Lorsque nous sommes arrivés à la Réunion, le Piton de la Fournaise était en éruption pour la quatrième fois de l’année. L’est-il encore aujourd’hui ? Nous allons bientôt le savoir. Il est 5 heures quand nous mettons le cap sur l’un des volcans les plus actifs de la planète. Notre surprise est grande lorsqu’en cette heure matinale nous croisons un interminable bouchon sur la quatre-voies qui mène à Saint-Denis, au nord. Nous nous dirigeons heureusement vers le sud, mais plaignons encore une fois les pauvres qui se rendent à leur travail dans cette partie de l’ile. Le GPS que nous suivons à la lettre nous fait emprunter une route d’une étroitesse impensable. Même si les paysages traversés sont magnifiques, j’ai une trouille bleue d’à nouveau devoir croiser un engin agricole. Mais tout se passe pour le mieux et après quelques kilomètres de stress nous retrouvons avec une joie non feinte la voie principale que nous n’aurions jamais dû quitter et qui doit nous mener jusqu’au fameux piton. Avec l’altitude, la végétation se raréfie et laisse la place au minéral à dominante rouge. Nous nous arrêtons la voiture près du cratère Commerson célèbre pour son belvédère qui surplombe la bouche béante d’une profondeur de 235 mètres pour un diamètre de 200 mètres. Le point de vue sur l’ile que l’on a depuis le point culminant de la crête vaut également le coup d’œil. Le temps magnifique nous permet de reconnaitre plusieurs endroits que nous avons déjà visités. Nous nous en mettons vraiment plein les mirettes.
Mais ce n’est rien à côté du paysage encore plus impressionnant qui nous attend quelques kilomètres plus loin. Sans exagérer, il entre même de plain-pied dans le Top Tenmondial des lieux naturels qui nous ont le plus émerveillés. Dans un décor absolument lunaire, la Plaine des Sables, nue et couverte de scories, s’étend en effet à nos pieds. Perchés en haut de la falaise qui la domine et un peu sonnés par tant de beauté, nous apercevons à son extrémité une mer de nuages en train de se constituer et qui l’investira d’ici une à deux heures. Nous nous frottons les yeux pour nous persuader que nous ne rêvons pas. Il est des fois où s’arracher d’un endroit se révèle douloureux. Celui d’aujourd’hui en fait partie. Difficile de remonter dans la voiture et remettre le contact. Mais dès le premier virage, le paysage qui pourrait facilement servir de décor naturel aux productions cinématographiques de science-fiction réapparait. Une descente aux lacets resserrés laisse brutalement place à une piste poussiéreuse et défoncée qui nous amène au cœur même du néant minéral rouge et noir. Les ultimes kilomètres truffés de gros nids de poule nous mènent au Pas de Bellecombe à 2 311 mètres d’altitude. Nous y admirons le fameux Piton de la Fournaise et le non moins célèbre Enclos Fouqué en forme de fer à cheval de 9 kilomètres de large sur 13 de long. Derrière le pic, un panache de fumée attire les regards. C’est là que nous souhaitons nous rendre. Après renseignements, nous redescendons de deux ou trois kilomètres avant de nous garer sur un grand parking aménagé.
Armés de nos bâtons, nous entamons une petite randonnée sur la crête de la caldeira qui mène au Piton de Bert d’où la vue sur l’éruption serait la meilleure. Au bout d’une heure de marche, Chantal préfère me laisser continuer seul. Un orteil blessé et un genou récalcitrant ont raison de sa volonté. En compagnie d’un monsieur, elle s’en retourne tranquillement vers la voiture alors que j’entame une petite montée qui tiraille les mollets.
