Après une nuit de sommeil réparateur, nous partons en pleine forme vers le pont Long Biên, anciennement appelé pont Paul-Doumer. Ce vieil ouvrage métallique à moitié rouillé, construit par l’entreprise française Daydé & Pillé et inauguré en 1903, permet au Chemin de fer Nord-Sud du Vietnam de franchir le fleuve Rouge. La circulation automobile y est interdite et, hormis le train, seuls les deux-roues peuvent s’y engager. Les piétons téméraires comme nous empruntent les étroits trottoirs qui le bordent. Des photographes professionnels n’hésitent pas à prendre quelques risques avec leurs modèles en faisant poser les mariés en tenue sur les rails ou sur la chaussée. Tous les pays du monde n’ont pas la même notion du danger…
Autre promenade encore plus insolite : celle de la « rue du train » ainsi surnommée parce que la voie ferrée ressemble à une percée au milieu des habitations traditionnelles et s’enfonce dans la ville. C’est désormais le lieu très en vogue de Hanoi où la jeune génération désire se faire voir… et le montrer. Nous avons de la chance. Lorsque nous y arrivons, hormis les locaux qui vivent là, personne ne nous gêne. Nous pouvons prendre toutes les photos que nous souhaitons. Nous avons bien fait : une demi-heure plus tard, comme toutes les autres fois où nous emprunterons cette rue, la cohue règne. Tous les dix mètres, des jeunes venus du monde entier se retrouvent sur les rails à prendre, durant des plombes et dans des positions abracadabrantes, un nombre incalculable de selfies pour les publier ensuite sur leurs comptes Instagram ou Facebook. Pour nous, c’est l’heure de poursuivre ; il n’y a plus rien à faire d’intéressant ici…
Rue de la viande de chien…
Dans le Vieux Hanoi, il reste quelques quartiers authentiques. Tout le monde connait celui des 36 corporations et autour du marché. Mais les guides ne parlent jamais de celui dans lequel nous trainons nos guêtres. Nous sommes les premiers à ne pas le regretter. Tranquilles, nous évoluons au milieu de petits commerces locaux qui bordent la rue. Malgré son étroitesse, de nombreuses motos au klaxon strident nous obligent à nous ranger pour les laisser passer. Dès l’entrée, nous tombons tous les deux en arrêt devant l’étalage d’une marchande de viande. À côté des carcasses de volaille, celles de chien sont entassées les unes sur les autres. Préparés laqués comme les canards, ils sont reconnaissables au premier coup d’œil. Même dépiautées, la tête aux crocs caractéristiques et la longue queue ne laissent planer aucun doute sur l’espèce. Nous réprimons tous les deux un haut-le-cœur, nous qui en avons pourtant souvent remarqué sur les marchés du Sud-Est asiatique. Mais ça nous bouleverse toujours de voir ce genre de choses. Nous en croiserons beaucoup d’autres dans cette rue. Pour nous changer les idées, nous prenons beaucoup de photos. Contrairement à ceux du quartier des 36 corporations, les gens d’ici se laissent facilement aborder et nous accueillent avec de francs sourires. La plupart sont vraiment de petite taille. Nous en profitons pour tirer quelques portraits. À ce petit jeu, Chantal remporte la bataille des beaux clichés avec ceux de commerçants trônant derrière leurs étals. Des deux côtés de la rue, ceux-ci ont en effet étalé leur marchandise à même le trottoir. Légumes, fruits, pains sont ainsi proposés aux chalands. Contrastant avec celle du Vieux Hanoi, l’ambiance qui règne ici entre les différents acteurs apporte joie et gaieté à tous. Nous-mêmes le ressentons. D’ailleurs, une fois arrivés au bout de la rue presque un kilomètre plus loin, nous faisons demi-tour pour en profiter plus longtemps !
Nous avons de la chance. Nous avons à peine rejoint l’artère principale que nous apercevons des agents arrêter la circulation et tirer sur les barrières repliables d’un passage à niveau. Un train va passer. Nous nous précipitons sur le bas-côté réservé aux piétons et courons vers un abri entre deux habitations pour assister au passage du convoi. Sirène hurlante, la locomotive apparait, énorme. Sa taille paraît presque disproportionnée par rapport aux bâtiments environnants. Le plus impressionnant reste l’étroitesse du passage et le tangage des wagons. À chaque balancement, on a le pressentiment qu’ils vont venir se fracasser contre les murs. Dans un boucan d’enfer, nous nous enfonçons encore plus profondément dans notre abri. Hallucinant !
