Pas de chance ! Deux motos-taxis viennent nous chercher à l’hôtel pour nous emmener prendre le bus quelques rues plus loin. La taille de nos sacs rend la tâche impossible. Du moins, Chantal le pense-t-elle, elle qui refuse de grimper derrière la jolie conductrice. De mauvaise grâce, je me résigne donc à marcher jusque là-bas moi aussi ! De toute manière, mon pilote n’était pas terrible, même s’il était souriant ! Une vingtaine de minutes plus tard, nous nous glissons chacun dans l’étroit siège-couchette-capsule qu’on nous attribue. Je déteste particulièrement ce genre de fauteuil, d’autant plus que, ce matin, le véhicule ne vient à l’évidence pas de sortir de l’usine. Beaucoup sont défoncés ou ne se relèvent pas et restent en position allongée. J’en dégote un qui fonctionne à peu près, assez proche de Chantal qui a l’air de se satisfaire du sien. On ne va tout de même pas pleurer ; nous n’avons que 124 kilomètres à parcourir. N’empêche que nous mettons quatre heures pour effectuer le trajet, avec un arrêt à mi-chemin dans une bicoque sordide où un simple café local coûte aussi cher qu’un bon expresso à Paris !
À peine débarqués du bus, nous prenons à pied la direction de notre hôtel déjà réservé. Un taxi nous apercevant partir nous rattrape et nous fait signe de monter. Je sais que nous avons environ deux kilomètres à effectuer et connais le prix d’une telle course. Le chauffeur met son compteur en route lorsqu’il redémarre et nous dépose à l’entrée de l’établissement. Son appareil indique 29,5 (en fait, 29 500 dongs, mais ça, je le sais). Quand il aperçoit le billet de 50 000 dongsque je lui tends, le conducteur me regarde droit dans les yeux avec un sourire un peu narquois et me pointe du doigt le montant affiché. 2-9-5 m’épèle-t-il, en omettant bien évidemment la virgule ! Ben voyons ! Dix fois le prix indiqué soit 11,30 euros au lieu de 1,13 euro ! Là encore, on a l’air de confondre trop facilement les coûts d’un village vietnamien avec ceux d’une ville européenne ! Après dix bonnes minutes d’une tractation terminée dans la réception de l’hôtel, je ne règle que mon dû… À son grand désappointement. Il a tenté avec nous, mais a perdu. Et dire qu’il gagne certainement quelques fois avec d’autres ! Ça laisse songeur sur la nouvelle mentalité des Vietnamiens dans les endroits touristiques…
Ça n’annonce pas forcément que des bonnes choses ici à Hoi An…
Pour oublier l’incident et retrouver notre calme, nous partons en ville aussitôt les bagages arrivés dans la chambre. Nous avons hâte de revoir ce ravissant petit port qui nous avait tant charmés lors de nos différents passages…
En cet après-midi chaud et ensoleillé, une foule considérable d’Asiatiques à laquelle on ne s’attendait pas encombre les rues de la partie ancienne et s’entasse sur les quais devant les barques bardées de lanternes. Les files incessantes de vélos-pousses parviennent avec difficulté à se frayer un chemin au milieu des reines du selfie qui posent n’importe où. On nage en plein délire ! On peut à peine approcher du Pont Japonais, le symbole de Hoi An. On se croirait au Mont-Saint-Michel un jour de Pâques ou du 15 août ! Un peu secoués, dans tous les sens du terme, nous laissons tomber et partons trainer sur la petite ile de l’autre côté de la rivière. La foule y est malgré tout moins dense, même si nous avons dû jouer des coudes pour traverser le pont qui y mène. Le restaurant où nous venions diner a disparu, mais la même famille y tient désormais un commerce spécialisé dans les fruits et en particulier le durian. Nous y reconnaissons la patronne qui nous aimait bien et qui a pris un certain embonpoint. Elle avait soigné la lèvre gercée de Chantal avec du miel. Elle nous accueille chaleureusement à l’intérieur de sa boutique puis, ne perdant pas le nord, nous propose presque aussitôt les services de taxi de son gendre ! Nous la quittons un peu déçus…
Pour notre bière apéritive, nous nous installons sur les quais à la terrasse d’un bar déjà présent lors de notre premier passage. Le même patron, qui doit avoir aujourd’hui près de 70 ans, dépose devant nous deux grandes bouteilles de Tigerbien fraiches. Chantal sort de son sac les cacahuètes qui vont avec. La sono diffuse invariablement du Georges Brassens. Comme il y a presque vingt ans ! On apprécie vraiment après toutes les émotions de la journée ! Pour diner, nous faisons confiance à notre guide et allons nous régaler d’un bon poisson préparé dans une feuille de banane dans un minuscule restaurant proche de notre logement.
