Pour le vol de Kuala Lumpur vers Bali, nous avons d’abord dû prendre un minivan, parti à midi avec une heure de retard de Krabi (cela devient vraiment une mauvaise habitude qui tend à se généraliser en Thaïlande), jusqu’à Hat Yai. De là, après 3 heures d’attente, un bus de nuit nous a fait tranquillement passer la frontière, puis a foncé vers la capitale malaisienne où il nous a déposés, au lever du jour, à BTS Station. Un car urbain nous emmène à KLIA 2 où nous arrivons à 9 heures. Pour patienter jusqu’à l’embarquement, nous prenons un chicken curryen guise de petit-déjeuner et trainons dans les nombreux magasins de ce nouvel aéroport, désormais entièrement terminé. Nous décollons à 16 h 20 pour 3 heures de vol, un peu secoué, vers l’ile des dieux. À Denpasar, Wayan qui nous attend depuis déjà une heure (la faute à un orage qui a retardé le décollage) nous conduit à Ubud dans son 4×4 Toyota flambant neuf. Ketut nous reçoit avec un grand sourire. Visiblement, elle jubile de nous revoir deux mois chez elle… Et nous sommes tout aussi heureux de rejoindre notre second foyer pour la neuvième fois.
Nous passons la journée du lendemain à retrouver nos marques dans ce gros village que nous avons tant de fois arpenté. Évidemment, depuis notre visite en juin dernier, de nombreux changements sont venus bouleverser la physionomie d’Ubud. Comme à chaque fois. De nouvelles constructions ont vu le jour, des chantiers transforment irrémédiablement d’anciennes demeures traditionnelles en maisons d’hôtes ou restaurants. À brève échéance, il n’y aura plus que ça dans le centre d’Ubud, en plus des galeries d’art quelconques et des magasins de souvenirs qui se ressemblent tous. Nous qui avions la chance d’avoir une vue sympa depuis la terrasse de notre chambre, sommes désormais cernés par les seconds et troisièmes étages des guesthouses voisines qui se sont montés cette dernière année. Si cela continue, on va bientôt se retrouver dans des habitations qui rappelleront les cours intérieures des riads marocains, jolies finitions et charme en moins. Et que dire des rizières? Elles sont en train de complètement disparaitre des environs immédiats d’Ubud, remplacées par des ensembles de bungalows à l’architecture parfois douteuse. Quelques anciennes enseignes d’hôtels nous amusent malgré tout: celles qui vantent la vue superbe depuis leurs chambres. En effet, quoi de plus beau qu’un mur de béton brut à quelques mètres devant vos yeux! J’arrête, car on pourrait me taxer de mauvaise foi…
C’est pourtant ici, dans le centre d’Ubud, que nous allons passer nos deux prochains mois. Et je suis déjà certain qu’en partant à la mi-avril, nous n’aurons qu’une hâte: celle de vite y revenir!
Pour l’instant, je dois trouver une moto, moyen de transport garant de la réussite de notre séjour. Grâce à elle, nous conservons une autonomie que nous avons rarement ailleurs et ne sommes tributaires de personne pour nous rendre n’importe où dans l’ile, quand bon nous semble. Mako, notre fidèle loueur, se débrouille comme un chef pour nous en obtenir une à partir de demain.
Comme j’ai besoin d’un bermuda, je m’élance, accompagné de Chantal, à l’assaut des boutiques de sportswear. Les principales enseignes internationales de vêtements pour surfeurs se succèdent dans Monkey Forest Road, l’une des deux rues les plus commerçantes d’Ubud. Pour une fois, j’en trouve à me plaire dans quatre d’entre elles. Le problème du choix devient vite cornélien et m’oblige à refaire les magasins élus pour une nouvelle série d’essayages. Je n’en reviens pas de cet attrait aussi soudain qu’inattendu pour le shopping. Ma préférence se porte sur un modèle gris à motifs blancs de chez Quiksilver. Chantal espère juste qu’il ne sera pas trop salissant. Non, mais! Je sais me tenir! Incroyable! Pour mon peu de patience en ce loisir féminin, cet achat nous a occupés pendant trois heures. Moi qui pensais que, seules, les femmes aimaient passer du temps à se tortiller devant les miroirs des cabines en suis pour mes frais. Chantal ne dit rien, mais jubile intérieurement. Dorénavant, je ne pourrai plus la taquiner avec ça…
Dans un warung local, nous faisons la connaissance de Stéphanie, une Lorientaise habitant l’ile de la Réunion, sympa et pleine d’énergie, qui n’arrive plus à repartir de Bali. Nous discutons durant tout le diner et mangerons d’autres fois ensemble.
