Une nouvelle fois, Virginie et Maxence, les nouveaux mariés, nous ont accompagnés sur le quai de la gare de Rennes. Nous y retrouvons aussi Christine, notre copine, venue nous souhaiter bonne route pour ce nouveau départ. Même si l’émotion nous étreint, les larmes ne coulent plus comme pour les premiers départs. Nous sommes désormais habitués à ces séparations qui n’en sont plus vraiment grâce aux moyens de télécommunications actuels. Nous nous retrouverons bientôt sur le net.
Karine, ma cousine, nous récupère à Nantes et nous emmène chez elle pour y passer notre dernière nuit en France. Fred, son mari, nous a concocté un régal de repas et la soirée passe horriblement vite en leur compagnie. Je garderai personnellement un souvenir ému du super whisky de l’apéro et de la côte de bœuf grillée sur le barbecue. Je ne suis pas près d’en relécher ! À 6 heures le lendemain matin, tout le monde est réuni autour de la table pour le petit déjeuner et, une demi-heure plus tard, après avoir chaudement remercié nos hôtes devant la porte des départs de l’aéroport, nous enregistrons nos bagages pour le Maroc, pays que je souhaitais absolument revoir. Je n’y ai, en effet, pas remis les pieds depuis 40 ans ! Pour sa part, Chantal y posera son sac pour la première fois…
Après une brève escale à Bordeaux, il est midi, heure locale, lorsque l’Airbus A310 d’Air Méditerranée atterrit sur la piste de Marrakech. En nous rendant à pied de l’avion à l’aérogare, la chaleur ne nous surprend même pas, la température des deux dernières semaines en Bretagne ayant été très clémente. L’attente à la douane est très longue; il nous faut faire la queue durant plus d’une heure pour obtenir le cachet d’entrée sur nos nouveaux passeports. Une fois les bagages récupérés, nous grimpons dans un bus qui nous dépose une demi-heure plus tard devant notre hôtel, réservé depuis la France. La chambre est simple, mais très propre.
Nous qui logeons dans Guéliz, quartier résidentiel aux larges avenues, partons sans attendre vers la Médina, partie ancienne de la ville située à une petite demi-heure de marche. Par Bab Doukkala, petite porte fortifiée dans la muraille qui cerne la vieille ville, nous débouchons dans un lacis de ruelles et de venelles qui mène aux souks. La diversité des odeurs et des couleurs nous entraine de ruelles étroites et encombrées en petites places animées et dominées par une mosquée. La bonne humeur qui règne est générale et les appels des artisans qui vantent leurs produits ne nous importunent pas trop; nous avons eu bien pire au Cambodge, par exemple. Chantal semble d’ailleurs bien s’amuser et apprécier ce premier contact avec les Marocains. La fin de journée approchant, nous cherchons à nous diriger vers la place Jemaa el-Fna, lieu très fréquenté et l’un des plus cosmopolites qui soit. Mais pour nous y rendre, nous mettons un temps infini, n’arrêtant pas de nous perdre dans le dédale des ruelles. Lorsque nous y parvenons enfin, cela fait quatre heures que nous avons franchi la porte dans les remparts !