J’arrive enfin au but et juste devant moi un cône nouvellement apparu laisse échapper de grosses volutes de fumée. De jolies jeunes Réunionnaises m’apprennent que la coulée de lave semble s’être interrompue la veille ; dommage pour moi, mais le spectacle de cette vapeur montant au ciel me comble déjà. Après avoir pris une série de photos pour immortaliser la scène, je retourne d’un bon pas rejoindre Chantal. Cette petite marche d’une dizaine de kilomètres à plus de 2 300 mètres m’a complètement desséché la bouche. Dommage qu’on ait oublié notre bouteille dans la chambre !Il nous faudra attendre le premier village pour acheter de la Bagatelle, une eau minérale locale. Mais, auparavant, nous ne résistons pas à l’envie de contempler une dernière fois la fameuse Plaine des Sables depuis le belvédère aménagé qui la domine. Il est 14 heures et les premiers nuages commencent à l’envahir. Pendant la descente, nous rencontrons d’ailleurs un épais brouillard durant quelques kilomètres d’une route très sinueuse et non balisée. Pas forcément très rassurant, vu la profondeur des fossés ! Un couple de z’oreillesvient d’en faire les frais ; leur voiture de location git couchée sur le côté, les deux roues droites pendant dans la douve. J’espère qu’ils n’ont pas fait comme nous et qu’ils ont pris l’assurance supplémentaire qui rembourse la franchise. Autrement, ils en seront pour 800 euros de leur poche, en plus de la location. Je redouble d’attention. Pas envie de gâcher une journée comme aujourd’hui !…
Après cette fabuleuse matinée qui restera dans les annales, nous prenons la direction de Saint-Gilles-les-Hauts ou, plus exactement, celle du musée de Villèle. Cette belle demeure rappelle l’histoire glorieuse de la colonisation de la Réunion, mais aussi son côté le plus abject avec l’esclavagisme. Tout évoque ici Ombline Desbassayns, femme d’affaire et de caractère, qui fit fortune dans la canne à sucre. Sa cruauté envers les esclaves est à l’origine de nombreuses légendes, mais c’est elle qui ordonna pour eux la construction d’une école, d’une chapelle et d’un hôpital. Le guide qui nous promène à travers les pièces donne d’ailleurs l’impression de lui vouer un certain respect en reprenant assez vertement une jeune visiteuse qui la bafouait devant lui. À cause d’elle, nous préférons continuer seuls. Après avoir fait le tour du parc, nous nous rendons de l’autre côté de la route à la fameuse Chapelle Pointue qui doit son nom à sa curieuse toiture. La pierre tombale d’Ombline Desbassyns s’y trouve.
Pour terminer la journée en beauté, nous allons assister au coucher du soleil sur la plage de l’Hermitage. Il était vraiment temps que nous arrivions, car le disque est en train de se poser sur l’horizon dans un camaïeu de rouges et d’orange du plus bel effet. Au loin, la voile d’un bateau semble danser sur l’eau…
Sandrine et Yvan à qui nous avons donné rendez-vous nous rejoignent quelques instants plus tard. Nous les emmenons diner dans un restaurant tout proche qu’ils affectionnent particulièrement. Comme eux, nous pensons que le buffet proposé ne mérite que des éloges. Nous y retournons d’ailleurs plusieurs fois ! Comme dirait notre petit-fils Octave : « C’est délicieux, je me régale. »
Des trois cirques de l’ile, il ne nous reste que Cilaos où aller trainer les pieds. Et comme les matinées sont toujours plus dégagées que les après-midi, nous partons une fois de plus aux aurores et croisons comme à l’accoutumée le perpétuel bouchon des gens qui vont à Saint-Denis. Les superlatifs semblent encore être au rendez-vous aujourd’hui, la route menant de Saint-Louis à Cilaos étant surnommée la Route aux 420 virages. Une anecdote rigolote : les ingénieurs réunionnais qui l’ont construite en 1932 n’avaient pas tout le matériel moderne de l’époque et se sont un peu plantés dans leurs calculs. Ainsi, au détour d’une percée effectuée par une première équipe, la chaussée fait une boucle surprenante pratiquement au-dessus du vide pour, en fait, repasser sous elle et rattraper de cette façon le tracé d’un second groupe situé quelques dizaines de mètres trop bas. Tout en épousant les contours des montagnes, la route se faufile entre les falaises et les gorges profondes recouvertes de végétation. Au détour d’un virage ou d’un tunnel à voie unique, les somptueux paysages nous éblouissent et après 38 kilomètres d’épingles et de tournants incessants, nous pénétrons dans le village de Cilaos. Lorsque nous sortons de la voiture, nous avons tous les deux l’impression bizarre d’avoir le mal de mer. Les montagnes environnantes semblent se dandiner ! Et on vous jure que ce n’est pas la faute du vin local qui est fabriqué ici !