Nous avons rendez-vous le lendemain en milieu de matinée à Ubud Palace. À 10 heures précises, nous retrouvons des amis venus passer quelques jours ici avant de continuer vers les Philippines. Nous les avons d’ailleurs rencontrés là-bas, il y a deux ans. Les retrouvailles avec Sabine, France, Jeannie, Andrée, Tiné, Alain et James sont joyeuses. Après les avoir promenés dans une rizière toute proche et, malheureusement pour eux, juste moissonnée, je m’attaque à un ennui de bagages qui les concerne pour leur prochain vol que je m’efforce de résoudre coute que coute. Mal m’en a pris. Breton et têtu (certainement, deux qualités!), j’y passe de nombreuses heures, au lieu de leur faire découvrir les environs pourtant fertiles en lieux merveilleux. En fin de compte, je n’ai pas à le regretter; d’une part, j’ai réussi à vaincre le problème et, d’autre part, leur timing était franchement trop juste pour avoir le temps de se faire une idée sur la région. Trop de choses à voir et à faire méritent, en effet, qu’on s’y attarde un peu plus longtemps. Ils ont tout de même pu gouter au babi gulingde chez Ibu Oka, la fameuse spécialité locale de cochon grillé, et assister à un spectacle de danses balinaises auquel ils nous ont gentiment invités. J’y ai d’ailleurs pris quelques clichés intéressants. Pour l’anniversaire de Tiné, ils nous font découvrir un restaurant que nous ne connaissions pas. L’arak à l’orange qu’une ravissante jeune balinaise dépose devant nous ajoute encore un peu plus de bonne humeur à la tablée et les assiettes bien garnies rivalisent en qualité avec celles d’établissements dits supérieurs. Demain, nos amis nous quittent pour l’ile de Lembongan, toute proche, et ses fameuses raies mantas. Nous aurons de nouveau passé un agréable moment en leur compagnie et leur souhaitons une excellente poursuite de voyage, là-bas, aux Philippines qu’ils affectionnent tant.
Nous retrouvons vite nos habitudes en moto: se fier à notre instinct et s’enfoncer encore plus loin dans la campagne balinaise. Les rencontres avec les personnes du cru s’y révèlent souvent intéressantes. Un matin, nous tombons sur une procession avec parasols, orchestre gamelan et foule en tenue de cérémonie. Après avoir enfilé un sarong, toujours à portée de main, nous nous mêlons sans problème aux gens qui, amusés par notre présence, se relaient pour nous poser quelques questions en balinais. Avec la pratique, nous devinons ce qu’ils nous demandent et leur répondons avec les quelques mots que nous avons appris et surtout retenus; ce qui n’est pas la moindre des choses. Personnellement, j’ai le disque dur saturé; plus rien ne veut s’y inscrire. Peut-être est-ce simplement dû aux années qui passent, mais je n’arrive pas à m’y convaincre!… Une autre fois, nous nous rendons à Munggu, au sud-est de l’ile, nous rendre compte de l’évolution de la fabrication des ogoh-ogoh. Dans une semaine, les monstres de bambou et de papier devront être achevés pour la parade de Nyepi, le Nouvel An balinais. La créativité et l’ingéniosité de la construction nous épateront toujours. Des bandes de jeunes confectionnent ces géants à l’aveuglette, sans plan réel; tout juste une feuille chiffonnée sur laquelle ils ont dessiné ce qui devrait être le résultat final. En les regardant coller les pages de journal sur l’armature en bambou tressé, l’envie de voir leur travail terminé nous fait nous promettre de revenir assister au défilé.