L’effervescence règne sur cette immense place pour laquelle l’Unesco a créé la catégorie Chef d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité et où tout Marrakech se retrouve dans la relative fraicheur du début de soirée. Porteurs d’eau, herboristes, arracheurs de dents, montreurs de serpents, acrobates, diseuses de bonne aventure, comédiens, musiciens attirent une foule de spectateurs qui s’agglutinent en cercle autour d’eux. Bien alignés au milieu de la place, les marchands de jus d’orange hèlent les passants depuis des charrettes éclairées qui leur font office de boutiques, tandis qu’un peu plus loin les étals des petits restaurants, eux aussi bien rangés les uns après les autres, disparaissent sous la fumée émanant des barbecues. Théâtre, cirque, restaurant, hôpital en plein air : la place Jemaa el-Fna pourrait être résumée par ces mots. Nous musardons encore un moment au milieu du tohu-bohu avant de retrouver un peu de calme dans petit restaurant niché en bordure de place. Nos tajines terminés, il nous faut marcher deux kilomètres, les jambes lourdes, pour retourner à notre chambre…
La nuit a été profitable et après le petit déjeuner copieux servi dans la cour de l’hôtel, nous repartons à l’assaut de la vieille ville. Pour nous y rendre, nous nous servons cette fois du GPS de l’iPad de Chantal. Bien nous en a pris, car le chemin qu’il nous indique nous fait passer par un quartier populaire que nous n’aurions certainement pas traversé autrement. Chantal en profite pour acheter une sorte de crêpe qu’un vieil home confectionne devant sa boutique. Plus loin, un volailler propose poulets et lapins vivants, prisonniers dans des cages alignées sur les étagères de faïence de son minuscule local à peine éclairé. Son voisin, le boucher, découpe de grands morceaux de viande sur la carcasse pendue au crochet devant la porte. À quelques pas de là, le barbier aiguise sa lame avant de raser ses premiers clients. À notre passage, tous nous saluent et nous adressent un mot de bienvenue. Nous sommes les seuls touristes dans le coin et nous apprécions grandement le fait d’être accueillis de la sorte. Au fur et à mesure que nous nous rapprochons du centre de la médina, les salutations se font plus intéressées; nous devenons clients potentiels ! Faisant fi des propositions qui nous sont faites, nous arrivons, presque sans nous en rendre compte, devant la médersa Ben Youssef, premier but de notre promenade matinale.
Dès que nous pénétrons dans l’enceinte de l’ancienne école coranique, la ressemblance de son architecture avec celle des médersas que nous avons admirées il y a deux ans en Ouzbékistan nous parait évidente avec la grande cour carrée qu’entourent les cellules des étudiants. Les zelliges qui recouvrent une partie des murs accentuent encore la similitude. Un bassin à ablutions d’une grande sobriété et aux carreaux bleus et verts, occupe le centre de la cour dallée de marbre. Témoin de la reconstruction de la médersa par les Saadiens, le linteau de la porte d’entrée est sculpté dans du cèdre, comme le sont ceux des déambulatoires. Quant aux chambres, elles paraissent minuscules. C’est pourtant là que les étudiants s’entassaient pour manger, dormir et étudier. À un moment donné, on en a compté 900 pour les 132 cellules; on n’ose le croire…
Nous quittons ce joli lieu pour nous rendre au musée de Marrakech, tout proche. Comme partout dans le monde, à de rares exceptions près, c’est souvent l’architecture du lieu qui m’intéresse plus que ce qui y est présenté. Celui-ci ne déroge pas à la règle: les collections me paraissent banales, mais le bâtiment magnifique avec un patio intérieur de toute beauté malgré l’armature voyante de son toit translucide rajouté qu’atténue un lustre central, impressionnant avec ses cinq mètres de diamètre et ses 1 200 kilos !
Pour varier les plaisirs, nous partons pour une marche un peu à l’aveuglette vers Bab el-Khémis, une des portes de la médina. À l’extérieur de celle-ci se tient un marché qui n’en a que le nom; le terme fatras serait plus adéquat tant l’amoncellement de choses hétéroclites et, pour la plupart, cassées est hallucinant ! Puis nous longeons la muraille jusque Bab Debbagh, porte qui mène au chez les tanneurs que j’aimerai voir travailler. Des touristes français nous ont précédemment mis en garde contre des faux guides qui ont une sérieuse tendance à vous dépouiller de tout votre argent. Dès nos premiers pas dans le quartier, un homme nous propose de nous emmener voir une tannerie. Je sens immédiatement l’embrouille… qui ne manque pas d’arriver. Je lui dis que je veux bien y aller mais que je ne donnerai pas un seul dirham. Il détourne la conversation vers autre chose tandis que nous pénétrons dans l’enceinte de la tannerie. Je prends deux ou trois photos assez banales de l’endroit lorsqu’il me demande de l’argent pour une association dont j’ai déjà oublier le nom. Je lui rappelle mon intention de ne rien donner. Le ton monte très vite; je me fais traiter de tous les noms dont celui d’Israélien ! Interloqué, mais toujours souriant, je le laisse m’insulter tout son saoul, puis me décide à quitter les lieux, sans dommages et sans regrets, la visite n’ayant rien de passionnant.
