La nouvelle que nous attendions tous les jours depuis une semaine et qui nous perturbait certainement un peu arrive enfin ce 1er janvier 2020. Gaspard, le petit frère d’Octave, est né à 4 h 26 à Rennes. Nous l’apprenons dans l’après-midi pour nous. Nous sommes ivres de joie, surtout que tout le monde se porte bien. La maman et le papa ont passé leur réveillon à la clinique, Octave chez ses autres grands-parents, à Guer. Il viendra demain voir son frère. Nous n’arrêtons pas de contempler les photos du bambin de 3,960 kilos que nous avons reçues avec le message. Il devient notre unique sujet de conversation pour le restant de la soirée. Rassurés, peut-être allons-nous désormais mieux dormir ?…
Octave et Gaspard. Mignons comme prénoms !…
Remis de nos émotions, nous passons la journée du lendemain à l’hôtel. Chantal regarde une bouillie de TV5 Monde sur la vieille télé de la chambre. Pour ma part, je continue mon travail de rattrapage que vient interrompre dans l’après-midi un appel FaceTime de Maxence. Pour la première fois, nous voyons Gaspard en live. Émouvant ! Dans ce cas bien précis, nous aimerions être en France pour pouvoir le serrer dans nos bras, comme nous avions pu le faire à la naissance d’Octave. D’un coup, nous avons hâte de rentrer l’été prochain. Mais pour l’instant, contentons-nous de ces échanges et remercions les techniques modernes de communiquer des images correctes en direct depuis l’autre bout de la planète…
Un groupe d’une vingtaine d’Australiens pas franchement sympas s’installe en fin d’après-midi à l’hôtel et descend aussitôt au restaurant. Le ton monte proportionnellement à la bière avalée. Avoir des personnes près de vous qui hurlent pendant que vous mangez devient vite assez pénible. Heureusement, l’alcool faisant son effet, ils rentrent rapidement chacun dans leur chambre pour ne plus en ressortir…
Le lendemain, nous profitons de la relative fraicheur matinale pour enfourcher nos vélos de location et nous balader tranquillement dans l’ile. La route transversale et celle du circuit nord, en pleins travaux, vont être refaites et ressemblent pour l’instant aux pistes du Cambodge. Par contre, ici, l’absence de trous facilite grandement le pédalage. Nous nous arrêtons fréquemment prendre des photos d’une campagne aride sur laquelle quelques averses seraient les bienvenues. De petits troupeaux de buffles, de vaches ou de chèvres traversent la route et errent de champ en champ en quête d’herbe, aussi sèche soit-elle. Je m’en sers souvent comme premier plan pour mes photos. Les habitations, pour la plupart encore en bois, se dressent sur leurs pilotis en bordure de route ou au milieu des champs. La plupart reflètent la pauvreté de la population. En cette période, les paysans repiquent le riz et apportent ainsi une touche bienvenue de vert dans le camaïeu des ocres. Avec la belle lumière, difficile pour moi de ne pas m’arrêter à tout instant saisir le ballet des femmes plantant les brins dans la terre gorgée d’eau.
Le long d’un canal d’irrigation que nous suivons un moment, les gens, enfants et adultes, nous font des signes de loin ou s’approchent et nous lancent un sabai dee auquel nous répondons à notre tour par un autre sabai dee aussi joyeux que le leur était timide. J’en photographie quelques-uns lors de petites pauses. Nous arrivons sous un soleil de plomb à Muang Sen sur la rive ouest de l’ile et profitons du marché couvert pour nous abriter un peu. Plus tard, après avoir contemplé un moment le manège du ferry et des barques traversières, nous partons à la recherche d’un jus de canne à sucre. Nous tombons sur une dame qui en presse un devant nous. Nous nous le partageons ; elle n’avait pas assez pour en confectionner deux. Pour retourner chez nous, sur la rive est, nous empruntons le circuit sud. À peine sortis du village, nous avons l’heureuse surprise de trouver une belle route bétonnée, presque sans poussière. Un vrai plaisir après toute celle de la matinée ! Pour la remontée du nouveau pont — reliant l’ile au continent — à notre village Muang Khong, nous retrouvons un mauvais goudron truffé de trous sur lequel nous nous faisons secouer comme des pruniers. Un petit camion nous dépasse, klaxon bloqué, et stoppe une centaine de mètres plus loin pour tenter de mettre fin à l’horrible boucan. Il nous redouble sans un bruit à l’entrée du village. Parvenu à notre hauteur, le conducteur nous adresse un grand signe du bras en rigolant…
Après cette jolie balade à travers Don Khong et une fois bien décrassés, nous filons nous asseoir à une table et assister à l’animation de fin de journée sur le Mékong tout en sirotant tranquillement une bonne Beerlao…
Le lendemain matin, je loue un vélo pour la semaine au gars peu aimable et pas un poil commerçant de la guesthouse d’à côté. Après bien des palabres, je réussis à obtenir une remise équivalente à une journée. En début d’après-midi quelques jours auparavant, j’avais assisté depuis le balcon de notre chambre à son refus de louer deux motos à des personnes qui souhaitaient les emprunter durant 24 heures. Il voulait qu’elles soient rendues le soir même et exigeait en plus le prix de la journée entière. Devant son intransigeance, les gens n’ont pas insisté et sont repartis à pied. De tout notre séjour, je n’ai vu personne d’autre lui en demander.
