Le chauffeur de taxi qui nous emmène à la gare routière de Kashan s’adresse à nous de manière très sérieuse, mais nous fait pourtant bien rire. Au passage devant une mosquée, il invective les imams et les « barbus » en traçant des cercles au-dessus de la tête et se tirant sur le menton. Bien qu’il ne parle pas un mot d’anglais, nous le comprenons. En se pointant du doigt, il se met à pleurer, puis à rire et à danser sur son siège en nous désignant. Il continue son argumentation en s’apitoyant sur son cas une nouvelle fois, puis en mimant l’ouverture et la descente d’une bouteille lorsqu’il prononce le mot « France ». Nous devinons sa pensée immédiatement. Au cours de notre séjour, nous en avons rencontré beaucoup qui, comme lui, n’ont pas hésité un seul instant à se confier à nous. En fait, je présume même qu’ils sont assez nombreux, mais la peur des représailles anéantit presque à coup sûr leur envie de le crier au monde. Par ces mots, je me sens un peu leur interprète.
Nous retrouvons une chambre identique à celle que nous occupions il y a un mois, lors de notre arrivée à Téhéran, mais un étage en dessous cette fois. De celle-ci, nous captons bien mieux le Wifi et le soleil se cache plus vite derrière l’immeuble d’en face. De ce fait, il y fait aussi un peu moins chaud ; la climatisation faiblarde peine pour maintenir la température de la pièce acceptable.
Dans une rue piétonne assez large, les magasins de chaussures pour femmes se succèdent sans interruption des deux côtés sur plusieurs centaines de mètres. De temps en temps seulement, l’un d’entre eux en propose aussi pour les hommes ; juste retour des choses puisque les boutiques de vêtements masculins sont omniprésentes et celles pour femmes très rares. Par contre, comme pour les chaussures, les bijouteries et les parfumeries pullulent. La gent féminine s’y engouffre parfois par groupes de trois ou quatre pour en ressortir à coup sûr des paquets à la main ! Dans ce pays où les filles ne peuvent montrer que leur visage, la rhinoplastie est devenue sport national. L’Iran connaît le taux de chirurgie esthétique nasale le plus élevé du monde. Un phénomène qui frôle l’épidémie. Partout, nous croisons des jeunes femmes et quelquefois de jeunes hommes avec le museau recouvert d’un joli pansement qui annonce leur nouveau look. Le nez iranien, légèrement busqué, serait-il en train de disparaître ? Vu leur engouement pour cette intervention, on peut se poser la question, car le résultat final semble les satisfaire pleinement. Pour ma part, j’ai rarement visité un pays avec autant de jolies femmes et je pense que le nez n’y est pourtant pas pour grand-chose : ce sont plutôt leur sourire quasi permanent et leurs grands yeux rieurs qui m’émoustillent ! Elles sont vraiment belles, ces Iraniennes…
Sur ces considérations, une crampe à l’estomac me rappelle qu’en cette période de ramadan les restaurants n’ouvriront qu’après le coucher du soleil vers 20 h 30, c’est-à-dire dans une heure et demie. Nous trainons tranquillement sur le trottoir lorsqu’un monsieur nous interpelle en nous désignant sa cantine close, mais nous fait comprendre qu’il peut tout de même nous servir. Nous acceptons son offre. Pour nous laisser entrer, il relève le fameux rideau, puis le referme aussitôt. La délation existe encore. Dans la vitrine réfrigérée, nous choisissons de la viande hachée enroulée sur un pic métallique, des brochettes de poulet, d’autres de tomates et poivrons que le brave homme met sur le gril qu’il vient d’allumer pour nous. Quelques minutes plus tard, il dépose sur la table deux grandes assiettes et une quantité de galettes de pain impressionnante. Lorsqu’il relève le store pour nous laisser partir, je lis dans ses yeux la fierté d’avoir bravé, comme beaucoup d’autres, les interdits. Nous le remercions chaudement.
Notre dernière journée dans ce fabuleux pays qu’est l’Iran débute par une nouvelle balade dans l’immense bazar. Dans le quartier des bijoux fantaisie et de la pacotille, j’achète au détail, dans une boutique en gros, des perles pour les bracelets que je ne cesse de renouveler à mes poignets ; me voilà content. Nous trainons autour de la Mosquée de l’Imam Khomeini jusqu’au début de l’après-midi avant de nous rendre dans les coffres de la Banque centrale d’Iran au Musée des Joyaux de la Couronne Iranienne, l’une des collections de joaillerie les plus importantes, les plus grandes et les plus diversifiées au monde. Pour entrer dans les salles aux murs incroyablement épais, nous devons montrer patte blanche plusieurs fois. Mais on oublie très vite ces petits tracas une fois à l’intérieur. L’or et les pierres précieuses règnent en maître et tous les joyaux rivalisent de magnificence. Des pièces uniques sont exposées dans les vitrines que les très nombreux gardiens nous empêchent de toucher. Pour moi, le globe terrestre impressionnant avec ses 35 kilos d’or, et ses 51 000 pierres, essentiellement rubis, émeraudes et diamants remporte la palme. Chantal penche plutôt pour le trône Naderi et la couronne portée par l’impératrice Farah Diba lors de son sacre en 1967. Ces trésors ont été en partie utilisés par le dernier shah d’Iran, Mohammad Reza Pahlavi, au cours de cérémonies officielles et de visites d’État. Éblouis par tant de richesses, nous devons pourtant vite revenir sur terre une fois dehors : faisant suite à la fraicheur de la salle forte climatisée, une chaleur accablante nous saisit et nous oblige à éviter le soleil par tous les moyens. Le thermomètre indique 45° à l’abri ! Il fera meilleur en France demain !
Pour l’instant, nous retournons à l’hôtel chercher nos bagages qu’on a laissés dans une petite pièce qui sert de consigne. Là, nous tombons sur le Chinois de Hong Kong que nous avions rencontré ici même le premier jour de notre séjour et qui nous explique comment nous rendre à l’aéroport autrement qu’en taxi et pour bien moins cher. Nous allons donc suivre ses conseils.
Après avoir salué nos hôtes, nous prenons une dernière fois le métro avant de monter dans un minibus qui nous dépose juste devant l’aéroport. Au lieu des 750 000 rials qu’on avait payés lors de notre arrivée, les 50 kilomètres du retour ne nous coûtent que 128 000 rials, soit 3,40 euros pour nous deux. Bien joué !
En premier, nous garderons un souvenir impérissable de l’accueil et de la générosité de la population iranienne. Nous pensions les Birmans, les Malais ou les Balinais imbattables en la matière, mais les Iraniens les ont tous dépassés et s’installent sur la plus haute marche du podium d’où ils auront beaucoup de mal à être délogés. Ce n’est que notre jugement, mais les rares voyageurs rencontrés pensent la même chose… De son côté, Chantal se rappellera longtemps des hommes qui lui ont toujours laissé leur place dans le métro et de ceux qui l’ont immanquablement aidée à porter ses bagages dans les escaliers des gares. Nous nous souviendrons aussi des pains, gâteaux, bonbons, concombres, bols de dessert, thés, pastèques ou bien des billets de transport que les gens nous ont offerts.
Merci à vous, les Iraniens, nous reviendrons certainement un jour vous saluer, vous le méritez…