Après un rapide transfert entre Krabi et Ko Lanta, le patron de notre guesthouse habituelle nous apprend, la mort dans l’âme, qu’il n’a pas de chambre libre pour ce soir, mais qu’à partir de demain, il pourra nous loger. À un prix double du sien, nous en trouvons une juste à côté qui fera exceptionnellement l’affaire.
Si notre hôtel affiche complet, la plage nous semble bien calme. Contrairement aux années précédentes, peu de monde marche en bordure de mer et, devant les resorts, la majorité des transats restent inoccupés. Pour couronner le tout, la plupart des gens que nous croisons paraissant plus vieux que nous, nous avons la curieuse impression d’abaisser la moyenne d’âge ! Nous profitons donc de cette jeunesse bien involontairement recouvrée pour jouer aux raquettes et au Frisbee avant de nous baigner dans une mer chaude qui rafraichit à peine, mais qui soulage nos courbatures. Aïe, mon dos ! Aïe, mes genoux !…
À notre joie de retrouver la plage de Khlong Dao s’ajoute celle de retourner manger chez Baifern et sa maman. Sincèrement heureuses de nous revoir, elles nous apprennent que leurs employés et nombre de leurs clients habituels leur ont demandé si nous revenions cette année. D’un coup, devant tant d’attention, nous voilà tout retournés ! Au fil des soirées, nous retrouverons ainsi nos copains iraniens Fari et Babak, le réputé photographe sous-marin Fabrice et sa femme thaïe, le jeune serveur à qui j’avais offert un ticheurte l’année passée, et bien d’autres encore. Mais, en cette fin janvier, beaucoup sont déjà repartis. Dommage ! Outre la bonne ambiance qui règne perpétuellement dans ce restaurant, les cuisinières que sont la maman, la tante et Baifern elle-même n’ont pas perdu la main et concoctent toujours d’excellents plats bien parfumés. Si je les aime épicés, Chantal les demande invariablement un peu moins relevés que les miens. Mais l’un comme l’autre ne sommes jamais déçus de nos choix : soupe spéciale Alain, phat thai spécial Chantal, curry rouge, curry massaman au thon. Indéniablement, celui que nous préférons reste le panaeng kai dont je me fais un plaisir de décrire la recette. La base est préparée avec des piments secs, du galanga, de la citronnelle, du zeste de combava, des racines et des graines de coriandre, du cumin, de l’ail, des échalotes, de la pâte de crevettes, du sel et des arachides. Outre le curry, le plat est généralement confectionné avec du blanc de poulet découpé en lanières, des feuilles de combava, du lait de coco épais, du sucre de palme et de la sauce de poisson. Un pur régal dont nous nous délectons souvent ! Pour en avoir testé ailleurs, cette année et lors des séjours précédents, nous lui décernons sans hésitation la Palme d’Or du meilleur panaeng kai !.. Pour nous faire plaisir, Baifern nous offre fréquemment un petit plus : café ou thé glacé, bananes confites, fruits de son jardin (jacquier, mandarines) à consommer sur place ou à emporter, en-cas original ou même verre de vin rouge. Pourquoi donc irions-nous voir ailleurs, sinon pour casser la routine ? Lorsque nous le faisons, nous repartons généralement déçus, la constance n’étant pas le point fort des Thaïs. Une fois c’est bien, la seconde, c’est très quelconque. Au moins, chez Baifern, la qualité est toujours au rendez-vous. Après, on aime ou on n’apprécie pas ses plats, c’est un autre débat…
Avant d’attaquer à pied les 1 800 mètres du retour à la guesthouse, nous arrêtons souvent discuter quelques minutes avec André le Québécois et Sairung son épouse thaïe qui réalise de fines créations de colliers et bracelets dans sa boutique. Toujours à l’affût des dernières nouvelles, André nous tient au courant de l’actualité nationale et internationale. En ce moment, le coronavirus revient dans toutes les conversations. Pour l’instant, à l’abri sur notre ile, son expansion ne nous inquiète pas encore…
Cette année, nous avons de la chance : nos voisins successifs sont respectueux des autres et font peu de bruit. Malgré toutes les chambres occupées et surtout en l’absence de mon cher « copain », le Canadien gueulard de l’année dernière, la guesthouse demeure calme. Un vieux Danois (certainement moins âgé que nous !), un jeune couple d’Italiens, un autre de Russie, deux copines anglaises et trois Allemands de notre génération restent eux aussi plusieurs semaines et créent une ambiance conviviale et chaleureuse. Bref, contrairement à l’année dernière, aucun stress cette fois-ci ! Nous apprécions tous les deux…
Tous les matins, hormis un jour ou deux, nous partons marcher en bordure de mer sur la longue plage de Khlong Dao. En sueur, nous poursuivons ensuite par une partie de beach ball acharnée, puis une de Frisbee durant la baignade. Pour nous abriter de la chaleur, nous revenons vers 12 h 30 à la guesthouse pour en repartir vers 15 heures. Assis face à la mer et à la brise bienvenue, nous profitons de la fin d’après-midi pour remplir des pages de Sudoku. Le ciel uniformément limpide empêche les couchers de soleil spectaculaires, ou du moins, les plus photogéniques. J’ai honte de me plaindre alors que les fortes tempêtes se succèdent en France !