Chantal et moi nous partageons la bécane. Je préfère le matin, elle aime bien le milieu de la journée. Nous avons inversé seulement une fois ou deux. Pour cette première journée, je choisis le circuit nord, mais fais demi-tour après huit ou neuf kilomètres : j’ai oublié de prendre de l’eau et de l’argent. Avec la poussière dense soulevée par les véhicules, beaucoup plus nombreux sur cette route, et par une chaleur déjà caniculaire je risquerai la déshydratation… Je n’ai pas de regrets : les maisons, en plus d’être assez rares, sont toutes recouvertes d’une épaisse couche de dépôt terreux rougeâtre. Les arbres également et tout ce qui se trouve à proximité de la piste. Je rentre et me précipite sous la douche pour me débarrasser de mon bronzage soudain ! Moi aussi, j’avais pris la même teinte ! Je m’attèle au tri des photos d’hier et des plus rares de ce matin. Chantal part dans l’après-midi du côté du pont du Sud et de la fabrique de sucre de palme, toujours fermée. Elle en revient juste à temps pour l’apéritif. Bizarre !
Avant le lever du soleil, je me rends au débarcadère où les paysans des environs arrivent en bateau pour vendre leurs produits sur le marché du village. Les barques sur le fleuve enflammé par l’aurore se prêtent merveilleusement bien au graphisme. Malheureusement, mon Sony est bien moins efficace dans ces conditions que mon ancien Nikon et j’ai un mal fou à prendre mes photos correctement. Je peste et rate bien évidemment celles qui auraient dû être les plus intéressantes et réussis les autres. Je comprends là les limites de mon matériel. J’enrage ! Je me rends ensuite sur le petit marché toujours passionnant, mais très court puisque dès 7 heures tout le monde remballe. Nous l’avons déjà fait ensemble la semaine dernière, mais aujourd’hui je suis seul… et un peu coincé parmi tout ce monde. En fait, à deux, c’est beaucoup plus facile, du moins en ce qui me concerne, d’aborder les gens. Je suis planté là, près d’un arbre, à observer l’activité, à voler quelques clichés banals sans oser me lancer. Je m’élance pourtant, mais ne prends aucune photo. Incroyable ! Je me retrouve 30 ou 40 ans en arrière, lorsque je n’avais pas encore vaincu ma timidité…
Les jours se suivent et se ressemblent. Nous nous partageons le vélo, ce qui nous permet de continuer, chacun à sa manière, l’exploration de l’ile que nous connaissons pourtant très bien. Nous déclinons l’offre de monsieur Phoumi de nous emmener à Don Det en bateau et de nous ramener avec le coucher du soleil. Nous avons fait l’excursion à chacun de nos passages ici et le Mékong assez bas en ce moment doit rendre moins spectaculaires les chutes au niveau de Don Khone. Pour nous remercier de notre fidélité, Teuk qui loue aussi des kayaks nous propose d’en prendre un gratuitement. Chantal refuse bien sûr, mais je saute sur l’occasion pour m’aventurer sur ce fleuve mythique. Le coup de pagaie n’est pas très assuré au départ, mais quelques centaines de mètres à contrecourant ont vite corrigé le défaut. Durant une petite heure, je me balade autour des ilots, des rochers et peux constater le niveau très bas du Mékong en ce moment. En de très nombreux endroits, la profondeur ne dépasse pas les 50 centimètres. Je reviens enchanté au point de départ, mais, cette fois, avec l’aide du courant. C’est plus facile !