Nous voilà de meilleure humeur…
Le buffet du petit-déjeuner est copieux et varié. Nous n’aurons vraiment besoin de rien d’autre jusqu’à ce soir !
Nous partons en balade sur les vélos que le concierge de l’hôtel nous a gracieusement prêtés. En ce début de matinée, la vieille ville nous parait bien calme sans ses hordes de touristes. Nous en profitons pour arpenter tranquillement les rues principales. Nous nous prenons même en photo sans souci devant le Pont Japonais. Nous croisons tout juste quelques Français qui se réjouissent comme nous de la relative quiétude qui règne en cet instant. Nous avons bien fait ! Moins d’une heure plus tard, des flots continuels de visiteurs bruyants envahissent sans pitié le quartier. Nous garons vite les vélos dans un coin et allons trainer du côté du marché. Assises comme toujours derrière leurs étalages de légumes, de fruits, de viande ou de poisson, les marchandes nous semblent bien moins sympas qu’à Hué. Pas souriantes du tout, ou alors si peu, elles haranguent sans cesse le chaland étranger. Face à leur évidente réticence, nous ne prenons qu’un petit nombre de photos et préférons partir. Lorsque nous arrivons en vue de nos vélos, deux dames sont en train de se tirer le portrait juste à côté d’eux. L’une d’elles dépose même son sac dans le panier du mien pendant que l’autre la mitraille. Quelques instants plus tard, la mannequin remonte la béquille et part le plus naturellement du monde ma bécane à la main. Heureusement, Chantal qui avait un pressentiment la surveillait et lui saute sur le paletot aussitôt. Gênées, les deux dames apparemment vietnamiennes nous expliquent qu’elles l’empruntaient juste le temps d’une photo un peu plus loin. Les ayant vu faire, nous avons tous les deux beaucoup de mal à les croire, même si nous savons que les Asiatiques s’approprient rarement le bien des autres.
Le soleil cogne désormais. Pour nous abriter, nous choisissons de regagner tranquillement l’hôtel. Sa piscine nous attend. Nous y restons jusqu’à 15 heures avant de retourner en ville constater que la situation d’aujourd’hui surpasse encore plus celle d’hier. Invraisemblable ! On imagine ce que cela devait être deux semaines auparavant lors de la période du Nouvel An chinois. Après une séance photo du port et de sa flottille de barques enguirlandées depuis la petite ile d’en face, nous partons vite nous réfugier sur la terrasse de notre café préféré. Ce soir encore, tout en sirotant une Tigeret en fredonnant les chansons de Brassens, nous retrouvons une certaine paix.
Mais nous nous posons beaucoup de questions. Que sont, par exemple, devenus les bateaux de pêche autrefois amarrés au milieu du port ? Aujourd’hui, je n’en aperçois qu’un perdu parmi les horribles barques collées les unes aux autres. Illuminées dès la tombée du jour, celles-ci investissent sans aucune régulation tout le plan d’eau et promènent une clientèle essentiellement asiatique tout le long du port ; spectacle vraiment navrant pour nos yeux habitués à une autre culture. C’est du Hoi An Landpur jus ! Dommage, car cet endroit était encore typique et charmant six ans plus tôt, même s’il cédait déjà à une certaine forme de tourisme de masse. Les amoureux qui s’bécotent sur les bancs publics, bancs publics, bancs publics… Perdu dans mes réflexions, je pianote machinalement sur table…
Pour changer, nous allons nous régaler d’un curry copieux, excellent et pas cher dans un autre resto indiqué dans le guide. L’ambiance sympa nous plait. En repartant dans la nuit sur nos bécanes sans lumière, nous nous promettons d’y revenir…
Sitôt le petit-déjeuner avalé, nous enfourchons nos vélos et prenons la direction de la côte à quatre kilomètres d’ici. En pédalant, je me remémore la première fois où nous y étions allés. C’était en 2002. Sur la plage déserte, nous nous étions installés sur les transats de la seule gargote présente. Nous avions commandé une grande assiette de palourdes et une belle bonite que la vieille dame m’avait fait choisir parmi les trois ou quatre poissons très frais qu’elle gardait dans une bassine. Une demi-heure avant l’heure prévue du repas, le monsieur avait mis son masque de plongée et était allé pêcher les palourdes sous l’eau. Pendant ce temps, la dame préparait le barbecue en faisant brûler des coquilles de noix de coco. Les fruits de mer au beurre aillé et le poisson grillé nous ont laissé un souvenir impérissable. La dernière fois, plusieurs gargotes et quelques restaurants avaient fait leur apparition avec, en terrasse, une rangée de parasols et de transats alignés sur le sable. Qu’allons découvrir aujourd’hui ?