Pour la Saint-Valentin, et après un bon repas au Baifern arrosé de vin rouge frais, nous allons rendre visite à Pas, l’Indien, surnommé ainsi parce qu’il arbore continuellement un bandeau cintré sur ses longs cheveux. Vivant torse nu, il agrémente, le soir venu, sa tignasse brune de quelques plumes du plus bel effet. L’Indian Bar porte très bien son nom. De quelques tabourets posés sur le sable il y a une dizaine d’années, son petit bistrot de l’époque est désormais devenu « LE » lieu incontournable où s’entassent dans la bonne humeur les vacanciers qui séjournent sur Khlong Dao. Coup de chance, une table reste libre juste au-dessous du comptoir. Chantal s’allonge sur le tapis qui recouvre l’estrade en bambou et me laisse un petit espace à ses pieds. Nous engageons d’emblée la conversation avec nos voisins, un couple de Suédois en vacances pour quelques jours. Je prends la place du monsieur lorsqu’ils partent. Désormais bien assis tous les deux et les jambes allongées, nous assistons au beau spectacle de feu que Pas donne sur la plage, juste devant son bar. Dès son tour terminé, des gamins scandinaves de moins de dix ans qui vivent sur Ko Lanta à l’année avec leurs parents prennent le relai. Malgré leur jeune âge, leur dextérité est incroyable. Nous en restons, nous et tous les autres, bouche bée ! Arrive alors un groupe de cinq trentenaires anglais qui célèbrent l’enterrement de vie de garçon de l’un deux. Au menu : deux semaines de fêtes à Bangkok, Pukhet, Ko Phi Phi, Ko Lanta et Ko Samui ! Rien que ça ! Ils passent une petite heure avec nous et avalent une ou deux bières avant de continuer sur Long Beach. Très sympa et classe, comme tous ses copains d’ailleurs, celui qui fête son prochain mariage réalise des vidéos pour sa propre boite à Londres… Court, mais super moment en leur compagnie !…
Notre visa touristique valable un mois prenant bientôt fin, nous nous rendons, en tout début de matinée, en moto au centre de l’émigration de Krabi pour le prolonger. Après deux petites heures de route et en moins de dix minutes, la chose est réglée. Cela nous change des trois allers-retours nécessaires à Bali pour obtenir la même chose ! Nous pouvons, dès lors, tranquillement aller nous restaurer d’une soupe chez nos petites mamies, nous ravitailler en cacahuètes sur le marché et, en ce qui me concerne, craquer devant un joli ticheurte Adidas. Il faut que je fasse attention : cela devient une habitude !
Les copains arrivent !
Cathy, Valérie, Patricia, Bruno et Franck arrivent aujourd’hui à Ko Lanta. En direct de France avec une escale à Doha, ils ont atterri à Krabi au lever du jour. Après 45 minutes de marche, nous nous présentons exactement au même moment qu’eux devant leur hôtel situé sur Long Beach à environ 4 kilomètres du nôtre. Le temps de se changer en attendant de s’installer plus tard dans leurs chambres et les voilà les pieds dans le sable en notre compagnie. Ils ont très peu dormi et le jet lag commence à produire ses effets. Patricia a beaucoup de mal à suivre les conversations et nous amuse en voulant combattre sa fatigue ! Une première baignade revigore un peu tout le monde. Une fois leurs sacs déballés, nous nous rendons dans l’un des restaurants de la plage où ils déjeunent de phat thai ou de khao phat kai. Les coudes sur la table et la tête dans les mains, la pauvre Patricia nous quitte par moments pour rejoindre la galaxie des rêves durant quelques minutes qu’elle aimerait moins courtes ! Elle résiste néanmoins et vient avec tout le monde jusqu’à notre guesthouse avant de repartir vers la leur en longeant la plage. À 18 heures, nous sommes tous installés autour d’une table d’un restaurant qu’on nous a recommandé à leur hôtel. Après une bière bienvenue par cette chaleur, les assiettes arrivent une par une devant nous. Mon red curry est très honnête et les autres semblent se régaler de leur choix. Demain, lorsque nous en reparlerons, Patricia ne se souviendra même plus de ce qu’elle a mangé ! Après le repas, nous quittons rapidement nos amis pour les laisser aller se coucher. Nous avons pratiquement 4 kilomètres à parcourir…