Nous tombons sur Pierre dans un restaurant très local. Ce Parisien passe une moitié de l’année en France et l’autre, ici, à Bali, par tranches de deux mois. Nous l’avons rencontré, pour la première fois, il y a trois ans et avons, à de maintes reprises, grandement apprécié sa connaissance de l’ile. Pas du tout avare de bons tuyaux, il n’hésite pas à nous en donner. Nous lui faisons totalement confiance et ne sommes jamais déçus de ses chaudes recommandations; comme, par exemple, celle de venir déguster un succulent lawardans cette demeure particulière, cachée au plus profond d’un village proche d’Ubud. L’endroit et le couple âgé qui le tient jouissent d’une excellente réputation. Jusqu’à épuisement des ingrédients, une queue ininterrompue de clients patiente tous les soirs de la semaine, sauf le dimanche, en attendant leurs plats à emporter. Il ne faut surtout pas arriver en retard; la maison ferme lorsqu’il n’y a plus rien à vendre. Cette recette traditionnelle se compose d’un mélange de légumes bien épicé, de noix de coco râpée et de viande émincée, en l’occurrence, ici, un cochon de lait grillé. On en trouve ailleurs à base de poulet. Une assiette de riz et un grand bol de bouillon superbement relevé et aromatisé accompagnent immanquablement le plat. Lorsque nous quittons la table commune où les gens s’assoient en nous adressant des sourires complices à défaut de pouvoir converser en anglais, nous sommes toujours rassasiés et ravis de notre si bon et si économique diner. Sur le chemin du retour, nous cédons la plupart du temps aux sirènes du terang bulan, sorte de gâteau, situé entre le pancake et la génoise, fourré aux amandes concassées, au chocolat et au lait concentré. Ça termine très bien le souper. Il ne nous reste plus qu’à nous préparer un thé avant de nous coucher…
Nous retrouvons Pierre trois jours plus tard pour une grande balade en moto. Nous effectuons un premier arrêt, à la sortie d’Ubud, dans un temple dissimulé par la végétation exubérante et devant lequel nous sommes souvent passés sans vraiment y prêter une quelconque attention. Erreur! Encaissé dans une vallée escarpée, avec ses nombreuses sources, il fait office de bains publics pour les locaux qui viennent y faire leur toilette tout en se purifiant. Des statuettes en pierre sculptée, moussues à souhait et parfois recouvertes par la luxuriance, agrémentent les différents niveaux de bassins. Les gargouillis d’une cascade et d’une rivière parviennent sans peine à couvrir le bruit de la circulation pourtant relativement proche. Nous avons un mal fou à nous arracher de cet endroit plein de sérénité. Nous savons déjà que nous y reviendrons tranquillement, tous les deux.
La seconde halte à lieu dans un atelier d’un jeune sculpteur que Pierre connait. Nous restons un peu avec lui et commandons un thé dans le warungd’en face en attendant qu’une petite averse se passe. Puis nous continuons vers le sud. Après Sanur, nous bifurquons vers Palau Serangan, aussi appelée l’ile aux Tortues. La cambuse dans laquelle Pierre voulait nous faire gouter au pot-au-feu local est malheureusement fermée. Pour pallier notre déception, nous allons immédiatement prendre un bain, un peu plus loin, sur une plage absolument déserte. Comme pratiquement partout ailleurs sur le littoral balinais, il est vraiment dommage qu’elle soit envahie par les ordures de toutes sortes amenées par la mer. Incorrigible population qui n’a toujours pas digéré la récente apparition du plastique chez elle! Il y a 15 ans, les sacs étaient encore en papier et l’on enveloppait la nourriture dans des feuilles de bananier. Jetés à terre ou dans les rivières, ces détritus pourrissaient très vite, sans causer de dégâts irréversibles. Aujourd’hui, les habitudes restent, mais les conséquences ne ressemblent malheureusement plus du tout à celles d’hier. Les habitants prendront certainement conscience, un jour, de cet énorme problème. Quant aux étrangers de passage, choqués par cet envahissement évitable, mais quasi irrémédiable, ils souhaitent tous qu’il ne soit pas trop tard. Pour notre part, nous ne constatons qu’une aggravation au fil des années.