Je ne rentre jamais avec moins de 200 photos de mes promenades. À peine arrivé, je décharge ma carte et m’attèle au travail du tri et du catalogage. J’y passe plusieurs heures par jour. Je n’ai jamais le temps de m’ennuyer. Je ne lis d’ailleurs plus et ne regarde qu’un ou deux films par mois. Moi, le passionné de cinéma, je n’aurai jamais cru auparavant arriver à un seuil aussi bas…
Nous profitons de nos demi-journées pour continuer notre travail de rattrapage. Chantal a enfin terminé ses vidéos sur le Vietnam et le Népal du dernier voyage et celles sur Singapour, les Moluques et le Cambodge de celui-ci. Je dois juste trouver un moment et attendre une bonne connexion pour pouvoir les transférer. Je mets deux longues journées pour réunir toutes les conditions et y parvenir. Bref, on s’occupe bien ! Mais, à ce rythme, le temps file. La dizaine de jours prévue à l’arrivée s’est bien allongée ; nous venons d’attaquer la troisième semaine ! Ce sera la dernière : nous rejoindrons Vientiane à la fin de celle-ci.
Yaya, la fille de Teuk, fête ses huit ans aujourd’hui et son papa nous a invités le soir pour l’anniversaire. Nous avons juste le temps de confectionner un bracelet avec les perles que j’ai toujours dans mon sac. Nous nous retrouvons ainsi avec une cinquantaine de personnes dans la maison des grands-parents. La maman nous place avec sept autres convives à la table du grand-père qui nous connait bien et près de monsieur Phoumi. La dame à côté de moi qui est la tante de Teuk vit en Australie et parle très bien anglais. La Beerlao coule à flots. On ne cesse de remplir nos verres, d’abord une femme rigolote, puis le « commandant » Phoumi qui a décidé d’amuser la galerie. Déchaîné et dans un français hésitant, il nous fait hurler de rire à chacune de ses phrases. Son épouse, restée chez elle de l’autre côté du fleuve et qu’il nomme « la colonelle », l’appelle plusieurs fois au téléphone pour le faire rentrer. Mais rien n’y fait ; il continue inlassablement de décapsuler les bouteilles et de remplir les godets. Difficile de lui résister. Entre les verres, nous avons tout de même réussi à gouter aux nombreux plats posés au milieu de la table : rouleaux de printemps, curry de légumes, poisson grillé, poulet frit, riz. Une copine de Yaya nous apporte un morceau de gâteau en fin de repas. Les gens commencent à partir. Nous voyant nous lever, monsieur Phoumi ouvre une dernière bouteille qu’il tient à partager avec nous et profite du fait que nous sommes rassis pour nous inviter chez lui. Nous acceptons, mais seulement lors de notre prochain passage à Don Khong, car nous partons dans deux jours. Après avoir remercié nos hôtes, nous rentrons tranquillement à l’hôtel en pouvant désormais assurer que la Beerlao n’est vraiment pas une bière forte !
Le séjour sur l’ile de Khong se termine par cette immersion dans une fête familiale. Bien acceptés par les convives, nous en garderons longtemps le souvenir… Lorsque nous saluons Teuk avant de monter dans la voiture qui nous va nous déposer de l’autre côté du pont sur la route principale, nous lui promettons de revenir quelques jours ou quelques semaines chez lui. Un large sourire éclaire son visage…
Après à peine cinq minutes d’attente sous le soleil ardent, le bus pour Paksé s’arrête à notre hauteur… Nous passons l’après-midi à Paksé entre une balade au Wat Luang qui ne cesse de s’agrandir et une autre dans les allées du marché couvert. Nous prenons aussi une bière à la terrasse de notre hôtel lorsque nous séjournons dans cette ville et allons manger dans le restaurant indien juste en face. Mais le propriétaire a dû changer, car la qualité de la nourriture a bien chuté. Tous les deux déçus, nous partons ensuite attendre le bus de nuit pour Vientiane…
© Alain Diveu