. Pour nous y rendre, nous devons emprunter une piste à la limite du praticable. Je crois que Chantal m’en veut encore de l’avoir fait passer par là. Au bout de quelques kilomètres, nous arrivons enfin sur le site et laissons nos vélos à l’entrée de ce qui est en train de devenir une sorte de parc d’attractions. Nous traversons en premier lieu les jardins d’un hôtel avec balançoire spéciale Facebookou Instagramoù il faut d’abord faire la queue avant de pouvoir se prendre en selfie. Nous évitons donc l’escarpolette, mais je ne peux résister à l’envie de gravir l’échelle qui mène à une plateforme de bambou nichée dans un arbre. On n’a pas forcément l’âge de ses artères ! Après la visite d’une minuscule grotte au pied de l’escalier, nous attaquons les premières des 500 marches qui montent jusqu’au belvédère. Pour aller photographier un pagodon en haut de l’un des pics, je laisse Chantal souffler au bas de ce second escalier. Avant d’entamer ma prise de vue, je dois d’abord bouillir plusieurs minutes en attendant qu’une pin-up asiatique en termine avec ses selfies. Elle a apparemment beaucoup de mal, car elle recommence ses mimiques un paquet de fois. Elle laisse enfin sa place à d’autres. J’avoue avoir joué un peu des coudes pour me faire la mienne. J’y suis tout de même arrivé ! D’ici, le panorama sur la vallée est déjà fabuleux. Qu’en sera-t-il tout à l’heure au sommet du plus haut ?
Ma série terminée, je redescends rejoindre Chantal que je trouve en pleine discussion avec un couple de jeunes Français. Je reconnais leurs visages, mais, sur l’instant, ne me rappelle pas où nous les avons rencontrés. Pas étonnant venant de ma part, dois-je dire, j’ai l’habitude ! Me voyant embarrassé, Chantal accourt à mon secours et me présente Margot et Jean-Ba, nos voisins de chambre de Koh Lanta à qui nous avons donné quelques bouquins avant de quitter l’ile. Je crois me souvenir de leurs prénoms, mais n’en suis pas certain à 100 %. Ils me pardonneront ! Tout contents de nous retrouver, nous parlons tant que nous ne nous apercevons même pas gravir les dernières volées de marches qui débouchent sur le belvédère ! À peine essoufflés, nous admirons le paysage qui s’étend à nos pieds. Et quelle vue, les amis ! Nous sommes cernés de toutes parts par les pics karstiques encapuchonnés de végétation. Au pied de ceux-ci s’étalent les rizières, elles-mêmes sillonnées par la rivière aux courbes harmonieuses sur laquelle on devine la file des embarcations de touristes. Et le soleil qui décline magnifie encore plus, si c’est possible, la splendeur de la vision. Cela ne nous empêche pas de continuer à tailler la bavette avec nos copains voyageurs. Comme nous, ils traversent eux aussi de jolies régions, de beaux pays et nous avons plein de choses à nous raconter. Tout en discutant, nous redescendons tranquillement sur terre. Et même sous terre, puisque nous allons nous rafraichir les pieds en marchant dans la rivière souterraine de la fameuse grotte Hang Mua. Quand je dis nous, il faut bien évidemment comprendre nous, les garçons ! Les filles ont préféré nous attendre les petons bien au sec ! Bref, le soir approche. Nous nous souhaitons plein de bonnes choses pour la suite et remontons sur nos engins respectifs : les jeunes sur leur moto, les vieux sur leurs biclous. Le monde est beaucoup trop inzuste !
Pour clôturer cette journée de belle manière, nous allons boire une bière dans le bar branché juste à côté de l’hôtel qui a ouvert il y a moins de trois mois et où les places portant nombreuses sont prises d’assaut par les jeunes et moins jeunes venus de tous les coins du monde. L’ambiance très sympa et la bonne bière pression nous décident à tenter la nourriture. Très corrects pour le prix, nos plats nous remplissent la panse sans pour cela nous transporter au firmament de la gastronomie. Mais ce n’est pas ce qu’on recherche en premier lieu dans ce genre d’endroit plutôt avenant. Nous y reviendrons d’ailleurs tous les soirs.