Au Vietnam, les fruits trônent sur les étals toujours bien garnis et joliment arrangés. Nous en faisons une consommation presque irraisonnable. Ananas, bananes, mangues, maracujas, pitayas, pastèques pour les plus représentés parviennent à un degré de saveur rarement atteint chez nous. Nous nous en délectons principalement au petit-déjeuner, mais rien ne nous empêche de craquer à un autre moment de la journée. Mais cet après-midi, en passant devant une pâtisserie, nous délaissons notre envie de fruits pour nous régaler avec une gourmandise. Assis en terrasse, nous dégustons nos gâteaux au milieu d’une clientèle vietnamienne aisée et en majorité féminine. Après avoir fait durer le plaisir en mangeant le plus lentement possible, nous reprenons tranquillement le chemin du retour.
Durant deux jours, la bruine et la température plutôt basse pour nous (18°) nous retiennent à la chambre. Je m’attèle donc au tri des photos et à l’écriture de ce journal. Chantal qui, au bout de quelques heures, s’ennuie un peu profite d’être seule pour aller faire un tour de magasins dans le quartier. Elle ira même voir Rodolphe à son hôtel sans se perdre ! Tu m’étonnes qu’il pleuve !
Le dimanche suivant, nous retournons à la cathédrale au moment de la tombée de la nuit pour enfin prendre les photos de l’édifice éclairé. Contrairement à l’autre soir où elle surgissait à peine de l’obscurité, ce soir elle brille de mille feux. Par contre, le ciel gris empêche l’heure bleue d’atteindre son paroxysme. On s’en contente tout de même avant de retourner manger une bonne phở bò dans le fameux restaurant où il y a toujours la queue. Le lendemain, nous allons visiter le Musée des Beaux-Arts. Devant l’entrée, Chantal s’aperçoit qu’elle a oublié son écharpe en chemin, certainement lorsqu’elle a ôté son sweat-shirt.
L’écharpe ? Heureusement on est en Asie !
Elle fait demi-tour et la retrouve sans problème là même où elle l’avait posée une vingtaine de minutes plus tôt. Heureusement que nous sommes en Asie ; en France, elle aurait pu faire une croix dessus ! Un bel édifice colonial abrite le musée avec ses collections de peintures, de sculptures et d’art populaire classées par technique. La partie réservée aux tableaux sur laque déclenche notre enthousiasme, autant que celle des statues de moines en bois peint. Magnifique ! Nous terminons par la section contemporaine et celle dédiée au folklore ethnique. Nous avons été pratiquement les uniques visiteurs. Seuls deux couples de jeunes Vietnamiens sont venus troubler la tranquillité des lieux en posant des heures devant certains tableaux pour prendre leurs selfies. À cet instant-là, nous avons une fois de plus haï les réseaux sociaux et leurs conséquences sur le comportement des personnes !…
Un matin, nous nous levons à 5 heures pour nous rendre sur les rives du lac Hoan Kiem toujours animé au lever du jour. Aujourd’hui encore, les gens, toutes générations confondues, marchent en faisant des haltes pour effectuer une gymnastique très douce. Les seuls à courir sont tous… blancs ! D’origine étrangère avec un casque Bluetooth sur les oreilles, ils se faufilent en sueur et en s’époumonant au milieu des marcheurs. En les regardant, je comprends mon aversion pour la course à pied ! Sur les squares, des groupes de femmes de tout âge font leur gym en rythme sur de la musique disco. Par contre, contrairement aux fois précédentes, nous ne rencontrons guère de joueurs de badminton ou de pratiquants de tai-chi. Peut-être se sont-ils déplacés ailleurs ? Dommage, car j’adorais les observer. À 8 heures, nous regagnons l’hôtel : nos estomacs qui n’ont encore rien mangé crient famine.