Après une promenade dans le village somme toute assez banal, nous remontons dans la voiture et prenons, sur les conseils avisés d’Ivan, la direction de l’Ilet-à-Cordes situé à une douzaine de kilomètres par la route, mais seulement trois ou quatre à vol d’oiseau. Comme si nous n’en avions pas assez, nous tombons sur les premières épingles dès la dernière maison du village passée. La pente est telle que j’en prends plusieurs en première en priant pour que personne n’arrive en face. Mes vœux exaucés, nous pouvons continuer dans le décor incroyable qui s’offre à nous. Les arrêts photo se multiplient tout au long du parcours jusqu’à l’ilet. Là, nous tombons sur une scène paysanne où un couple enfourne une sorte d’herbe sèche dans une batteuse. Ils nous apprennent en fait qu’il s’agit de lentilles, l’autre spécialité de la vallée. Les graines, plus petites que celles que nous connaissons en métropole, tombent dans un seau placé sous la machine. Ravis de nous être instruits, nous reprenons le chemin du retour vers Saint-Louis : 50 kilomètres de virages incessants nous attendent !
Nous rentrons vers 15 heures à La Possession. J’en profite pour rattraper le retard que j’ai dans le tri dans mes photos. Chantal va bouquiner dans le canapé sous la véranda. Pour ce soir, après la Dodo devenue incontournable, Sandrine a préparé du bon poulet boucané.
Aujourd’hui, samedi, Ivan et Sandrine nous font découvrir l’autre marché réputé de la Réunion : celui de Saint-Pierre. Moins touristique, mais, nous semble-t-il, plus conséquent que celui de Saint-Paul, nous le trouvons surtout mieux achalandé. Nous y achetons un gros radis noir pour l’apéro, des tangors(variété d’agrumes entre la mandarine et l’orange) pour le jus du matin et des fleurs pour Frédérique et Ludovic, la belle-sœur et le frère d’Ivan, qui nous reçoivent chez eux ce midi. Prof de sport, Ludovic s’entraine ferme pour la Diagonale des fous qui a lieu dans deux semaines. Il espère faire mieux que l’année dernière où il avait dû abandonner, laissant Frédérique terminer seule cette épreuve invraisemblable. Le Grand Raid,avec ses 164 kilomètres et ses 9 960 mètres de dénivelé positif, fait indéniablement partie des trails les plus difficiles au monde. Les meilleurs athlètes mettront moins de 24 heures pour effectuer le parcours qui traverse l’ile dans sa longueur ! Et quand on connait un peu les sentiers qu’ils emprunteront, ça laisse songeur. Ludovic se prépare depuis le début de l’année pour le Trail de Bourbonqui pourrait presque faire figure de parent pauvre avec ses 111 kilomètres et 6 430 mètres de dénivelé ! Quant à Frédérique, un brin envieuse de son mari, elle ne prendra pas part à la Mascareignes, la moins longue des trois épreuves avec ses 65 kilomètres et ses 3 505 mètres de dénivelé. Elle a en effet promis à ses enfants de ne plus jamais la courir étant arrivée à la limite de ses forces l’année dernière. Nos amis nous ont présentés à eux pour qu’ils nous donnent des tuyaux sur notre prochaine destination, Madagascar, qu’ils connaissent bien. Nous écoutons leurs conseils en étant certains qu’ils nous serviront. Au terme d’un copieux repas où le rougail-saucisse a succédé à la verrine de betterave et précédé un coulant au chocolat à tomber par terre, nous reprenons, repus, le chemin du retour. Tandis que Sandrine et Ivan filent chez eux, nous faisons une halte à Étang-Salé, charmant village de pêcheurs qu’une vaste plage de sable noir vient agrémenter. L’anse, en partie protégée par une barrière de corail, accueille quelques baigneurs et surfeurs téméraires qui veulent « oublier » la présence des requins, pourtant féroces ici. En cette journée de week-end, beaucoup de jeunes ont investi les lieux. À l’ombre d’un gros arbre, un groupe de danseurs s’adonne à la batay kréol, aussi nommée moringue. Au son des percussions, cet art guerrier met en scène des pugilistes dont certains gestes rappellent sous certains côtés la lutte bretonne et la technique malgache du combat à mains nues. Nous assistons à ce surprenant spectacle le temps de quelques danses avant d’aller piquer un petit roupillon sur nos serviettes. Après cette sieste, certes réparatrice, mais non prévue, nous regagnons tranquillement nos pénates par la route côtière.