Après un tour de l’ile et une visite au Turtle Conservation and Education Center, plus connu sous l’appellation TCEC Serangan, où l’on fait éclore les œufs sous protection avant de remettre les bébés tortues à la mer et où les accidentées à qui il manque une nageoire ou un bout de carapace passent des jours heureux, Pierre nous emmène dans une bicoque bien locale manger de belles brochettes de thon. Malgré la proximité de Sanur, station balnéaire la plus importante de la côte Est, pas un seul touriste, hormis nous trois, ne vient troubler la sérénité de cet endroit situé en bordure d’océan. Une cérémonie se déroule d’ailleurs tranquillement devant nos yeux. Des groupes de personnes, dans leurs tenues si caractéristiques, jettent des offrandes de toutes sortes à l’eau, se recueillent un instant et quittent la plage sans hâte. Pour terminer en beauté, nous nous rendons dans un ashram, lieu de retraite indien, où notre ami a ses habitudes. Les moines nous y accueillent gentiment et, en remerciement de notre venue, offrent à chacun d’entre nous un sachet d’une friandise locale lorsque nous en repartons. Il fait nuit noire quand nous arrivons à Ubud de cette belle journée de découverte d’un autre Bali que nous ne connaissions pas encore…
Lors d’une balade matinale le lendemain, nous garons la moto devant un temple de Tegallalang vers lequel des Balinaises se dirigent avec grâce, des corbeilles de fruits savamment ordonnées posées délicatement sur la tête. Un monsieur, dans une belle tenue traditionnelle blanche, nous invite à y pénétrer. Revêtus de nos sarongs, nous restons un temps assis à discuter avec les fidèles. Deux dames, plus hardies que les autres, nous demandent de les photographier avec le babi guling, cochon grillé entier, qu’elles ont cuisiné et de leur envoyer les clichés par email. Nous le ferons avec joie dès que nous rentrerons à la guesthouse. Après une heure en leur compagnie, nous filons une énième fois vers les rizières du coin avant de rejoindre la chambre pour éviter la chaleur du début d’après-midi. En revenant du restaurant où le thon base kalasnous régale toujours autant, nous assistons à un spectacle de barongdans un des temples du centre. Tout le village semble s’y être donné rendez-vous. Nous posons un regard attendrissant sur les jeunes enfants en tenue traditionnelle qui regardent d’un œil à la fois curieux, amusé et terrifié le monstre faire face aux singes. Nulle part ailleurs dans le monde, ou du moins, jamais en si grand nombre et de manière aussi souvent répétée, nous n’avons rencontré cette culture de l’habit. Une femme balinaise se change, par exemple, plusieurs fois dans une même journée: une toilette pour chacune de ses activités, les plus jolis corsages et sarongs étant réservés aux rites religieux. Les hommes et les enfants n’échappent pas à la règle et cela ne semble pas les perturber le moins du monde, ni dans leur travail, ni dans leur scolarité. Pour contredire les visiteurs qui affirment le contraire, les us et coutumes ne sont pas encore près de disparaitre à Bali. Je m’en félicite le premier et en égoïste, les photos se révélant souvent flatteuses, même avec un cadrage parfois imparfait…
Profitant d’une belle journée ensoleillée, nous nous rendons à Padangbai, sur la petite plage Bias Tugal. Celle que nous considérons comme l’une des plus jolies de tout Bali nous séduit toujours autant. Je profite d’une mer limpide pour effectuer un snorkelingà quelques brasses du bord. Les poissons y sont nombreux et variés. De gros spécimens curieux viennent tourner autour de moi et repartent vers les profondeurs où le plastique règne malheureusement en maitre. On ne compte plus les sachets de chips, les gobelets de soda qui jonchent le fond et les coraux qui tentent de survivre dans ce milieu souillé. Quelques tortues parviennent cependant à éviter le piège des pochons d’emballage qu’elles confondent parfois avec des méduses et s’ébattent dans cette crique pourtant située à l’entrée du port de commerce. Une jeune fille qui plonge non loin de moi a la chance d’en apercevoir une. En ce qui me concerne, j’espère que l’occasion se représentera une prochaine fois. Avec la marée montante arrivent les grosses vagues qui jettent sur le sable leurs lots de détritus. Devant la passivité des locaux, une douzaine de touristes, c’est-à-dire la totalité des gens présents sur la plage, prennent leur courage à deux mains et récupèrent tout ce qu’ils peuvent pour les entasser dans des sacs de riz vides. Au bout d’une demi-heure de collecte où tout le monde y a vraiment mis du sien, l’anse retrouve enfin un semblant d’allure. Et dire qu’à la prochaine marée, il faudra tout recommencer! Vers 16 heures, Chantal qui ne supporte plus le soleil et la chaleur précipite un peu notre départ. J’en oublie mon masque tout neuf qui ne m’a servi qu’aujourd’hui et mon tuba qui sèchent sur un piquet près d’un warung.Je ne m’en aperçois malheureusement qu’une fois arrivé dans la chambre lorsque je souhaite les rincer à l’eau douce. Inutile, donc, de vous décrire ma colère…