Le petit-déjeuner avalé, nous partons en direction du palais présidentiel et de son parc. Mais auparavant, nous faisons un long détour par Chùa Kim Liên en bordure du lac de l’Ouest. Également appelée Pagode du Lotus d’Or, elle abrite de nombreux vestiges. Quoique superbement restaurée, elle conserve toujours son charme d’antan. À l’intérieur, magnifique avec ses statues, on y trouve celle de Quan Yin aux mille yeux et mille bras qui date du 18e siècle. En fait, nous ne nous attendions pas à tant de beauté en venant jusqu’ici. Nous ne regrettons absolument pas les 4 kilomètres à pied depuis l’hôtel. Nous nous rendons ensuite au palais présidentiel qu’on ne visite pas et dont la couleur coloniale jaune moutarde d’origine a été conservée. Hô Chi Minh, surnommé l’Oncle Hô, a toujours refusé d’y habiter. Il avait sa maison sur pilotis dans le parc attenant où nous évoluons maintenant au milieu d’une nuée de touristes vietnamiens. Dans un groupe près de nous, une dame amuse tout le monde avec son fou rire très communicatif. Nous-mêmes sommes écroulés. La visite terminée, nous retournons à la Pagode au Pilier Unique, toute proche, emblème de la ville et adorable petit édifice planté au milieu d’un bassin où fleurissent les lotus.
Lorsque nous entrons dans notre chambre après le souper au Little Hanoi, le podomètre du téléphone indique que nous avons marché 20 kilomètres depuis ce matin. Bonne nuit !
Le « Cocktail d’Hanoi »
Pour notre dernière journée à Hanoi et au Vietnam, nous retournons sur la voie ferrée et goûtons au fameux café à l’œuf sur la terrasse surélevée d’un petit bistrot. Cette boisson pas trop sucrée, pas trop amère et parfumée a été inventée durant la guerre d’Indochine. Le barman a tout simplement remplacé le lait qui manquait par du jaune d’œuf. Ce breuvage, parfois appelé « cocktail d’Hanoi », nous enchante dès la première gorgée. Nous regrettons juste de le tester qu’aujourd’hui ! Après cette agréable petite pause, nous poursuivons jusqu’au Temple de la Littérature où une file de cars bondés déverse un flot ininterrompu d’écoliers devant l’entrée. Cela donne à réfléchir. Nous décidons d’aller faire un tour dans le coin en attendant de commencer notre visite. Lorsque nous revenons une demi-heure plus tard, la queue a disparu et l’endroit a retrouvé son calme. Nous achetons donc nos billets. Bâti en 1070, le temple a traversé les siècles sans trop de dégâts ou de modifications. Consacré au culte de Confucius, il doit sa célébrité au fait d’avoir été la première université du Vietnam. Nous pénétrons successivement dans les cinq cours qui le constituent et visitons les différents pavillons. Même si la quatrième, ornée de jolis bonsaïs, est la plus réputée avec la Maison des Cérémonies, c’est dans la cinquième que se situe celui que nous préférons. Rénové, on y trouve de belles statues et deux imposants escaliers. Des habits des premiers diplômés sont exposés dans les vitrines du rez-de-chaussée, tandis que les représentations en bois peint des trois rois fondateurs du temple trônent dans des autels superbement décorés. Avant de quitter les lieux, je retourne dans la troisième cour prendre quelques clichés des 82 stèles gravées, scellées sur des tortues en pierre. Elles sont désormais inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO. Des étudiants vietnamiens posent en tenue devant elles en parlant très fort. En tentant de les imiter, nous partons tous les deux dans un fou rire mémorable…
Notre séjour prend fin demain. Nous allons saluer Rodolphe à son hôtel et souhaitons bonne chance au futur papa qu’il deviendra en mai prochain. Pour fêter le terme de notre escale vietnamienne, nous allons aussi boire une dernière pinte de Bia Hoià la pression dans le bar que nous avons fréquenté pratiquement tous les jours. En cette ultime soirée, nous y faisons la connaissance d’Alex, jeune black américain en vadrouille pour quelques mois, et Meline, sa copine française vivant à Montréal. La conversation se prolongeant et les verres se succédant, il est presque tard lorsque nous rejoignons enfin nos pénates.
Comme à chaque visite, le Vietnam nous plait toujours autant. Du moins, dans sa moitié nord. J’ajouterais même qu’il figure tout en haut de nos préférences asiatiques. J’aimerais aussi préciser que, contrairement à ce que nous entendons souvent, nous trouvons les gens plutôt ouverts et sympas. En plus, pour nous Français, la nourriture parfumée et variée constitue un argument de poids au bon déroulement du séjour. J’espère vous avoir convaincus.
Même à vouloir rattraper le temps perdu, le Vietnam n’a pas encore vendu son âme au diable.
En ce qui nous concerne, nous y reviendrons certainement un jour…