Pour notre dernière longue balade, nous entreprenons un tour complet de l’ile en longeant le littoral. Aujourd’hui dimanche, les bouchons n’ont pas lieu d’être et nous traversons Saint-Denis sans aucun souci. Nous effectuons notre première halte à Takamaka où une végétation vraiment dense recouvre les montagnes alentour. Les climatologues affirment que le site serait l’un des endroits les plus arrosés au monde. Nous avons de la chance, pour l’instant le soleil brille dans un ciel limpide. Le ballet incessant des hélicoptères, au-dessus de nos têtes et sous nos pieds (!), nous impressionne vraiment. Promenant des touristes fortunés, certains de leurs pilotes s’aventurent loin dans les gorges profondes et passent alors au ras des parois. J’imagine qu’ils doivent pourtant respecter les règles de sécurité imposées dans ce type de vol. Mais, du belvédère où nous sommes postés, l’effet visuel est saisissant. Pour une fois, je préfère être à ma place plutôt qu’à la leur ! Je ne parle même pas de Chantal qui ose à peine leur jeter un œil !
Nous effectuons notre seconde halte à Piton-Sainte-Rose où l’église, certainement la plus photographiée de l’ile et que toute personne passant par là ne peut louper, est littéralement prise dans la lave refroidie de l’éruption de 1977. Elle a d’ailleurs été depuis rebaptisée Notre-Dame-des-Laves ; on comprend pourquoi dès le premier coup d’œil. La coulée incandescente s’est arrêtée juste à sa hauteur, mais en a tout de même en partie détruit l’intérieur par l’incendie qu’elle a déclenché. Aujourd’hui rénovée, ses couleurs pastel tranchent de jolie manière avec le noir de la roche volcanique. Plus loin, l’Anse des Cascades cernée d’une muraille de pitons recouverts de végétation d’où coulent en filets de hautes cascades abrite une adorable forêt de palmistes et quelques barques de pêcheurs posées sur d’énormes galets volcaniques. En ce dimanche, toutes les tables de pique-nique protégées du soleil sont occupées par des familles entières regroupées autour de barbecues permanents construits à leur intention. Parfois, le vacarme un peu trop fort d’une sono portative vient troubler la quiétude de l’endroit.
Nous poursuivons la promenade automobile le long de la Route des Laves, ainsi appelée parce qu’elle traverse des coulées allées se jeter dans la mer. Malgré leur largeur, celles de 1986, 1998, 2001, 2002, 2004 ou 2006 ne rivalisent pas avec la plus impressionnante, celle de 2007. Cette année-là, en avril, toute l’artillerie de La Fournaise était au rendez-vous : fontaines de lave de 200 mètres de haut, pluies acides, explosions, coulées de roche en fusion et effondrement du Dolomieu entre autres. Il en résulte aujourd’hui un vaste couloir façonné par la lave qui se jette dans la mer au niveau d’une plage de sable noir née à cette occasion. Fascinant ! Malheureusement de vilains nuages se sont amoncelés de ce côté du volcan et une pluie fine commence à tomber. Assez pour nous obliger à nous réfugier dans la voiture et continuer notre route vers Saint-Philippe. L’averse qui cesse nous autorise à nous arrêter au Puits Arabe de Saint-Philippe, lieu de pique-nique en bordure de mer très fréquenté en ce dimanche et territoire du vacoa, arbre aux racines aériennes très répandu dans le coin. Plus loin, le petit port de Langevin me permet de prendre quelques photos au résultat bien triste sous cette lumière terne. La météo n’évoluant pas dans le bon sens et la pluie redoublant, nous abandonnons le projet de nous rendre à la cascade de Grand-Galet et choisissons de rentrer à La Possession où nous retrouvons une Sandrine fiévreuse et en toute petite forme.
Nous passons notre dernière journée sur la plage de l’Hermitage, celle que nous avons préférée à la Réunion. À l’écart de la foule et protégée par une barrière de corail, elle permet une baignade sans risque. J’en profite pour piquer des têtes dans une eau, certes plus chaude que la Manche, mais nettement moins que l’Océan Indien à Bali. En rentrant en fin d’après-midi, nous retrouvons une Sandrine bien malade. Heureusement, avant d’arriver, nous avons pensé à acheter une barquette de cari de poulet et une autre de poisson. Cela devrait suffire à satisfaire nos appétits, même ceux d’Ivan et de Lucas !
Notre passage à La Réunion s’achève déjà. Demain, nous nous envolons pour Tananarive. Tout est allé beaucoup trop vite ! J’ai malgré tout l’impression que nous aurons désormais une vision de l’ile et de sa population assez réaliste. Ivan et Sandrine ont vraiment tout fait pour nous rendre le séjour le plus agréable possible. Nous ne les remercierons jamais assez.
Après avoir restitué le Renault Capturà l’agence Rent@carde Sainte-Marie, une navette gratuite nous dépose quelques instants plus tard devant la porte des départs de l’aéroport Roland Garros…
Toutes les bonnes choses ont une fin !…