Après une bonne nuit de récupération, nous partons tous ensemble en moto pour le sud de l’ile en nous arrêtant dans de jolies criques dispersées tout le long de la côte. Nous profitons de ces haltes pour piquer une tête dans les eaux limpides. À peine secs, nous rejoignons la suivante. Pour le déjeuner, j’ai la mauvaise idée de les faire faire une pause dans un restaurant qui surplombe une baie où se niche une jolie plage. Le panorama est magnifique et nous sommes à l’abri du soleil. Heureusement ! Car, en ce qui concerne le reste, ce n’est pas terrible ! Le barman oublie d’abord la boisson de Patricia, puis zappe carrément les plats de tout le monde ! Voyant des personnes arrivées bien après nous être servies, nous nous inquiétons auprès de la caissière de savoir où en est notre commande. Bien nous en a pris, car nous serions toujours en train d’attendre. Incroyable ! Le ticket n’est jamais parvenu jusqu’à la cuisine ! Du coup, le record de Thaïlande du service le plus rapide a été explosé : moins de dix minutes plus tard, toutes les assiettes étaient disposées devant nous !
Après une dernière baignade et un bref passage à l’hôtel pour la douche, nous devons tous nous retrouver à l’Indian Bar à 18 heures pour assister au coucher de soleil les pieds dans le sable. Auparavant, je fonce chez Baifern réserver une table pour nous sept. C’est plus sûr, même si l’ile s’est dépeuplée depuis quelques jours. Je dépose ensuite Chantal chez Pas qui nous arrange un bon emplacement avant la ruée de fin de journée et pars attendre les copains au carrefour de la route principale. 18 h 15, rien ! 18 h 30, toujours personne en vue ! Bizarre, car ce n’est pas leur genre ! Je file jusqu’à leur hôtel : Frank ressent de vives douleurs sur le côté et désire garder la chambre. Je ne comprends pas tout de suite que les autres souhaitent rester avec lui et retourne chez Pas où je retrouve Bruno et Cathy en train d’expliquer à Chantal qu’ils ne viendraient pas ce soir. On a dû se croiser en chemin, mais, cherchant trois motos, je n’ai pas porté attention à eux. J’effectue dans la foulée un rapide aller-retour chez Baifern décommander la table et reviens à l’Indian où Chantal m’attend pour boire notre verre.
En fait, Frank ira à l’hôpital au milieu de la nuit. Après analyse, c’est un calcul qui le fait souffrir. Sur l’instant, un traitement adéquat le soulage et lui permet de passer la journée suivante sans trop de douleurs. Il préfère pourtant garder la chambre en compagnie de Valérie et ne pas nous accompagner. Avec Patricia, Cathy et Bruno, nous nous rendons tout de même de l’autre côté de l’ile, d’abord à Ban Sang Kha Ou, le village sur pilotis des gitans de la mer aujourd’hui sédentarisés, puis à Lanta Old Town où nos amis déjeunent dans un restaurant touristique du front de mer. Nous les accompagnons avec un jus de mangue. Avant de rejoindre Frank qui va désormais beaucoup mieux et Valérie, nous allons piquer une dernière tête dans une crique pas très éloignée de Long Beach. Pour conjurer le sort, nous effectuons ce que nous devions faire hier : apéro chez Pas et diner chez Baifern avant de rentrer chacun chez soi.
Le lendemain matin, ultimes baignades et rigolades tous ensemble sur la plage de Long Beach. À 12 h 30, nos amis nous quittent en effet pour se rendre près de Krabi, à Ao Nang, où ils vont loger le reste de leurs courtes vacances. En nous embrassant, Frank a le sourire : le pauvre ne sait pas encore qu’une crise l’obligera de nouveau à se faire soigner deux jours plus tard…
Pour nous aussi le séjour tire à sa fin. J’ai acheté deux vols depuis Krabi pour Bali et réservé notre chambre par WhatsApp auprès de Kadek. Nous croisons les doigts pour que le coronavirus nous laisse tranquilles. Actuellement, il n’y a rien de moins sûr…
Mais, auparavant, allons passer sereinement notre dernière semaine en Thaïlande du côté de Krabi Town et de son marché de nuit !
« Excuse-nous Baifern, mais nous avons hâte de nous régaler avec un tao soi pour Chantal et un seafood tom yam pour moi ! »
© Alain Diveu