En chemin, nous reconnaissons quelques endroits comme, par exemple, le pont qui enjambe un bras de mer et d’où se jetait un groupe d’adolescents intrépides. Des bateaux sont toujours amarrés près d’un site d’aquaculture. Nous touchons au but. Quelques centaines de mètres avant la plage, tous les dix mètres, des gens se mettent en travers de notre chemin pour nous proposer, assez rudement, de parquer nos vélos… Ouh ! la, la ! J’ai soudain peur ! Un coup de sifflet strident derrière moi me fait me retourner. Un gardien en tenue militaire m’oblige à continuer à pied. Bien, chef ! Je laisse ma bécane à Chantal et m’en vais chercher où nous installer. Euh ! Pas là !… Ben, là non plus ! Mais, elle est passée où la plage ? À perte de vue, des deux côtés, je ne vois que des rangées compactes de transats d’où émergent les parasols. Bon, soyons positifs : j’aperçois tout de même la mer à quelques endroits. Et, victoire, avec une fine bande de sable juste avant ! On a frôlé la catastrophe ! Dégoûté, je rejoins Chantal et lui suggère d’aller plus loin. Pareil ! De l’autre côté, toujours la même chose ! Presque révolté, je propose de retourner en ville ; je souhaite vite oublier ce que je viens de voir. En cherchant le chemin de Tra Que, le village végétal, nous tombons sur deux autres Français qui comme nous désirent découvrir ces fameux jardins. En fait, nous restons discuter un bon bout de temps sur le bord de la route avec Catherine et Ralid et nous donnons rendez-vous ce soir pour l’apéro sur les quais. Au contraire du littoral, nous retrouvons Tra Que comme nous l’avons laissé il y a six ans. J’y avais pris un portrait de Chantal, un chapeau conique sur la tête en train de pousser une brouette de mauvaises herbes ! Les potagers y sont toujours aussi bien entretenus et l’alignement des différents tons de vert aussi photogéniques. Peut-être encore sous le choc de ce que j’ai vu tout à l’heure, j’y prends très peu de clichés. De retour à l’hôtel, tandis que Chantal s’installe autour de la piscine, je vais écrire le chapitre final de nos aventures laotiennes. J’ai du retard que je dois combler au plus vite !
Le soir, Catherine et Ralid nous rejoignent à l’apéro et apprécient l’endroit et les chansons de Brassens. Dommage qu’ils partent demain matin !
Notre dernière journée à Hoi An est marquée par l’heureuse visite d’un musée d’un jeune photographe français installé au Vietnam, Réhahn. Quelques-uns de ses portraits lumineux ont fait la couverture des plus grands magazines. Nous les retrouvons dans sa galerie, près du costume traditionnel exposé de chacun de ses modèles. La visite n’en est que plus intéressante et enrichissante. Franchement de la belle ouvrage. Dommage qu’on ne rentre pas en France, j’aurai autrement acheté un de ses bouquins…
Demain, nous prenons le bus pour Hanoi. Même si nous avons apprécié notre séjour ici, nous n’en garderons pas un grand souvenir. Tout a changé trop vite, Hoi An a vraiment perdu son âme.
Je parlais d’un Hoi An Land. Je pense avoir malheureusement raison…