Pour nous abriter de la chaleur, nous décidons d’aller nous abriter sous les arbres du jardin de la Koutoubia, certainement le minaret le plus photographié du Maroc. Du haut de ses 77 mètres, il sert de repère et domine la Ville rouge. Tandis que Chantal va se reposer sur un banc à l’ombre, je tourne autour de ce joyau d’architecture, le photographiant sous toutes les coutures.
Il est l’heure d’aller diner lorsque je m’aperçois que j’ai oublié de m’asseoir sur le banc avec Chantal pour me reposer moi aussi ! Passion, quand tu nous tiens !
Dès le petit déjeuner avalé, nous retournons à l’assaut de la ville: direction le Palais de la Bahia et les tombeaux saadiens. En chemin, nous passons une nouvelle fois au pied de la Koutoubia. La lumière du matin lui va aussi bien que celle du soir. J’en profite pour prendre de nouveaux clichés. Chantal se fiche de moi; je ne comprends pas pourquoi ! Après avoir traversé un quartier moins intéressant que celui d’hier matin, nous achetons nos billets à l’entrée du palais. Construit à partir de 1880 par un grand vizir pour la favorite de ses 24 concubines, il fut achevé sept ans plus tard par son successeur. Il en résulte un édifice à l’architecture un peu désordonnée, chacun des locataires suivants amenant ses aménagements: à qui une cheminée, à qui une nouvelle salle, par exemple. Les boiseries en cèdre de la cour d’honneur sont splendides, et le dallage en marbre de Carrare magnifique. Si ses murs et ses colonnes ornées de zelliges pouvaient parler, ils pourraient certainement nous raconter des choses bien croustillantes sur les intrigues qui s’y déroulaient. Cette cour faisait en effet office de harem du temps du grand vizir… Fermant les yeux, j’essaie d’imaginer les lieux recouverts d’innombrables tapis, de tentures, de fauteuils en bois de cèdre, de coussins et de sofas chatoyants sur lesquels se vautraient les concubines vêtues de tulle et de dentelle. Une Russe qui me bouscule sans formuler le moindre pardon m’arrache à mes pensées érotiques. Dur retour à la réalité !
Pour me venger de ce rêve interrompu, j’invite Chantal… dans une pâtisserie située à la sortie du palais. Nous nous enfilons chacun un gâteau bien bourratif à la pâte d’amande et de noisette. On ne le sait pas encore, mais ce soir on ne mangera pas ! Nous continuons cette journée culturelle par la visite des tombeaux saadiens. Ceux-ci, recouverts de mosaïque, nous rappellent, encore une fois, ceux de Samarcande. Nichées dans une salle aux colonnes de marbre et à la voute en bois de cèdre sculpté et parsemé d’or, les tombes du roi Ahmed le Doré et des membres de sa famille sont l’unique vestige de la grandeur de la dynastie saadienne qui a régné sur Marrakech et le Maroc durant 125 années. Le jardin central abrite d’autres tombes, celles des guerriers valeureux et des serviteurs fidèles de la dynastie. Le lieu est paisible et peu fréquenté à cette heure du déjeuner, tant mieux pour nous.
Aujourd’hui, il y a 36 ans que nous mariions. Aussi, pour fêter l’évènement, nous nous mettons en quête d’un lieu où l’on sert de la bière. Nous en dégottons un, tenu par un Français, sur le chemin de notre hôtel. La bière est chère, les olives pas bonnes et l’endroit sinistre, mais nous sommes contents d’avoir fêté, à notre manière, notre anniversaire de mariage. De toute façon, après les pâtisseries de ce midi, nous n’avions pas faim du tout ! Rentrés plus tôt que prévu, nous avons largement le temps de discuter, sur Face time, avec Alexis, notre fils qui vient de rentrer de vacances en Italie.
Tandis que Chantal part faire le tour des magasins du quartier Guéliz, je reste tranquillement à l’hôtel classer mes photos, ce que je n’ai pas encore eu le temps de faire avec toutes nos visites. J’y passe en fait une bonne partie de la journée, puis me mets à l’écriture du blog jusqu’à l’heure du diner. Pour changer, nous choisissons un restaurant local proche de l’hôtel et nous avons bien fait: les brochettes sont excellentes, la salade et l’assiette de frites énormes. Nous repartons repus et régalés pour un prix très compétitif.
De retour à l’hôtel, il ne nous reste plus qu’à préparer les sacs pour le départ demain matin…