Le lendemain, la veille de Nyepi, je retourne à Padangbai dès le petit-déjeuner avalé. Dans les villages que je traverse, des déviations sont mises en place pour les défilés de ogoh-ogohde ce soir. Je ne perds pourtant pas trop de temps dans ces contournements et en profite même pour découvrir des lieux dans lesquels je ne serai jamais passé. Lorsque je pose les pieds sur la plage une heure plus tard, mon regard cherche évidemment le piquet sur lequel j’avais accroché mon matériel. Plus rien! Je demande à la patronne qui vient d’ouvrir son warungsi elle l’a trouvé. Prenant un air affligé, elle m’apprend qu’une ribambelle de jeunes Balinais est arrivée peu après notre départ hier, a dû «emprunter» le masque et le tuba et «oublier» de le remettre en place. Il me faut encore une bonne heure pour rejoindre Chantal restée à la guesthouse. Je suis désolé; je viens d’effectuer 80 kilomètres pour rien. Si nous allons en Malaisie comme nous l’avons prévu, je devrais donc racheter le nécessaire à snorkeling. Tant pis, j’aurai dû faire plus attention. Mais cela ne m’empêche pas de pester contre moi…
À peine revenu, je remonte sur la moto, en compagnie de Chantal assise derrière moi, pour retrouver Pierre qui a émis le souhait de nous accompagner au défilé de ogoh-ogohde Munggu, à une nouvelle heure de trajet d’Ubud. Nous avions été émerveillés l’année dernière par l’esthétique et la complexité de construction des monstres. Nous tenons donc à y assister une encore fois ce soir. Auparavant, notre «guide» nous fait découvrir un autre endroit que nous ne connaissons pas et que nous avons cherché en vain lors de notre séjour précédent. Après quelques erreurs de direction dont l’une nous impose de traverser un village aux multiples décorations de cérémonie exceptionnelles, tant par leur beauté que par leur nombre, nous parvenons enfin devant la mer et le promontoire rocheux surmonté d’un temple que Pierre voulait nous montrer. Il l’appelle «son petit Tanah Lot». C’est vrai qu’il pourrait lui ressembler, si ce n’est qu’on y accède par un pont en béton et que le rocher sur lequel il repose est moins élevé que celui de son grand frère. Une averse d’une dizaine de minutes nous oblige à nous réfugier sous un bale, sorte de préau dans l’enceinte sacrée.
Sitôt l’orage terminé, nous filons dans une belle lumière de fin d’après-midi vers Munggu. Les adolescents qui ont travaillé à leur construction durant un mois déposent les ogoh-ogoh sur des bambous entrecroisés sur le bord de la chaussée. Je me dépêche de prendre quelques photos des plus jolis avant que la clarté ne disparaisse. Le défilé débute peu après 19 heures, lorsque la nuit permet de mieux apprécier l’éclairage des marionnettes géantes. De jeunes enfants, porteurs de flambeaux, ouvrent le cortège. Suivent des musiciens et des danseurs endiablés et le premier ogoh-ogoh. La construction de ceux-ci semble particulière à la région avec des monstres en équilibre les uns sur les autres: un défi à la loi de la pesanteur. Comme l’an passé, nous sommes subjugués par l’audace et la prouesse de la réalisation, mais un peu moins par l’ambiance, beaucoup plus sage ce soir. La masse des spectateurs nous parait, en outre, moins dense. Est-ce dû au nombre plus limité de ogoh-ogoh? Peut-être. En tout cas, à 21 heures, nous sommes en train de tenter de nous extirper d’un gigantesque embouteillage, au niveau de l’unique carrefour du village que tous les véhicules qui viennent de partir en même temps doivent emprunter. Avec un peu de ruse, nous nous en extrayons avant beaucoup d’autres et rentrons dans la nuit vers Ubud. Demain, nous aurons le temps de nous reposer; le Nouvel An retiendra tout le monde, sans exception, à la maison…
Aujourd’hui, en ce jour de Nyepique les Balinais appellent aussi Jour du Silence, pas un son ne parvient à nos oreilles, excepté le chant mélodieux des oiseaux exotiques. Fabuleux! On écoute réellement le fameux silence! Pas un seul bruit de moteur ou de machine ne vient perturber la quiétude de l’instant. Nous adorons tous les deux cette journée «ile morte» où aucun avion n’atterrit ou ne décolle, où tous les bateaux restent au port. Même les touristes, d’accord ou pas, participent à cette célébration en ne quittant pas l’enceinte de leurs hôtels. Il faut en effet faire croire aux Esprits que l’ile a été désertée et qu’ils n’ont donc pas besoin de s’y arrêter. Je souhaite à tout le monde de connaitre un moment identique, au moins une fois dans sa vie. Après les petits-déjeuners habituels, Ketut nous offre un très bon lawar, en guise de déjeuner, sur la table de notre terrasse. Même si, en général, nous ne mangeons pas le midi, c’est avec un réel plaisir que nous dévorons le plat relevé que notre hôte a déposé devant nous. Le soir, nous avons droit à un nasi campur, assortiment de plusieurs choses à grignoter servi avec du riz. Excellent! Comme la journée a été harassante (!), on se couche sitôt après avoir visionné un film français sur nos tablettes…