Après un petit-déjeuner copieux dévoré au buffet du dernier étage, nous remontons sur les vélos pour prendre la direction de la pagode Bich Dong. En chemin, nous tombons sur un embarcadère plus petit et bien moins fréquenté que celui de Tam Coc. Encore une fois, nous décidons de suivre la rivière. Comme hier, les berges semblent avoir rassemblé tous les nids-de-poule et de dinosaure de la région. Qu’à cela ne tienne ! Mon épouse reconnaissante s’accroche derrière… en râlant tout de même un peu. Elle ne serait plus tout à fait Chantal si elle se corrigeait ! Lors de nos fréquentes haltes, nous nous régalons du spectacle que nous offre la forêt de pains de sucre qui s’étend devant nous. Avec le ciel couvert d’aujourd’hui, il paraît encore plus grandiose. Le doigt rivé sur le déclencheur, je ne cesse de m’ébahir. Il y a tellement de trucs intéressants photographiquement que j’ai beaucoup de mal à faire le tri. Je ne choisis d’ailleurs pas et prends tout ce qui se présente. Même si je jetterai beaucoup de clichés à la corbeille au moment du visionnage, j’en réussis quelques-uns qui me plaisent vraiment bien et que je garderai bien précieusement sur un disque dur. Chose qui devient malheureusement de plus en plus rare dans ma production… Mais aujourd’hui, je suis content. Chantal aussi, d’ailleurs ! Le sourire aux lèvres, nous poursuivons la promenade en nous éloignant du cours d’eau pour faire le tour d’un gros piton rocheux. Nous retrouvons peu après la route que nous avions délaissée tout à l’heure au niveau de l’embarcadère devant lequel nous passons une nouvelle fois. Une nuée de femmes, d’hommes se met en travers de notre chemin peu avant d’arriver à la pagode Bich Dong. Tous veulent nous proposer leur parking pour nos vélos. Têtu, je fais demi-tour et vais ranger les bécanes le long d’un mur à quelques centaines de mètres de là.
L’entrée du site, souvent représentée sur les photos, mérite certainement le coup d’œil, mais lorsque nous y arrivons, des bus sont en train de récupérer leur cargaison de Chinois en vadrouille. Ceux-ci ressortent du sanctuaire par paquets de vingt pour s’engouffrer dans le ventre un peu cabossé des véhicules. Heureusement, nous avons le temps et attendons que tout ce petit monde soit reparti pour prendre une photo sympa du portique. Après l’avoir franchi à notre tour, nous grimpons les escaliers à flanc de colline pour découvrir les trois étages de croquignolettes pagodes noyées dans la végétation ou creusées dans le rocher. Après la visite, nous regagnons tranquillement le village et notre chambre faire le tri dans tous les clichés que nous avons pris depuis ce matin. Cela risque d’être long en ce qui me concerne…
Je suis aidé en cela le lendemain par une météo qui a radicalement changé. Oublié le ciel bleu ! Place au brouillard et à la fraicheur ! Pour la photo, c’est fichu ! Je décide donc de rester à l’hôtel griffonner mon journal et rattraper un peu le retard que je suis en train de prendre. Pendant ce temps, Chantal s’en va faire le tour des agences pour acheter les places de bus pour Hanoi qu’on doit rejoindre dans quelques jours. Aujourd’hui, je fête le premier anniversaire de mon appareil Sony. J’ai appuyé 36 000 fois sur son bouton cette année, ce qui fait une centaine de déclenchements quotidiens. Sincèrement, je pensais un peu plus, mais les trois mois passés en France l’été dernier ont sérieusement fait chuter la moyenne. Même s’il est moins fringant que mon ancien Nikon, j’en suis globalement satisfait. En guise de remerciement pour son travail, je m’offre un mojito en plus de ma bière apéritive. Il y a des soirs comme ça !
Le temps semble empirer. Lorsque nous ouvrons un œil le matin du dernier jour, un brouillard épais nous empêche d’apercevoir les montagnes depuis notre fenêtre. Déception ! Il nous restait au moins un site important à visiter et vu la météo ce ne sera pas pour aujourd’hui. Nous devrons donc revenir ici pour combler cette lacune ! Résigné, je poursuis le rattrapage de mon retard. Chose accomplie le soir même après une longue et épuisante journée d’écriture. Cela faisait un certain temps que cela ne m’était pas arrivé. De bonne humeur, nous allons siffler une pinte d’excellente bière pression locale au bar où désormais tout le personnel nous reconnait. Entre les serveuses, le barman, la mamie, sa sœur, le cadet, sa femme, l’ainé et les enfants qui nous amènent nos assiettes, cela fait du monde ! Hormis les deux frères qui semblent mener l’affaire, personne ne parle anglais, ce qui crée parfois des situations cocasses avec des clients qui n’arrivent pas à se faire comprendre et se font servir des trucs qu’ils n’avaient pas commandés. Mais la gentillesse de cette famille locale gomme à elle seule toutes leurs petites erreurs. C’est pour ça qu’on aime bien y revenir. Ce soir encore, il ne reste aucune table de libre…
Au petit-déjeuner du dernier matin, l’adorable serveuse Thām nous demande la permission de se prendre en photo avec nous. Elle non plus ne parle pas un mot d’anglais, mais s’occupe malgré tout d’étrangers tous les jours. Incroyable ! Nous nous expliquons par gestes, parce que le traducteur de nos iPad affiche des phrases tellement bizarres qu’elles en deviennent totalement incompréhensibles. Dans le sens vietnamien-français, les informaticiens ont encore du boulot sur la planche !
Nous garderons un souvenir excellent de ce bel endroit, aussi bien pour ses paysages fantastiques que pour les personnes rencontrées au cours de ce bref séjour, qu’elles soient autochtones ou étrangères…